Après la fin de la seconde guerre mondiale, le cinéma a fait de prodigieux bonds en avant depuis les Nibelungen de Fritz Lang, avec la démocratisation de la couleur et du parlant. L'heure est donc venue de faire des remakes des classiques muets / noir et blanc. Le producteur Artur Brauner est ultra motivé et propose directement à Lang de s'en charger, mais celui-ci décline. Le projet traîne un peu, le temps de trouver un remplaçant, mais en 1966-67 sort enfin le diptyque Die Nibelungen, (ou Das Schwert der Nibelungen, soit l’Épée des Nibelungen) réalisé par l'Autrichien Harald Reinl : Siegfried von Xanten et Kriemhilds Rache (Siegfried de Xanten et La Revanche de Kriemhilde). Par souci de flemme de clarté je vais considérer les deux films comme un seul, Die Nibelungen, et je vais ignorer royalement les titres français officiels Le Trésor des Nibelungen et, encore mieux, La Vengeance de Siegfried (superbe contresens, bravo les traducteurs ! Applaus !)
Le film, une coproduction germano-yougoslave, sera, au moment de sa sortie, la production la plus chère de la République Fédérale d'Allemagne. Contrairement à l'original, ce remake n'est pas tourné entièrement en studio : la partie studio est à Berlin (y a des moyens dans les décors), mais les extérieurs sont filmés en Espagne, en Yougoslavie et en Islande (et oui, déjà !). Reinl laisse d'ailleurs (très)(trop?) longuement traîner ses plans en Islande pour bien rentabiliser le voyage, avec un best-of des points de vue habituels de l'île en mode "Visitez l'Islande" qui donne l'impression erronée que tout se trouve dans un périmètre de cinq kilomètres carrés (comme le font toujours les productions actuelles), mais ne nous voilons pas la face : j'aurais fait pareil à sa place, et en 1966 ça a dû faire son petit effet les volcans, les rivières de lave, les geysers, les plages de sable noir et les pics de roche émergeant des vagues. Reinl savait que sur ce plan là, il avait une carte à jouer vis à vis de l'original, il souhaitait se démarquer en "stylisant la grandeur de la nature", et il ne se prive pas. Tant mieux !
Mais sa meilleure carte en est une autre : les dialogues.
Lang n'avait que quelques cartons pour donner du texte à son public. Tout le reste des informations, intrigue ou relations entre personnages, implications de certaines actions ou sens de certains objets, tout cela passe par le visuel. Et si on ne connaît pas déjà le Nibelungenlied et l'Edda Poétique, j'imagine que ce ne doit pas être toujours évident de bien tout saisir.
Un remake, pas un copié-collé
Le début du film de 66 profite de l'avantage du cinéma parlant sur le muet en s'ouvrant par une citation de la Chanson des Nibelungen (ou Nibelungenlied, je vais sans doute utiliser les deux dans cet article), à savoir, eh bien, l'introduction du poème. Cette citation nous est servie par nulle autre que Volker von Alzey, le poète de la cour de Worms, qui sert de voix off au début et à la fin du film (mais on y reviendra sur cette fin). C'est fait assez finement puisque de voix off classique on le voix déclamer son intro en plein champs, transitionnant ainsi sur une narration diégétique. C'est une idée plutôt maline, d'autant que le roi Gunther et ses frères, les princes Giselher (interprété par nul autre que Terrence Hill, casting WTF) et Gernot, lui demandent de leur chanter les aventures de Siegfried pour en apprendre davantage sur lui, et ça permet de repasser sans accroc à une voix off qui introduit Siegfried et son exploit : comment il a mis la main sur un trésor fabuleux en terrassant un dragon, puis libéré et séduit Brunhilde.
Certes, ce choix va à l'encontre du film original, mais de ce fait, Reinl revient au poème, et ma foi c'est très chouette !
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Volker von Alzey, le narrateur du film, sous les traits de Hans von Borsody. |
Le "dragon"
Alors bon, puisque je le mentionne, arrachons le pansement d'un coup sec et nerveux. Le dragon de ce film est... une honte. Mais vraiment. Il arrive à avoir l'air encore plus faux que celui de Fritz Lang qui est pourtant sorti QUARANTE-DEUX auparavant. C'est pas pour rien que j'ai jugé bon de préciser que ce film était, à sa sortie, le plus cher produit par l'Allemagne de l'Ouest. Quelques années plus tôt on avait droit aux dinosaures en stop-motion mythiques de Dinosaurs, là on est revenu à un animatronique du Parc Astérix. En panne. Repeint par une classe de maternelle. Il est immonde.
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Le film le plus cher produit par l'Allemagne de l'Ouest en 1966, meine Damen und Herren. |
Vous croyez que j'exagère ? Demandez au réalisateur ! Je cite Harald Reinl : "Le dragon, le monstre, ne pouvait remuer qu'une seule aile un tout petit peu, courir ou avancer seulement très difficilement. Avec sa queue, il ne parvenait à battre que d'un seul côté, les yeux auraient dû bouger mais un seul y arrivait. C'était une catastrophe." Du coup il explique qu'il ne restait qu'à faire ce qu'il pouvait : baisser les lumières, augmenter la brume artificielle et essayer de cacher la misère.
On ne peut pas dire que ça ait sauvé la séquence.
Je n'ai pas réussi à ripper la scène avec le son, donc soyez indulgents et voyez la vidéo qui suit comme un long GIF. De toute façon, ce ne sont vraiment pas les effets sonores qui posent problème.
Je ne rie pas souvent franchement devant un film, et c'est arrivé deux fois dans celui-ci, à commencer par ce dragon. On notera qu'il crache du feu (Par les naseaux...) et a des ailes, deux attributs notoirement absents du Fafnir scandinave, mais raccord avec le dragon du Seyfrid à la Peau de Corne (le Nibelungenlied ne donne pas de détails). On pourrait croire à une coïncidence heureuse, cependant on retrouve également les envies de meurtre à l'encontre du héros de son mentor forgeron, par pur ressentiment, exactement comme dans le Seyfrid à la Peau de Corne (contrairement à la version scandinave, Regin de son petit nom, qui ne souhaite se débarrasser de Sigurd qu'après que celui-ci ait tué le dragon pour lui, afin de récupérer le trésor). L'implication d'un apprenti dans la tentative de meurtre à la forge rappelle comment Seyfrid est détesté des autres apprentis (parce qu'il est un bully) dans le poème. C'est amusant de constater qu'en ce sens, Fritz Lang et Harald Reinl aient fait un choix de sources similaire pour la jeunesse du héros, puisqu'on y voyait les apprentis victimisés par Siegfried.
La raison est simple : le Nibelungenlied lui-même ne raconte rien ou presque sur les jeunesses de Siegfried. C'est un héros aimé et admiré dès le début, et on ne raconte même pas en détail l'épisode du dragon et sa première rencontre avec Brunhilde, les personnages se contentant de faire des allusions et des résumés succincts. C'est pour cela que les adaptations du Nibelungenlied puisent toujours ailleurs pour combler ce manquement, soit dans le Seyfrid à la Peau de Corne, soit dans les sources scandinaves comme l'Edda Poétique et la Saga des Völsungs. En fait c'est comme l'ADN des dinosaures de Jurassic Park bricolé avec des bouts d'ADN de grenouilles, sauf que là au moins les sources sont cousines.
Mais je parle beaucoup trop de dinosaures, revenons à cette blague de dragon. Siegfried doit ici d'abord lui couper les ailes, un détail inédit (au moins on innove ?), puis le planter par dessous, comme dans les sources. Et là, bizarrement, on nous raconte le bain dans le sang du dragon et la feuille de tilleul dans le dos... hors champs. La caméra se détourne pudiquement. Il y a quelques plans esthétiques sur du sang (rouge pétant, évidemment), par exemple coulant sur le sol au pied d'une pile de corps empilés, ou projeté sur les têtes monstrueuses sculptées dans le palais d'Etzel. D'ailleurs, très chouette idée de montrer ce plan donnant l'impression d'une bête assoiffée de sang, fondue sur le plan suivant : la tête monstrueuse est remplacée par le visage de Kriemhilde grisée par sa vengeance brutale. Bien joué !
Je suppose que montrer autant de sang en Cinemascope c'était trop pour les sensibilités des années soixante, là ou Fritz Lang bénéficiait d'un effet d'adoucissement de la brutalité de cette scène grâce au noir et blanc (en plus le "sang" était clairement de l'eau, à peine colorée). Quand on voit, à exactement un siècle d'écart avec Fritz Lang, la mise en scène de cet épisode dans le film Hagen - im Tal der Nibelungen (2024), où Siegfried nous fait presque une Ariel dans un vrai bain de faux sang bien rouge foncé, on réalise le chemin parcouru, et l'évolution des sensibilités face à l'hémoglobine au cinéma.
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Le bain de sang en 1924, chez Fritz Lang |
Et un siècle plus tard ça donne :
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Ah c'est sûr on voit moins bien la feuille de tilleul. |
Fidèle au film d'origine ? Fidèle aux sources ?
On me reprochera peut-être de trop comparer à Fritz Lang, mais d'une, c'est un remake de son film, et de deux, il faut admettre que c'est un peu la faute du film tout de même, qui parfois reprend carrément des plans iconiques quasiment à l'identique, comme celui de Siegfried brandissant son épée à l'horizontale après avoir fini de la forger, et en plus s'attarde longuement dessus comme un Marvel qui veut laisser le temps au public d'applaudir une référence qu'il chérit. Parfois ce sont des choix de costumes, comme ce casque ailé ridicule que Hagen se tapait déjà en noir et blanc, les boucliers des soldats Burgondes ont la même forme et un motif rayé similaire, l'architecture de la forteresse de Worms... Je ne peux pas vraiment me plaindre que le remake suive d'assez près la structure narrative de l'original, puisque celle-ci colle au Nibelungenlied, d'autant qu'il incorpore des segments entiers du poème ignorés par Lang (notamment la guerre contre les Saxons et le voyage vers Etzelburg, mais nous y reviendrons), cependant, au début du film j'ai même craint le remake commettre le péché cinématographique de l'imitation plan pour plan.
Heureusement (?) le visionnage m'a rapidement prouvé que cette nouvelle mouture comptait bien essayer des trucs un peu originaux. Un peu trop même.
Il y a tout un délire autour d'Alberich et ses nains qui enferment d'abord Siegfried dans la grotte au trésor, après la mort de Fafnir qui ne sert pas à grand chose puisque le peuple nain soumis par Siegfried ne réapparaît plus dans l'histoire, au contraire de la source. Cet élément d'intrigue mis en place ici est sensé payer, lorsque Siegfried a besoin d'impressionner Brunhilde et qu'il rameute tous les nains en armes, lors de l'épisode des épreuves pour conquérir Brunhilde au profit du roi Gunther. or, dans le film de 66, Alberich suit Siegfried comme un fidèle compagnon dès qu'il se fait mater dans la grotte et l'accompagne donc en Islande en qualité et de vassal... et le peuple nain bah on n'a pas besoin de lui. D'ailleurs ce n'est pas le seul set-up/pay-off raté du film, mais on y reviendra.
Alberich, pour être maté, doit être poursuivi longuement, avant d'être attrapé malgré sa cape d'invisibilité, que s'approprie Siegfried. La scène n'est pas très raccord avec les sources, même si ça rappelle la rencontre entre Ortnit et Alberich dans Ortnit. Normalement Siegfried le rosse facilement en l'attrapant par la barbe et reçoit la cape en cadeau (comme le fait le film de 1924), ici on rajoute de la lutte et une petite poursuite. Mais parlons-en de cette cape folette, car même si elle porte ici le nom de Tarnkappe pour faire plus "authentique" et respectueux des sources, elle est en réalité plus proche d'un artefact inventé par Richard Wagner : le Tarnhelm, littéralement le casque de "camouflage".
Si elle ressemble à un morceau de filet de pêche dégueulasse, c'est parce que Fritz Lang avait déjà fait ce choix, même si ici elle fait franchement dégueulasse. Comme le Tarnhelm, la "cape" en filet crado se pose sur la tête... elle n'a donc de cape que le nom. C'est vraiment bizarre de revenir vers le nom "Tarnkappe" si c'est pour conserver un objet qui reste un couvre-chef et sans aucun ambage, est le Tarnhelm. Si le visuel est donc une référence claire au film original qu'il remake, en revanche, Reinl fait le choix d'introduire un détail de l'invention wagnerienne que Fritz Lang lui-même avait négligé : le Tarnhelm ne s'"active" que si on prononce la formule magique adéquate. Ce détail n'est pas seulement absent du film de Fritz Lang, il est absent des sources médiévales ayant trait à la Tarnkappe, la cape d'invisibilité. Ce détail, cette formule magique, apparaît sous la plume de Richard Wagner dans son Rheingold, le premier opéra de sa Tétralogie du Ring. L'Alberich des films est fortement teinté de sa version opératique, plus que n'importe quel autre personnage, ce qui en soit n'est pas nécessairement un problème, après tout, Wagner est le précurseur des adaptations des sources en culture populaire, et fatalement on retrouve son ADN dans les films.
Cependant.
Le remake d'après-guerre, ou la parenthèse Point Godwin
Il y a néanmoins un énorme bémol, qui a tout à voir avec le contexte. La formule en question est "Nacht und Nebel, niemand gleich!" Cette expression, Nacht und Nebel, vous la connaissez sans doute en français : Nuit et Brouillard. C'est cette formule, prononcée par Alberich dans l'opéra de 1869, que les nazis ont utilisée pour donner un nom secret et ronflant à leurs directives permettant de se débarrasser de tous les opposants et, de manière générale, tous ceux qu'ils voulaient, et les faire disparaître discrètement. Alors qu'on veuille citer Wagner dans une nouvelle adaptation des Nibelungen, en soit, je ne suis pas contre par principe. Mais fallait-il, de tous les trucs inventés par Richard, et il y en a une palanquée, fallait-il VRAIMENT choisir celle-ci ? Seulement 21 ans après la fin du régime national-socialiste, quand les survivants sont encore nombreux et les mémoires fraîches ? Pour moi on a allègrement franchi la ligne rouge du mauvais goût, et le pire c'est que chaque fois que Siegfried utilisera la cape par la suite, il devra donc la répéter. C'est gênant.
D'autant qu'encore une fois, le remake choisit de copier le visuel du Tarnhelm sur le film original, mais décide de réutiliser la formule magique, entre temps lourdement chargée du malaise qu'on connaît, alors que le film original ne l'incluait même pas ! Ce n'est donc pas par fidélité à Fritz Lang, ni par "obligation", que ce soit envers Wagner (si Lang a pu faire sans, je pense que Reinl aussi), ni même envers Lang lui-même. Non, vraiment, il n'y avait aucun besoin de réintroduire cette formule magique - pure invention du XIXe siècle - dans cette adaptation. C'est un choix conscient. Pourquoi ?
Le plus surprenant, dans tout ça, c'est que le producteur du film, celui qui a poussé pour que le projet se fasse, à savoir Artur Brauner, est un juif polonais survivant de l'Holocauste ! Et pourtant on a Nacht und Nebel et un Siegfried bien blond (les sources mentionnent pourtant des cheveux foncés, voire bruns) pour se plier aux attentes du public. C'est déroutant. D'autant que d'autres répliques n'ont certainement pas laissé insensible le public allemand au cinéma en 1966. Par exemple, lorsque la fratrie burgonde décide obstinément de respecter son serment de loyauté envers Hagen, malgré ses culpabilité et l'opportunité qu'il leur est offerte de s'en distinguer. Kriemhilde leur lance alors :
"Fidélité à un assassin. Ne voyez-vous pas où il vous mène?" ("Treue für einen Meuchelmörder. Seht ihr nicht, wohin er Euch führt.")
La référence est évidente et volontaire, d'autant que Gunther justifie ne pouvoir se détacher de cette culpabilité de Hagen. Celui-ci déclare être le seul fautif "C'est moi qui l'ai fait (commis le meurtre de Siegfried)" ce à quoi Gunther répond, à plusieurs reprises, "Et je n'ai rien fait pour l'empêcher." C'est encore plus évident.
Les punchlines
Heureusement Alberich ce n'est pas que la Tarnkappe et sa formule magique gênante. Comme je l'ai dit, on passe d'un allié ponctuel à un véritable compagnon qui le suit dans l'intrigue. On aurait pu se dispenser de lui coller un costume de jongleur, d'autant qu'il est interprété par un acteur atteint de nanisme, mais ses répliques font souvent mouches et il est clairement l'un des personnages les plus raisonnables prodiguant bon conseil et avertissements sages, le Jiminy Cricket de Siegfried, en somme, et un autre moyen d'expliquer les enjeux avec des mots clairs lorsque Volker ne peut le faire. C'est là encore un usage malin de personnage, un connaissant dans la diégèse, ainsi que de l'avantage du cinéma parlant : les enjeux sont bien explicités et on peut suivre facilement tout ce qui se passe à l'écran sans avoir lu le Nibelungenlied au préalable, ce que la version de Lang ne réussit pas toujours, malheureusement.
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Hagen X Alberich, première itération d'un duo né au cinéma, et qu'on retrouvera presque toujours. |
Alberich est aussi une source d'humour bienvenue grâce à quelques punchlines. Le film en recèle plusieurs qui m'ont arraché de francs sourires. Lorsque les Burgondes refusent d'abandonner leurs armes à la fête d'Etzel, "selon la coutume hunnique", craignant un piège (ils n'ont pas tort) ils prétextent que c'est la tradition burgonde. Etzel le diplomate leur accorde, et ça, c'est directement tiré du poème d'ailleurs. Quand la situation commence à déraper, Gunther invite les Huns à plutôt faire la fête dans leur pavillon (où ils ont le contrôle. Ce détail est propre au film). Ce à quoi Etzel répond en mode bien passif-aggressif : "Avec plaisir ! Et nous viendrons tout en armes, bien sûr, selon la coutume burgonde." Le film ajoute un come-back à la source médiévale, et ça fonctionne !
D'autres répliques sont plus subtiles. Alberich, être surnaturel païen, refuse de participer à la messe car, dit-il, l'encens le fait éternuer. Hagen, qui a plusieurs fois laissé entendre qu'il était plus enclin à suivre Wodan plutôt que Blanc Christ, lui non plus ne rentre pas dans l'édifice, se contentant de dire à Alberich : "Tu n'es pas le seul à qui l'encens chatouille le nez." Leurs échanges réguliers créent une espèce de proto buddy comedy au sein du drame, et clairement associer les deux de cette manière laissera une marque profonde sur tous leurs successeurs. Sous vos yeux, Harald Reinl invente un trope destiné à durer.
Le méchant paganisme VS le vertueux christianisme ? (Et le Destin c'est du flan)
Faire de Hagen un païen n'est pas un choix anodin ni si idiot que cela. Après tout il est à part dans la fratrie et est lié au surnaturel païen par l'épisode des ondines (j'y reviens dans un instant), on l'accuse d'être le fils bâtard d'un alfe, il est borgne, avec ce que ça évoque d'odinique, donc pourquoi pas. Les sources scandinaves mélangent allègrement les références au christianisme et à l'ancienne coutume, mais le paganisme domine, là où le Nibelungenlied lisse quasiment tous les aspects païens et accentue les références à l'église. L'escalade de la confrontation entre Kriemhilde et Brunhilde, par exemple, que la tradition scandinave fait se dérouler à la rivière et dans la grande halle, a lieu dans la Chanson des Nibelungen sur le parvis de la cathédrale et en son sein. Dans les sources, les ondines que rencontre Hagen en route vers le massacre à la cour d'Etzel lui prophétise la mort de tous les Burgondes. Mais le Nibelungenlied ajoute que seul le prêtre survivra à ce voyage. Hagen essaie donc de noyer celui-ci lorsqu'ils traversent le Rhin (le Danube dans le film) afin de mettre la prophétie à l'épreuve, ce qui choque tout le monde. On dit même que si un autre eût commis cet acte, Hagen aurait été furieux. Car il n'est pas, dans le poème, païen. Un mauvais chrétien peut-être, mais pas un adorateur de Wodan. Le film reprend toutes ces péripéties: les ondines, la prophétie, la mise à l'épreuve, et même Hagen se débarrassant du bateau car désormais convaincu qu'ils vont tous mourir. Sauf que désormais, on a l'un des rares païens du film tentant de noyer un prêtre innocent qui, ayant survécu par miracle, les maudit et annonce la vengeance de Dieu pour cet acte, ce que le poème ne fait pas. Le prêtre y survit et basta. La fin des Burgondes n'est donc plus seulement la conséquence du meurtre es Siegfried, mais une punition divine. Ainsi un sous-texte paganisme VS christianisme se déploie plus ou moins subtilement par-dessus les thèmes des sources.
Les prophéties sont omniprésentes dans les sources, par des voyantes, des rêves, des êtres surnaturels, etc. Ici, Brunhilde a droit à sa voyante personnelle qui tire les runes, et font les visions sont toujours justes : ce qu'elle voit se réalise, confirmant qu'il existe une forme de Destin, en accord avec les sources, et validant la magie païenne de runomancie. Sans compter que dans le segment islandais on voit trois servantes encapuchonnées de la valkyrie qui évoquent les nornes (c'est suggéré en tout cas). Étrange, donc, que le film décide de changer un élément de l'intrigue aux implications aussi radicales : à la fin du métrage, Volker d'Alzey survit, bien qu'aveugle. Normalement il périt, comme tous les Burgondes, et surtout comme prophétisé. Or, s'il vit, la prophéties des ondines c'était du flan. Le destin ? Du pipeau.
Pourquoi s'embêter à mettre en scène l'épisode des ondines, du prêtre jeté à l'eau, du bateau abandonné, confirmant le pire pour Gunther et ses gens, et finalement chier sur le concept en laissant vivre Volker ? Faut-il y voir une réfutation des oracles, un pied de nez volontaire ? Une moquerie des croyances anciennes et fausse qui mène les Burgondes à leur perte ? Ou... simplement une étourderie parce qu'ils avaient besoin de Volker pour clore la narration du film ? Après tout, malgré tout ce que j'ai pu écrire jusqu'ici, la trame du film reste très proche de sa source et, bien qu'elle simplifie et agglomère des éléments pour synthétiser son sujet, comme une adaptation se doit de faire pour tenir ses impératifs de durée, elle n'en reste pas moins extrêmement reconnaissable. Il y a une volonté de coller au sujet la plupart du temps et toute la séquence discutée ici n'est peut-être là que par souci de fidélité. Quoi qu'il en soit, les changements apportés renversent profondément le sens de ces péripéties, que ce soit voulu par Harald Reinl ou non, d'ailleurs.
Toutefois il y a trop d'éléments autour de cette thématique pour être dus au hasard. Le paganisme n'est pas seulement là pour le folklore, une saveur ajoutée pour le côté "ancien", bien qu'évoquer Wodan ce soit aussi invoquer Wagner, surtout quand Hagen porte un casque tout droit tiré des costumes de Bayreuth. Mais voyons cela à travers le prisme des personnages concernés.
Hagen est un antagoniste, c'est clair, et en faire un païen "à part" y participe. Après, son attitude de gros connard directement tiré du poème n'avait pas besoin de ce "supplément mécréant", hein.
A contrario, Gunther bénéficie gracieusement d'un polissage inverse. Déjà ambigüe dans la source vis à vis de la culpabilité dans le meurtre de Siegfried, sa version filmique est montrée comme beaucoup plus chevaleresque et honorable : lorsque Hagen, à plusieurs reprises, endosse seul toute responsabilité pour le crime, Gunther refuse cette exonération et estime être également coupable pour ne l'avoir pas empêché. Mieux encore, lors du massacre final il encourage ses hommes lors d'un discours tragique à retourner auprès de leurs femmes plutôt que de mourir pour un forfait dont ils sont eux-mêmes innocents. Évidemment, ils choisissent tous de rester jusqu'à la mort (en même temps la Triuwe les y oblige mais passons). Gunther est donc montré comme noble, rongé de regrets et soucieux d'affronter la justice divine. Soit la manière dont le Gunther du poème aimerait être perçu, bien plus que tel qu'il est véritablement. Le film grossit donc les traits en faveur du roi chrétien et travestit Hagen en méchant païen.
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Karin Dor est Brunhilde, de la Maison Targaryen |
D'ailleurs, vous vous souvenez comme la tradition continentale transposait un point de l'intrigue dans la cathédrale pour renforcer le côté chrétien ? Et bien le film fait pareil avec l'invitation d'Etzel et Kriemhilde à Gunther et les siens. Dans le poème, c'est pour célébrer le solstice d'été. Ici, pour fêter le baptême du fils d'Etzel et Kriemhilde. Et pour être honnête... j'aime bien ce changement : il correspond bien à l'état d'esprit de cette version, et permet de justifier l'impossibilité de refuser sans rentrer dans les détails des obligations d'honneur etc., ce que la durée du film ne permet pas forcément. C'est simple et efficace.
Kriemhilde expliquant ne pas savoir ce qui lui a pris de confronter si durement Brunhilde semble suggérer une influence néfaste de la ceinture, ce qui n'est pas sans évoquer la manière dont elle "fortifie son caractère" dans l'Edda Poétique en mangeant un bout de cœur de Fafnir et devient "plus comme sa rivale", mais là je crois pas que ce soit l'intention du film, juste moi qui surinterprète.
Et puis il y a Frigga (subtil...) la prophétesse de Brunhilde qui lit les runes, un personnage que le remake tire du film original de Lang en lui donnant plus d'importance. Et a priori, elle ne se trompe jamais et est de bon conseil (comme Alberich finalement). Quelle est ta thèse, film ? Peut-être doit elle servir à critiquer Brunhilde qui lui demande toujours de lire le Destin dans les runes, mais quand ça ne lui plaît pas la reine accuse sa servante d'être vieille est d'avoir perdu son talent. Ainsi Brunhilde serait hypocrite, mais si les prophéties sont du flan de toute façon, n'a-t-elle pas raison de les ignorer ? Quelle est ta thèse, film ??
Bon est puisqu'on parle de runomancie, vous vous souvenez quand je vous disais que j'avais ri deux fois durant ce film ? Et bien nous y sommes.
Contexte. Tacite écrit dans Germania que les Germains coloraient des baguettes de bois qu'ils jetaient sur un linge blanc comme un oracle. Les sources scandinaves comme l'Edda Poétique parlent de colorer ou peindre les runes à des fins magiques, jamais pour lire l'avenir, cela dit, mais pour soigner, résister au poison, pour avoir plus de courage ou de force pour obtenir la victoire ou l'amour, bref, plutôt pour des charmes. Aucune source ne dit que l'oracle ou la prophétesse "lit" ou "interprète" les runes. Les rêves oui, les runes, non. Je rappelle aussi qu'il y a plusieurs siècles et des milliers de kilomètres d'écart entre les deux témoignages.
Bref, beaucoup de gens ont imaginé une pratique new age mélangeant les deux, de runes peintes sur des baguettes pour lire l'avenir comme un tarot. D'autres interprétations de Tacite sont pourtant possible, certains défendent par exemple qu'on colorait entièrement ou partiellement mais uniformément les baguettes de pigment ou de sang et qu'on interprétait en réalité les projections laissées sur le linge blanc une fois les baguettes jetées. Donc inutile de préciser que historiquement parlant, l'oracle runique, c'est du pipeau, nous n'avons aucune certitude que les anciens pratiquait la runomancie et encore moins de cette manière, seulement de vagues conjectures que chacun peut interpréter comme il veut. Donc pour une pratique moderne ou de la fantasy, admettons, c'est plus ou moins basé sur les sources, et ça reste "pratique", fonctionnel.
Et donc la runomancie dans ce film. Runes ou baguettes peintes uniformément (comme dans le film de Fritz Lang où elles ne sont pas gravées ni peintes de signes) ? Et bien plutôt que choisir, Harald a choisi de faire les deux : l'oracle jette des baguettes toutes peintes en blanc, et les bâtonnets, attention je ne plaisante pas, forment des runes en tombant au sol. Genre trois baguettes atterrissent pile poil en forme d'une rune, trois bâtonnets en forme d'une autre rune. Et forcément, comme si le concept n'était déjà pas assez risible, ça fait des runes ridiculement énormes ! Alors c'est sûr, d'un point de vue cinématographique tu n'as pas besoin d'un insert pour bien montrer à ton public que ce sont des runes, mais bon, la subtilité est morte et enterrée.
Bref, j'ai ri.
Alors, y a-t-il un propos derrière tout ça ? Je rappelle que la confrontation paganisme VS christianisme n'est pas dans les sources. En vérité on y trouve plutôt une cohabitation qu'un affrontement. Pourquoi l'introduire dans de film ? Quelle est la thèse, ici ? À part que l'ancienne coutume puduc mais que la nouvelle déchire tout ?
On serait tenté de voir dans l'ancienne coutume une allégorie de l'ancien régime dont les Allemands viennent alors tout juste de se débarrasser, mortifère et, malgré toute sa puissance évocatrice, perdant. Après tout, les nazis avaient adopté (et inventé) plein de symboles païens et utilisaient des runes et des roues solaires (y compris leur version bien à eux, le Soleil Noir, donc). La culpabilité du meurtre de Siegfried devient alors celle de l'Holocauste, de la guerre et de ses victimes, ou les deux.
Cependant je ne suis pas convaincu d'une si profonde réflexion de la part de Reinl. Vous vous souvenez de sa citation concernant le dragon merdique qui ne fonctionnait pas, et qui l'avait obligé à cacher la misère ? Ce que je ne vous ai pas dit, c'est comment il s'est exprimé, car sa citation continue ainsi : "C'était une catastrophe, impossible de tourner quoi que ce soit. Ne peuvent alors aider que nuit et brouillard. Il faut provoquer la nuit. Tandis qu'il (le dragon) s'approche, le ciel s'assombrit, les petits oiseaux se taisent, tout au fond parvient un rayon de lumière par une gorge qui crache du feu. J'ai tout enveloppé dans la nuit et le brouillard, et regarde, les choses se sont plutôt bien passées, compte tenu des circonstances." Le réalisateur reprend l'expression Nacht und Nebel pour parler trivialement de son problème de dragon catastrophique, comme si c'était approprié et thématique.
Si la
thèse du film était vraiment basée sur une métaphore paganisme = nazisme
= pas bien, et donc si cette interprétation des Nibelungen était une
critique des nazis "du passé", le réalisateur se permettrait-il ce genre
de remarque ? Une part de moi veut voir une réflexion profonde derrière
cette accumulation de clins d’œils et de coups de coude dans les côtes, mais une autre ne peut s'empêcher
de se dire que ce n'est que très superficiel et parfois... presque
accidentel. A chacun de se faire son avis sur la question, je ne
trancherais pas.
Heureusement, c'est plaqué sur l'intrigue sans la tordre dans tous les sens pour rentrer les changements au chausse-pied, donc on ne dénature pas franchement toute l'histoire. Comme je l'ai dit, dans l'ensemble le film suit le poème, incluant plein de détails qu'on aurait aisément pu croire dispensables dans la quête de synthèse efficace, certaines déjà présentes dans le film de Lang, comme Gunther et Hagen se présentant devant le corps de Siegfried. La proximité du meurtrier ravive les plaies du cadavre, trahissant sa culpabilité et confirmant les soupçons de Kriemhilde. Le film n'explicite pas plus que son prédécesseur pourquoi les plaies saignent, alors qu'avec le cinéma parlant on aurait pu s'attendre à une ligne de dialogue d'exposition. Mais non ! On peut le deviner mais on ne nous prends pas par la main, et c'est totalement en accord avec la source. Et ça, c'est franchement appréciable. D'autres détails, comme le franchissement du fleuve et de l'épisode de chapelain jeté par dessus bord, rajoutent de la fidélité au poème tandis que Lang les avait totalement zappés.
Trahir, mais avec un bisou pour que ça passe bien
Cependant, ce n'est pas à dire non plus que le film est fidèle. Il y a bien sûr des changements qu'on sent dus aux mœurs. Dans le Nibelungenlied, Kriemhilde n'arrivant pas à provoquer d'altercation entre les Huns et les Burgondes, manipule son propre fils (qu'elle a eu d'Etzel) afin qu'il aille provoquer Hagen, celui-ci mordant à l'hameçon et tuant le jeune homme, le début de la fin. Ici, le fils est un bébé, et Kriemhilde sacrifie son beau-frère Blodelin, qui l'aime presque plus qu'Etzel lui-même, et va au casse-pipe de son plein gré et en toute connaissance de cause. Plus tard Hagen frappe toute de même le fils d'Etzel et Kriemhilde, mais le sens est désormais tout autre : l'enfant est complètement innocent, Hagen un monstre, et Kriemhilde n'est pas filicide. On voit même Gunther qui s'interpose pour empêcher Hagen de frapper encore, un geste totalement absent des sources qui, une fois de plus, redore bien le blason du noble roi Gunther (lol) au dépend de Hagen. Plusieurs éléments du poème sont donc réunis (avec des détails qui rappellent également la Þidrekssaga), mais réarrangés afin de ne pas trop choquer le public moderne. Et puisqu'on parle des Huns, d'Etzel et de Blodelin, leur représentation est bien, bien meilleure que dans la version Fritz Lang (un gros point noir de l'original selon moi). On est loin du Etzel grotesque de 1924, et c'est tant mieux.
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Herbert Lom campe un bien meilleur Etzel que ce qu'on a subi dans la version de Fritz Lang. |
La mort de Kriemhilde m'a également surpris. Le film prend la peine d'introduire my boy Dietrich von Bern et son mentor Hildebrand, leur donne les quelques scènes où ils apparaissent dans le Nibelungenlied, très bien... mais LA scène de Dietrich et son maître d'armes, LE moment iconique où Kriemhilde, ayant accompli sa vengeance, s'agenouille et baisse sa nuque afin de se laisser décapiter pour sa faute (selon les sources par Dietrich ou Hildebrand), CETTE scène est remplacée par un décevant suicide de la reine qui se jette sur l'épée qu'elle vient de rendre à Hildebrand (qui la tue bien, techniquement, mais sans le vouloir, pas du tout comme dans la source où il VEUT la punir pour avoir enfreint à ses devoirs, et cela change tout). WTF Harald ? Là encore je suspecte que... c'était trop. D'ailleurs il n'y a pas de décapitations, les coups sont toujours hors champs ou suggérées. Pourtant, le poème, lui, les enfile comme des perles sur un collier.
Brunhilde se tue d'ailleurs d'une manière similaire sur la tombe de Siegfried, ce qui est intéressant car le suicide de Brynhild en se jetant dans le bûcher funéraire de Sigurd se trouve bel et bien dans les sources scandinaves. Dans le Nibelungenlied elle disparaît complètement de la narration après sa vengeance contre Siegfried, et un autre poème, La Plainte, qui fait directement suite à la Chanson des Nibelungen, nous révèle qu'elle vit et règne à Worms. Ainsi le film fait donc une ref indiscutable à la tradition scandinave, mais sans le budget cascade pour que Brunhilde se jette dans le feu. C'est sans doute ce même budget cascade qui fait qu'au début du film, Siegfried la sauve de son sommeil magique en traversant le mur de flammes à pied et pas à cheval...
Ce qui m'amène à un autre changement, ou plutôt une réinvention, où le film une fois de plus tente de se frayer son propre chemin entre fidélité et nouveauté : le background de l'anneau des Nibelungen, de Brunhilde et du trésor de Fafnir. Le film décide de tout lier pour simplifier au maximum l'exposition au début de l'intrigue, et comme je l'ai déjà dit, aucun problème sur le principe, c'est un besoin du média.
Dans le film, Brunhilde était chargée par Wodan de la protection du trésor, a failli car elle s'est endormie, est punie d'un sommeil éternel, à moins qu'on lui enlève du doigt l'anneau magique des Nibelungen. La tour où elle dort est entouré d'un feu magique qu'il faut d'abord avoir le courage de franchir.
Dans les sources (scandinaves, car la tradition continentale n'a rien de tout cela), Brynhild est une valkyrie punie par Odin pour avoir désobéi à ses souhaits (elle laisse gagner le mauvais guerrier), donc sommeil et mur de flammes, mais reçoit l'anneau... de Sigurd, et seulement après qu'il l'ai libéré de son dodo magique (en tranchant sa broigne). Elle n'a aucun lien avec le trésor avant de recevoir ce bijou... qui provient du trésor, dont l'origine est liée à Fafnir et Regin. Bref encore une fois, c'est infidèle mais contient plein d'éléments reconnaissables tirés des sources, qu'on simplifie (on streamline, comme on dit sur Internet.). J'ai eu un sourire comme une banane lorsque Siegfried force les portes de sa tour, de lourdes portes en fer... comme décrites dans les sources !
Et la plupart du temps, je dois le redire, c'est malin. Le personnage de Rüdiger est introduit plus tôt dans le récit (il remplace le messager Hun lambda), ainsi que la relation entre sa fille et le prince Giselher, permettant d'éviter trop de cheveux sur la soupe dans le second film, de créer de la cohérence au sein du diptyque et, très important pour ce genre de projet, réduire le nombre de personnages redondants. Excellent choix, à mon avis !
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Rüdiger (Dieter Eppler) ravi de marier sa fille Hildegunt (Barbara Bold) au prince Giselher (Terrence Hill). Le rôle de ces personnages dans le remake est bien plus renforcé que dans l'original. |
La première visite de Siegfried en Islande emprunte les éléments de l'épreuve scandinave, tout en réservant l'épreuve du Nibelungenlied à Gunther pour faite cohabiter les deux version de l'épreuve des deux traditions... et c'est le choix que j'ai également fait pour Heldenzeit ! (Un très bon choix, donc)(un choix logique, en vrai).
L'adaptation est donc assez paradoxale. Si elle n'est pas hyper fidèle dans le fond, elle regorge de moments repris des poèmes de manière extrêmement proche et de détails érudits, plus encore que le diptyque original. Il est évident que ceux qui ont réalisé ce film ont lu les sources, et pas uniquement le Nibelungenlied, d'ailleurs. Cela ne l'empêche pas de tenter des choses, parfois malines et astucieuses, parfois... moins. Parmi ses inventions, elle introduit ce dualisme religieux qui, a défaut d'aller quelque part, a le mérite de vouloir faire autre chose qu'un bête remake plan pour plan. Alors, faut-il la voir ?
Sceau d'approbation ou poubelle ?
On l'a vu, le remake oscille entre authenticité et modifications altérant profondément le sens initial de l'intrigue. La version de Fritz Lang est un peu plus fidèle à l'esprit des sources, et à mon avis plus esthétique aussi, plus épique. Ça fait un peu bateau, je sais, mais à mon sens l'original est supérieur au remake. Reinl a pour lui la couleur et des paysages naturels parfois très beaux, mais il n'est pas Fritz Lang. En revanche, pour un public moderne à qui cinq heures de film muet ne vend pas du rêve, cette version dialoguée est peut-être plus adaptée, a fortiori s'il n'est pas très familier du Nibelungenlied. Ici, presque tout est explicité par les dialogues : qui est qui, qui veut quoi. Un avantage non négligeable pour naviguer un novice dans les intrigues de palais et les trahisons en série. De plus, malgré mes remarques l'intrigue suit celle du Nibelungenlied dans l'ensemble, avec une structure très similaire, ce qui en fait une bonne initiation pour qui n'a pas la foi d'ouvrir le poème. On aura une interprétation bizarrement biaisée, mais dans l'ensemble plutôt correcte. Et mine de rien, plusieurs éléments du poème absents de la version noir et blanc frayent leur chemin dans celle-ci : là où Reinl prend parfois plus de libertés, il sait aussi retourner à la source.
Donc oui, je recommande la version de 1966-67, en tout cas comme une première entrée dans cet univers. Celle de 1923-24 est meilleure à presque tout points de vue, mais plus exigeante aussi. Celle de Reinl a le grand mérite d'être accessible pour un public non averti, tout en offrant du grand spectacle épique (si on a la bienveillance d'oublier le dragon).
BONUS : Le point Bande Originale
La musique est composée par Rolf Wilhelm. Le double CD est publié chez Cobra Records (un CD par film). Un orchestre de 75 musiciens, dont 42 cordes, a bouffé presque tout le budget musique du premier film en deux jours, heureusement Wilhelm était satisfait de la performance. Le second film mettra l'emphase sur les cuivres pour souligner le caractère martiale des Huns, et bon, il se trouve que ça coûte moins cher quand il faut moins de musiciens. Il y a donc une différence notable entre la BO des deux films, non seulement par le son, mais les thèmes également, chaque film ayant son thème principal très présent, l'ensemble restant lié par quelques petits motifs qui font le pont. Stylistiquement on est sur de la musique de film d'aventure des années 60, à la Korngold ou même Steiner. Beaucoup moins riche que la BO des Nibelungen de Fritz Lang en terme de thèmes et leitmotifs, elle reste toutefois efficace et contient plusieurs moments badass, à condition d'apprécier ce style, cela va de soi. Personnellement j'aime beaucoup.
Après ce remake, les Nibelungen retourneront dans les brumes jusqu'à resurgir en 2004, mais pas au cinéma. Le nouveau média populaire, c'est la télévision.
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