Mímisbrunnr

jeudi 24 avril 2025

La version avec le cochon : Siegfried (2005)

Bon, j'avoue que là on commence à s'aventurer dans le domaine des films "inspirés de" plutôt que de véritable adaptation. Pourtant, malgré tous les (nombreux) problèmes de ce film, il y a une accumulation surprenante d'éléments qu'on peut relier aux sources - que ce soit volontaire ou pas, d'ailleurs. Le film dont je vais parler est la "comédie" de Sven Unterwaldt Siegfried, avec dans le rôle titre le comédien Tom Gerhardt connu pour des films à l'humour, euh... qui tache, dira-t-on.

Siegfried (Tom Gerhardt)

 Excusez-moi, mais... qui est le public cible exactement?

Le premier problème qui saute aux yeux dès le début du film, et qui malheureusement ne fait que se confirmer au fil des (parfois interminables) séquences d'"humour" : le film ne sait pas à qui il s'adresse. On a de l'humour slapstick, du pipi caca prout prout, du parler adolescent qui était probablement déjà ringard au moment de la sortie du film mais aussi des dialectes et accents régionaux, des blagues sexuelles clairement destinées aux adultes, dont une blague redondante de viol, tranquille, et puis on a le petit cochon sidekick mignon avec une voix d'enfant et un Siegfried joué comme un parfait débile insupportable. Je n'ai pas vu l'acteur ailleurs, et la direction d'acteur ne l'a sans doute pas aidé, mais à le voir cabotiner en mode Owen Wilson du pauvre jouant un handicapé hollywoodien, j'avais envie de prendre Tom par l'épaule et lui dire :

L'histoire est à l'avenant, évidemment, mais étonnamment il reste plein  d'éléments encore décelable derrière... le reste. Alors je pense que ce sera la chronique la plus courte de cette série, je ne m'attarderais pas sur chaque blague nulle et me concentrer sur l'intrigue.

Déjà ça commence super bien, avec un bébé Siegfried dérivant sur le Rhin et recueilli par Mime, comme dans la Thidrekssaga, et comme l'avait repris le téléfilm sorti un an plus tôt. Siegfried grandit, il a une force hors du commun, comme dans pratiquement toutes les sources, à cause de cela, personne ne veut jouer ou interagir avec lui car il ne se contrôle pas et cause beaucoup de dégâts et de blessures. On retrouve le Siegfried bully de la Thidrekssaga et du Seyfrid à la Peau de Corne, mais cette fois malgré-lui et qui ne s'en rend même pas compte. Il aime aussi tous les animaux et apprends très jeune leur langage... une référence évidente à sa capacité à comprendre les oiseaux après avoir goûté au sang de Fafnir, mais ici ça se fait sans brutalité animale. Mime lui forge une épée et ce sera celle qu'il aura avec lui une fois adulte... bien trop petite, donc. Il l'appelle Baldung... pourquoi pas Balmung comme dans les sources ? S'il y a une blague quelque part, elle m'a échappée. C'est typiquement le genre de changement que je ne comprends pas : soit tu fais complètement autre chose et tu assumes, soit tu reprends le nom et tu montres que tu as ouvert un bouquin dans ta vie. Là c'est un choix... vide.

Pareil dans la scène où Siegfried s'invite malgré lui dans le tournoi et met KO l'adversaire de Hagen. Gunther déclare que Hagen a vaincu "le Mongole", qui est effectivement habillé en cliché de guerrier des steppes de cinéma. Alors pourquoi ne pas dire "le Hun" pour le clin d’œil ? Ce n'est même pas pour faire une blague sur l'insulte, en Allemand on dirait "mongo", pas "mongolen", car c'est le raccourci de "mongoloid" (ne le faites, pas s'il vous plaît). Donc si ce n'est pas pour faire une blague de mauvais goût, alors pourquoi ? Pourquoi es-tu si médiocre, film ?

Mais revenons à notre "héros". Un jour il surprend Kriemhilde en train de pisser en forêt et devient obsédé par elle au premier regard. Il va la retrouver à Worms (je vous passe les détails "drôles") où se déroule un tournoi ! Tiens donc, comme dans le Nibelungenlied et le Rosengarten zu Worms. D'ailleurs, puisque le personnage de Kriemhilde est présentée comme une absolue raclure, méchante et orgueilleuse, on est assez proche de sa version dans le Rosengarten... Hé, franchement, jusque là, pas mal ! Bon sauf que le tournoi c'est pour lui trouver un prétendant, ce qui est une pure invention, et laisse penser que la ref est plutôt accidentelle. 

Côté personnages on retrouve le roi Gunther, un cliché de gay efféminé, ce qui est super drôle, car il est gay est efféminé. Bref. Et contrairement à une autre comédie allemande culte Der Schuh des Manitu, qui ces dernières années a été critiquée pour ses blagues pas toujours fines et ne vieillissant pas super bien sur le personnage gay de Winnetouch, au moins il servait à faire contrepied à son jumeau (interprété par le même acteur) et son côté flamboyant et excentrique participait à la dynamique du groupe, ici c'est juste... "LOL Gunther est une tapette". Niveau zéro.

En fait, on touche du doigt un gros problème du film : pour faire du pastiche ou de la parodie, il ne suffit pas de faire des blagues sous la ceinture et de mettre du vomi. Ce qui est drôle, c'est de se moquer des travers de son sujet, en grossissant les traits, en soulignant les paradoxes et incohérences, les aspects problématiques ou datés. Mais pour ça, il faut connaître le sujet dont on se moque, sinon, on reste très superficiel et c'est juste une mauvaise comédie avec un filtre, ici un filtre Nibelungen. Et là, à moins d'être hilarant de base, bah... c'est une recette pour un désastre. On peut arguer, en étant extrêmement généreux, que rendre Siegfried complètement demeuré à la limite du retard mental, c'est une exagération de sa naïveté et de son côté bonne poire dans les sources, mais Gunther en grande folle ? 

C'est là que le Schuh des Manitu s'en sort mieux, il y avait un amour des vieux Westerns, en particulier la série des Winnetou, et le personnage gay mettait tout le sous-texte homo-érotique de beaucoup de ces productions sur le devant, en toute flamboyance, impossible à "glisser sous le tapis". Ça fonctionnait. Ici ? Qu'est-ce qu'on dit à travers ce Gunther ? Rien.

Kriemhilde (Dorkas Kiefer) et Gunther (Jan Gosniok) avec son, euh, échanson ?

Mais poursuivons. Hagen est habillé tout en noir avec un casque ailé volontairement ridicule qui est une référence évidente à ses costumes chez Wagner, Lang et surtout Reinl. Pas d’œil manquant, ni de cicatrice : la sexification de Hagen se poursuit.  D'ailleurs, le film établit que Hagen est censé gagner le tournoi pour épouser Kriemhilde, et ça... ça sort d'un chapeau. Néanmoins, comme l'invention d'une relation Hagen-Kriemhilde aura un rôle encore plus important dans Hagen - Im Tal der Nibelungen, le prochain film de cette série d'articles, j'y reviendrais plus en détail à ce moment-là, mais disons seulement que soit ils ont pris l'idée du livre qui a inspiré Hagen..., soit ils ont juste eu une idée similaire, sachant qu'il n'y a aucune Brunhilde ici et qu'avec une histoire plus compacte il fallait bien de pseudos triangles amoureux. Petit détail amusant, Hagen est interprété par... Volker Büdts. Hagen... son bro Volker... vous l'avez ? Je me sens si seul.

Volker Büdts fait son Hagen

 Une fois de plus, Alberich est promu comme second couteau de Hagen, sauf que cette fois il n'est plus un nain, ni même un Nibelungen ayant été chassé par les siens, c'est juste... Jaquouille la Fripouille. J'apprécie qu'il se fasse passer pour le passeur sur sa barque afin de tromper Siegfried, clin d’œil à la séquence du passeur où Hagen dézingue le passeur, tandis qu'ici le passeur bosse pour lui. On pourrait également y voir une référence au Chant de Harbard, un texte scandinave où Odin se fait passer pour un passeur et refuse le passage à Thor pour le troller, sachant que Siegfried partage plusieurs attributs du dieu au marteau, comme une force extraordinaire, un courage hors norme, et un appétit d'ogre, mais ce serait donner aux auteurs de ce scénario bien trop de crédit. Je veux dire, leur introduction de Siegfried c'est Mime qui tient le bébé devant lui, et Siegfried lui vomit dessus à répétition et quand Mime demande s'il a enfin fini, Siegfried lui pisse dessus pour rincer tout ça. À répétition. Soyons honnêtes, la référence à Harbard est indubitablement une pure coïncidence.

Axel Neumann interprète Alberich

J'aime bien la manière dont Alberich provoque malgré lui la légende de l'invulnérabilité de Siegfried, parce qu'il a trop peur d'aller l'affronter comme le lui ordonne Hagen. Il invente le bain dans le sang de dragon pour justifier qu'il ne peut rien faire, mais quand plus tard il arrive à la conclusion qu'il faut le tuer, on le questionne lourdement du regard, s'emmêle les pinceaux et doit inventer le point faible. Il élabore son mensonge au fur et à mesure pour ne pas admettre qu'il a menti, ce qui provoque plusieurs quiproquo et scénettes bon enfant plutôt rigolotes.

Le Dragon et son trésor

Gunther arrive sans difficulté à convaincre Siegfried que s'il désire épouser sa sœur il doit ramener deux anneaux du trésor des Nibelungen, car il espère ainsi se débarrasser de lui en l'envoyant à la mort. L'ordre des péripéties est donc complètement bouleversé, et Siegfried cherche désormais le trésor, alors que dans les sources, l'obtention du pactole est une conséquence de son objectif premier : tuer le dragon. Ici, il ne l'occit pas, il l'assomme, et par accident en plus. C'est aussi lui qui jette tout le trésor dans le Rhin... parce qu'il jette tout en arrière à la recherche des anneaux. L'or n'est plus englouti par Hagen après le meurtre du héros, c'est le héros qui s'en charge sans le vouloir. Siegfried emporte également l’œuf du dragon pour en faire des "super-crêpes" (je dois préciser que c'est sorti du chapeau, ou...?). Au final, au moment du mariage avec Kriemhilde (qui accepte finalement car elle pense recevoir en dot le trésor des Nibelungen), tout capote, le dragon en CGI potable vient chercher son petit fraîchement éclot, un animatronique terrifiant tout droit sorti de l'enfer de la vieille série télé Dinosaures. 

D'ailleurs, jusqu'au final, le dragon n'est montré que par son ombre (très, très mal faite). Certes, ça permet de créer de l'anticipation pour un énorme monstre qui est en fait tout petit et très poli (on ne vous l'avait jamais faite, celle-là, hein ! Quelle inventivité époustouflante !), mais surtout ça coûte moins cher. Cela dit, moi j'aurai claque un peu plus de pognon dans l'ombre, même en mode cartoon ça jure beaucoup. Ah, et bien sûr, les deux dragons vivent heureux à la fin.

En effet, après avoir montré la mort de Siegfried à la source, en forêt, le film fait le coup du rembobinage pour déclarer que tout ça c'est du pipeau et qu'il va donc nous montrer la vraie version de ce qui s'est passé, qui se termine en Happy End où Hagen et Alberich abandonne Worms pour suivre Siegfried et Anita (sa nouvelle petit copine). Là on a pioché dans le chapeau du chapeau, craquage de slip, mesdames et messieurs ! La trahison du poème est si débile qu'aucune autre adaptation n'a trouvé malin d'épargner Siegfried, passage "un peu" obligé tout de même. Aucune... sauf Siegfried, le soft porno de 71, où Kriemhilde venait sauver la mise de son étalon. Vu qu'ici c'est le compagnon de Siegfried, le petit cochon qui lui a appris que pour embrasser quelqu'un il faut le faire sur son trou de balle, faut-il y voir une référence ? Après tout ce film cherche également à titiller son spectateur (masculin, hein, ne nous mentons pas) avec des situations, blagues et costumes "sexy". Que seuls ces deux films-là soient les seuls à partager ce choix aberrent en plus d'une obsession pour le cul... coïncidence ? Je ne crois pas.

Le cochon

Allez, c'est la mascotte du film, alors même s'il n'a rien à voir avec les sources, parlons du cochon. C'est un mélange de vrais cochons, d'animatroniques et de CGI. C'est un simili Babe, en somme. D'après l'acteur principal, il devait permettre à Siegfried de garder son intégrité et son innocence, d'être son compas moral, et bon, OK. Je trouve qu'il ne sert pas à grand chose la plupart du temps et qu'il est à peine intégré à l'intrigue, si ce n'est le moment forcé où il sauve Siegfried du coup de lance mortel en mode Deus ex Machina. C'est un gimmick, pensé pour les plus jeunes et je suspecte rajoutés tardivement au scénario. L'idée d'un Jiminy Cricket est pourtant moquée par le film puisqu'un cricket vient faire un speech pour remotiver Siegfried et lui vanter les mérites de la merveilleuse vie... avant de se faire écraser, de manière extrêmement prévisible d'ailleurs. Il y a une réplique "les femmes ne veulent pas de cochons... la plupart du temps" sortie par le cochon, justement, qui pourrait être un indice d'une métaphore cachée dans ce film, enterrée, engloutie sous les eaux du Rhin, quelque part, mais je parie plutôt sur une blague pas du tout appropriée pour LE personnages clairement à destination des enfants.

Verdict

En conclusion, faut-il s'infliger Siegfried ? Non. C'est lourd et assis entre deux chaises : faire rire les enfants, ou faire rire les adultes. Pour ma part, c'était surtout la fête du cringe, et il n'y a vraiment pas assez de Nibelungen dans tout ça pour me faire fermer un œil complaisant comme pour le téléfilm de 2004. Même le film érotique de 1971 adaptait plus d'éléments de l'intrigue que cette "comédie", et avec une mise en scène à peine moins bien en plus. Certaines blagues arrachent des sourires, c'est vrai, mais d'autres, beaucoup d'autres, mettent extrêmement mal à l'aise. Le comique de répétition consistant à forcer une femme à se faire embrasser le cul (et je veux dire pas seulement les fesses hein, tout) et de systématiquement finir la scène en la faisant voir défroquée par d'autres personnages dans une position humiliante, ça n'est pas pour moi, et probablement pas non plus pour les enfants venus voir le héros parler à un petit cochon mignon. Le film aurait sans doute gagné à faire un choix très tôt dans l'écriture et à s'y tenir, car en l'état, il n'est destiné à... personne.
 

Siegfried (Tom Gerhardt) montre son portrait de Kriemhilde à Mime (Michael Brandner)

BONUS : Le point Bande Originale

Heureusement, il y a la lumière dans l'obscurité, le moment de grâce dans toute cette misère : il se trouve que la bande-originale est excellente. La musique est composée par Karim Sebastian Elias, à qui l'on doit également la BO fort chouette de l’adaptation par la chaîne allemande Pro 7 de l'Île au trésor, Die Schatzinsel. Le film a beau être une comédie potache lourdingue insupportable et traitée par-dessus la jambe, le compositeur, lui, prend son sujet très au sérieux et nous sert une BO dans la veine des films d'animation d'aventure des années 2000 comme Sinbad : la légende des sept mers ou Atlantis, l'Empire Perdu. Légère et entraînante, sérieuse voire épique (toutes proportions gardées) lorsqu'il faut, avec les petits chœurs qui vont bien, c'est un régal constellé de quelques bons leitmotifs, et on se dit que cette composition mériterait un autre film, un bon film, de la trempe d'un Dragons, par exemple, mais que voulez-vous, c'est comme ça. Réjouissons-nous que Karim Sebastian Elias ait ignoré quelle daube il mettait en musique pour nous offrir une petite pépite.

 

 


 

Après cette purge absolue, exemple tragique d'humour allemand (je vous promet, on sait faire mieux), les Nibelungen avaient besoin de changer de direction pour revenir vers quelque chose de plus sérieux. Eh bah, ça tombe bien, car au centenaire du diptyque de Fritz Lang sortait au cinéma un film sérieux. Très sérieux. Sombre. Très sombre, si sombre qu'on a tout désaturé pour virer les couleurs : la version Vikings of Thrones.

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