Un siècle exactement après le diptyque de Fritz Lang, les Nibelungen sont de retour en Allemagne dans un giga-projet de Cyrill Boss et Philipp Stennert, censé sortir sous deux formats : d'abord un film de cinéma, puis, en 2025, sous une forme plus longue en minisérie télévisée sur RTL+.
Il ne s'agit pas d'un remake de Lang ni de Reinl, mais bien d'une adaptation... mais pas de la Chanson des Nibelungen, du moins pas directement. En effet, le parti pris est de mettre en image le roman Hagen de Wolfgang Hohlbein qui, comme la promotion l'a répété, s'est "inspiré de plusieurs sources et pas que du Nibelungenlied". J'ai envie de dire... comme tout le monde en fait. Lang l'a fait, Wagner l'a fait avant lui, et finalement même le poète de la Thidrekssaga l'a fait des siècles avant eux. En revanche, cette nouvelle version invente beaucoup de choses qui ne sortent pas tant de sources "moins connues du public" que du chapeau de l'auteur. N'ayant pas lu le roman, je vais blâmer le film au cours de cette analyse, histoire de laisser à Hohlbein le bénéfice du doute. Après tout, nous avons là une adaptation de son roman (or, on a vu comme cet art pousse toujours aux changements), et l'équipe derrière le film a certainement rajouté et changé des choses qui ne sont pas du fait du livre. Maintenant que le contexte est posé, vous avez donc conscience que Hagen - Im Tal der Nibelungen est l'adaptation d'un roman, qui adapte les sources à sa sauce. Vous le voyez venir, le téléphone alaman ?
D'emblée j'annonce la couleur, je raccourcirai le titre en Hagen - ITDN. Et si vous êtes curieux de savoir ce que veux dire "Hagen - Im Tal der Nibelugen", c'est c'est très simple : Hagen - Dans la Vallée des Nibelungen. Alors oui, je sais, en français ça fait très Petit Pied et la Vallée des Merveilles, mais on ne ricane pas, s'il vous plaît. D'autant que la vallée en question n'est pas la vallée du Rhin mais bien littéralement le monde des êtres surnaturels et merveilleux, aka, ben, la vallée des merveilles. Mais désolé, la ref ne fonctionne qu'en français.
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Gijs Naber incarne Hagen. Et y a de la cotte de maille, youhou ! Profitez-en, les costumes ça va être folklo. |
Étrangement, l'intrigue prise dans les grandes largeurs est toujours proche du Nibelungenlied. Siegfried arrive à la cour des Burgondes après avoir tué un dragon, il veut épouser la sœur du roi Gunther qui lui demande, en échange, de l'aider à conquérir Brunhilde en Islande. Double mariage, les choses se gâtent, Gunther et ses frères sont plein de jalousie et ressentiment et assassinent Siegfried. Mais au-delà de ces points généraux, il suffit de scruter les détails pour que les différences se creusent et que le film s'éloigne considérablement des sources médiévales, et cela principalement par ses changements profonds apportés aux personnages.
Siegfried
Siegfried montre par exemple un trait de sa personnalité que les adaptations précédentes ont tendance à ignorer : il n'est pas attiré par le pouvoir et fuit même les devoirs de roi qui sont les siens. Dans le Nibelungenlied, c'est subtil car son enfance dorée lui laisse ses deux parents, souverains heureux de Xanten, qui lui survivent, même. Il n'a donc pas besoin de régner à Xanten, et pourrait se contenter d'y vivre en prince. Toutefois, il refuse cette vie de palais pour partir à l'aventure. Dans les sources scandinaves, c'est une autre paire de manche : son enfance est en exil, son père est mort et son pays aux mains de ceux qui ont chassé sa mère, les Hundings. Avant même de tuer un dragon et de conquérir la terrible Brynhilde, Sigurd doit d'abord reprendre ses terres et son trône, et venger son père. L'opposé complet du Siegfried du Nibelungenlied. Sauf qu'une fois avoir fait tout ça (et ça demande du temps, des efforts, des combats), il délaisse sa halle nouvellement reconquise dans les mains de son demi-frère Hamund et... part à l'aventure.
Dans Hagen ITDN, Siegfried ne veut pas régner et fuit son devoir de roi de Xanten, bien qu'il soit toujours présenté comme Siegfried de Xanten. Voilà ! Comme quoi on peut se démarquer de ses prédécesseurs en faisant de l'inédit tout en respectant les sources !
Non je déconne, bien sûr. En principe c'est très bien, évidemment, mais la raison qu'on lui prête est à l'antithèse des sources, où Siegfried est aventureux et naïf. Ici, il est cynique et rongé par le stress post-traumatique. Fini le jeune héros obsédé par la vengeance de son père, action idéalisée, non, maintenant il le blâme désormais publiquement pour les malheurs que ses guerres et celles que le roi burgonde ont fait subir au peuple, ensemble. De manière générale, il est très critique sur les souverains, et s'impose comme un faiseur, pas un parleur. Il picole comme un trou, fait des cauchemars la nuit, chaloupe comme Ragnar de Vikings et... mais oui ! En fait c'est l'insupportable Ragnar toxico de la saison 3 (ou 4?) ! Une épave, bagarreur violent et imprévisible comme un animal, qui déteste la guerre mais se shoote au combat, qui a perdu sa famille et a cruellement besoin d'affection... Alors certes, ça lui donne ce côté "je ne veux pas être roi" et électron-libre des sources, mais... c'est tout son caractère qui est assassiné sous nos yeux.
On a droit à Siegfried en mode Dark et Gritty dans un monde aux couleurs désaturées recouvert d'un filtre bleu gris emblématique du M O Y E N Â G E sur nos écrans depuis vingt ans (merci Ridley Scott !), sauf, exception notable et voulue, lorsqu'on se trouve dans le monde des êtres surnaturels, les Êtres Anciens, ou il y a de la lumière et des couleurs. On n'y passe très peu de temps je vous rassure, faudrait pas trop sortir du sombre et sale. Et le pire c'est qu'on ne sait pas exactement pourquoi Siegfried est une épave morale. Une ligne de dialogue effleure la question lorsqu'il parle à Hagen et lui demande, très sombrement "Sais-tu seulement ce qu'est la peur?" On supposera que ça a avoir avec le dragon puisqu'il refuse de détailler ce qui s'est passé. Alors qu'il parle de sa rencontre avec la bête, il dit que croiser son regard fut le plus beau moment de sa vie. "Pourquoi l'avoir tué alors ?" demande Kriemhilde à raison, et lui de rétorquer, en pleurant (mais sexy cry hein, faut pas déconner) : "Tu dois arrêter de poser des questions." Peut-être que la version longue sur RTL+ expliquera ça mieux que le film, mais en l'état j'ai un désagréable arrière goût de Star Wars 7 : "une bonne question, pour une autre fois".
Après, je vais être honnête, ça m'a fait quand même un peu plaisir de le voir comme ça. Si certaines sources ont tendance à le montrer comme un parangon de vertu, d'autres décrivent un jeune héros qui se cherche, colérique, qui traite mal les gens qui lui sont inférieurs, et qu'il faut discipliner, en l'envoyant comme apprenti chez un forgeron, par exemple. D'ailleurs, dans Hagen - ITDN, Siegfried raconte à Kriemhilde qu'il avait été envoyé auprès d'un forgeron pour être discipliné, et que celui-ci l'a envoyé dans la Vallée des Nibelungen en espérant qu'il s'y ferait buter par le dragon qui s'y trouvait... or c'est exactement le début du Seyfrid à la Peau de Corne ! Bon, pas de vallée des merveilles, juste une forêt, mais sinon tout pareil. La référence est évidente, et elle me fait très plaisir.
Les adaptations ignorent souvent cet aspect, ou l'effleure à peine. On le devine à la peur que les autres apprenti ont de lui au début de la version de 1924, ou par l'implication de l'un d'eux dans la tentative de meurtre au début du film de 1966, mais on pourrait mettre ça sur le compte de la nature des nains, irascibles et peu fiables. Alors que non, c'est la faute à son comportement de con ! Un comportement que certaines versions préfèrent oublier, et non des moindres le Nibelungenlied lui-même ! Aussi je ne boude pas mon plaisir de voir une adaptation qui n'ait pas peur de se frotter à ce aspect là du personnage...
... mais ce qui est, à la base, un défaut de jeunesse que le héros apprend à changer en tant qu'adulte devient son caractère d'adulte. Il n'a donc pas changé, pas évolué d'un iota, et surtout devient parfaitement imbuvable. On peine à croire que qui que ce soit le trouve séduisant au point de vouloir se lier à lui en amitié ou en amour. D'autant que dans cette version il n'a pas la carotte du trésor hérité du dragon (le motif est totalement absent de cette version, ce qui en soit est déjà une sacrée omission), donc pourquoi s'emmerder avec lui ? Et quelle horreur de voir Kriemhilde tomber pour ce bad boy alcoolique, agressif et violent, ah et infidèle aussi, mais qui a des fêlures, vous saisissez, en mode "moi je le comprends, il souffre à l'intérieur, je peux l'aider", aïe aïe aïe.
Il y a toutefois une scène où ce changement fonctionne particulièrement bien. Lorsqu'il arrive à Worms et qu'il provoque Gunther en duel, avec leurs royaumes respectifs en jeu. Dans le poème, Siegfried fait ça en réaction aux provocations d'Ortwin de Metz, pour lui apprendre une leçon d'humilité, mais comme celui-ci est absent du film, c'est le caractère imprévisible et rentre-dedans de Siegfried qui justifie la scène. Et franchement, ça fonctionne, même si une fois de plus on respecte les sources en surface mais on dit tout autre chose.
De manière intéressante, la fratrie de Gunther reproche plus tard à Siegfried un détachement vis à vis du peuple : "Ils veulent être comme lui, mais lui se désintéresse d'eux." Et pendant qu'ils disent ça, on a un montage ou le héros rentre de chasse à cheval et le peuple tend les bras pour le toucher façon Superman de Snyder, et ça a effectivement l'air de l'incommoder. Mais là encore, je pense que la version longue éclairera mieux cette scène car on suspecte que ce soit lié à ses troubles mentaux.
D'ailleurs, une scène précédente fait clairement mentir Gunther : alors qu'un homme vient porter ses doléances au roi des Burgondes et se fait rembarrer par un Gunther détaché et presque méprisant, Siegfried intervient. Il reconnaît l'homme pour avoir combattu avec lui à une bataille spécifique, et se souvient même qu'il y a perdu son fils, et lui promet toute l'aide dont il aura besoin. Gunther se vexe et dit à Siegfried de rester à sa place, ce qui va vraiment prendre Siegfried à rebrousse poil et le sortira de ses gonds un peu plus tard. En fait la rupture de bienséance qui initie la querelle des reines dans les sources est transposée directement aux deux rois.
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Gunther, roi des enflures. Pour l'anecdote, son acteur a émis quelques opinions en interview, comme par exemple : Le Nibelungenlied, en vrai c'est chiant à lire (avis partagé par l'actrice qui incarne Kriemhilde), et en Autriche c'est marginal (WTF?). Mais hé ! S'il n'a pas vu le téléfilm avec Robert Pattinson comme lui demande l'intervieweur, il recommande néanmoins le film avec le cochon, qu'il a trouvé rigolo. Voilà comment, en quelques minutes, j'ai perdu tout respect pour ce monsieur. (mais non, je plaisante)(un peu). |
C'est donc Gunther qui est objectivement détaché du peuple, alors que Siegfried est non seulement proche des petites gens, mais fait objectivement preuve d'empathie envers eux. Sachant que le trésor du dragon est absent de cette version, c'est une manière intelligente de montrer la générosité du personnage, malgré cette version dark, et l'hypocrisie de Gunther qui projette clairement ses travers sur Siegfried, toute en nourrissant une jalousie maladive.
Tout ça, c'est donc plutôt sympa, je dois bien avouer ! En revanche, on aurait pu éviter de faire Siegfried prendre un bain de fans après la guerre contre les Saxons où la foule scandant son nom le porte à bouts de bras comme une rockstar, les bras en croix. Le mauvais goût, m'voyez
L'instabilité mentale de Siegfried l'empêche de se plier aux stratégies, et on le dépeint comme égoïste (il met les autres en danger), spontané, bourrin sans cervelle dès qu'il faut castagner. Le personnage est donc salement trahi. Fini le meneur d'homme qui se concerte avec ses alliés sous une tente avant la bataille et mène une charge en bon ordre, la version 2024 part tuer le roi ennemi tout seul, se pointe avec sa tête et dit aux Burgondes "ah au fait ses hommes m'ont suivi et seront bientôt là, bisous." Sérieux... bon au moins on a *presque* une citation, disons une évocation, de son fameux "Guerriers du bord du Rhin, suivez-moi bien !" Mais bordel, qui êtes-vous et qu'avez-vous fait de Siegfried ?
Est-ce également à cause de ses problèmes mentaux qu'il abandonne Brunhilde après avoir vécu un an avec elle, "sans raison et sans dire un mot", brisant le cœur de la valkyrie "et le sien par la même occasion", alors qu'il l'aime encore ? On ne saura pas. Peut-être dans la minisérie télé...
Brunhilde
D'ailleurs, parlons en de Brunhilde. Elle est valkyrie, bien sûr, un choix peu surprenant en 2024, puisé dans les sources scandinaves, sauf que là, en plus, TOUTE sa cour c'est des valkyries et des guerriers surnaturels (et ça, par contre, ça sort d'un chapeau). Cela dit, comme souvent dans ce film, ce changement n'est pas totalement gratuit ou anodin : le roi Gunther est cerné d'ennemis et a besoin d'une alliance qui grossirait les rangs de son armée. Avec cette invention, aller chercher Brunhilde en Islande pour l'épouser n'est plus seulement un projet vaniteux de la part de Gunther, mais également une stratégie pragmatique, ce qui renforce les enjeux. Ce n'est pas bête !
En revanche, on la qualifie également de "fille des dieux", et ça, ça ne sort pas des sources médiévales, cependant, devinez qui fait des valkyries, et a fortiori Brunhilde, des filles de Wotan ? Hum ? Et bah oui, Richard W. ! Bien sûr, encore et toujours lui ! Même au premier quart du XXIe siècle on continuer à caser des wagnereries autour de Brunhilde ! Quand je vous disais que son influence perdurait. Mais ne vous inquiétez pas, cette version ne se contente pas de reprendre de très vieux clichés, non, non, elle reprend tous les nouveaux !
Sachant que les costumes des autres sont vraiment très clichés Fantasy moderne : armures de cuir, tout le monde en dégradé de noir/brun/bleu foncé/vert kaki, voire pire, notamment avec Siegfried et ses placements de produit pour H&M, pullover dégueulasse et veste à fourrure de Bane dans The Dark Knight Rises (J’exagère à peine). Néanmoins, soyons justes, un effort est fait pour certains personnages, comme Gunther et Kriemhilde, par exemple, pour suggérer de l'étoffe riche et complexe... juste dommage que la palette de couleurs soit à ce point désaturée et rende tout si terne, je suis persuadé que des costumiers et costumières super fiers de leur travail ont dû pleurer en voyant ce gâchis, mais c'est un mal de notre temps.
On a également quelques bijoux et broches inspirées de trouvailles archéologiques, et même si dès qu'on passe à de la figuration ou même des personnages secondaires c'est vite la fête du slip, au moins y a tout de même de la cotte de maille ici et là et on souligne l'importance des casques lors d'une scène où l'un des princes panique sur le champ de bataille lorsqu'il perd le sien, c'est déjà ça ! Mais Siegfried, avec toute la meilleure volonté du monde, c'est juste pas possible.
Elle mène tout de même les troupes Burgondes face aux armées d'Etzel, roi des Huns, qui attaque Worms (à ce stade-là, les sources c'est du PQ, on est d'accord), et on pourrait croire qu'on va la transformer en reine guerrière avec un rôle actif, mais en fait très vite on repart sur Siegfried et Hagen. Elle ne sert qu'à... permettre à Hagen de faire un discours inspirant en mode "Etzel n'est qu'un homme, mais notre reine est plus que cela, elle est un être ancien patati patata", et en deux temps trois mouvements, l'intrigue de l'attaque d'Etzel est pliée. La contribution de reine guerrière, essentielle à Gunther, l'enjeu de toute l'expédition en Islande (enjeu que je trouvais malin à la base) tout cela est résolu en trois minutes, montre en main.
Et donc on ne peut que repartir sur les histoires de cœurs. Puisque l'angle choisi pour motiver l'histoire c'est ce carré amoureux de merde, la rivalité iconique entre Brunhilde et Kriemhilde n'existe plus. Les deux femmes n'échangent pas un mot (un comble!) En l'absence d'escalade, les scénaristes ont donc besoin d'un nouveau déclencheur aux malheurs qui mèneront Siegfried à la mort, et ils ont donc choisi... roulement de tambour... de faire de Brunhilde et Siegfried des amants qui se voient en cachette pour tromper leurs époux respectifs, parce qu'ils s'aiment encore. Et puisqu'on est là pour faire dans la comparaison, sachez que les parties de jambes en l'air du film sont plus osées façon HBO que les interminables et soporifiques scènes de touche-pipi de l'adaptation érotique de 71. Au moins, en 2024, Siegfried enlève-t-il son slip avant de faire des galipettes, et comme ce n'est pas le sujet c'est vite expédié.
Là ça ne sort plus du chapeau, ça sort de la gorge du lapin au fond du chapeau. Mais soyons bienveillants. Une source, une seule, la Völsunga Saga, fait dire à Sigurd qu'il aima Brynhild plus que lui-même, il l'avoue à son ex lorsque l'escalade est déjà à son max, sans jamais avoir agi dans le sens d'un rapprochement avec elle, et les scandinaves établissent indubitablement que, malgré avoir causé sa perte par vengeance, Brynhild est dévastée par sa mort car elle l'aime. C'est d'ailleurs là que se trouve le problème : elle s'estime trompée par l'amour de sa vie. On est d'accord que des sentiments existaient donc encore entre eux malgré leur séparation, mais jamais ils n'agissent sur ces sentiments, surtout pas Siegfried qui est dévoué à son épouse Kriemhilde. Alors certes, il viole Brunhilde pour le compte de Gunther après son propre mariage avec Kriemhilde, c'est vrai, mais il le fait forcé par serment afin de "mater" la femme de son mari afin que celui-ci ne soit plus humilié par elle. On ne peut pas mettre en parallèle des nuits d'amour adultère mais consenti d'un côté (le film) et un viol conjugal perpétré par un ami du mari de l'autre (les sources). Même avec une lecture généreuse des sources, cette intrigue de fesses à Worms est une trahison complète des personnages.
Donc non, cette histoire d'amour secret surpris par Gunther et qui provoque sa jalousie, c'est du pipeau, et même assez ironique vis à vis de l'épisode du viol dans les sources, justement, puisque celui-ci est exigé par Gunther. C'est Gunther qui joue sur le levier des serments et de l'assistance qu'il lui doit, et l'honneur, et les violons et mon cul sur la commode, et cette manipulation fonctionne sur Siegfried qui ne veut pas laisser son meilleur ami dans la mouise. Conséquence de ces changements : à part niquer dans la forêt, une fois mariée, Brunhilde ne sert plus à grand chose et ne fait pas activement progresser l'intrigue. De moteur de l'histoire, Brunhilde devient une jolie jante alu. Excusez-moi, mais ça fait mal.
Et ne vous méprenez pas, je pense qu'on pouvait raconter Brunhilde sans le viol, métaphorique ou littéral, des sources anciennes. Le problème c'est qu'ici, le conflit qu'on lui retire n'est pas remplacé par grand chose. Cette reine intelligente, perspicace et calculatrice, toute en rage contenue... est devenue une caricature hurlante entourée de ses femmes guerrières peinturlurées en Lagertha-core, et qui subit passivement les événements sans jamais vraiment résister. Même la campagne très courte contre Etzel où elle mène les armées burgondes, elle le fait en obéissant à la volonté de Gunther, comme un bon petit soldat. Aïe aïe aïe...
Et pourtant, malgré ma sévérité, une scène m'a arraché un franc sourire, car c'est une invention pure de la part du film, et pourtant respecte l'essence du personnage à 200% : lors de son mariage avec Gunther, Brunhilde s'apprête à recevoir sa couronne de l'évêque, lorsqu'elle décide de lui faire une Napoléon, de se saisir de la couronne et de se la poser sur la tête sans rien dire. Là on retrouve la Brunhilde fière, déterminée, indépendante et qui ne se laisse pas facilement marcher dessus, et qui prend une part active à son destin ! C'est trop bref, mais c'est parfait.
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Maria Erwolter joue une valkyrie (apparemment...) Le costume, le sabre, la coiffure, le maquillage... very Nibelungen, much shieldmaiden. |
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Coiffe alternative ! |
Kriemhilde
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Le motif du faucon ! Très bien ! |
Un profond changement est lié à sa relation avec Hagen. Il est évident qu'avant qu'elle ne rencontre Siegfried, elle et le maître d'armes du roi partagent une attraction jamais consommée, ni même avouée. Ils se tournent un peu autour mais Hagen est trop noble et fait passer les affaires d’État avant ses propres sentiments. Qu'on soit soit bien clair : il y a ZERO trace, indice ou suggestion dans AUCUNE source d'une pareille relation. Déjà, selon certaines sources ils sont liés par le sang, mais même lorsque ce n'est pas le cas, absolument RIEN ne ne le laisse entendre, c'est une pure invention de cette version, ou une repompe de la comédie avec le cochon, ce qui ne serait décidément pas glorieux. Sachant que le roman dont s'inspire ce film introduit bien un Hagen qui tombe tardivement amoureux de Kriemhilde, mais celle-ci a toujours aimé Siegfried, ils se voyaient même déjà en secret avant leur première rencontre officielle. C'est donc bien l'adaptation cinéma qui les rapproche ainsi, et ça change sacrément les rapports de force entre personnage, notamment lorsque Gunther marie sa sœur à Siegfried et que la rivalité entre le héros de Xanten et Hagen a un sous-texte de triangle amoureux, ou devrais-je dire carré amoureux, puisque Hagen aime Kriemhilde qui l'aimait aussi mais aime désormais Siegfried, qui l'aime mais aime également encore Brunhilde, qu'aime Gunther, mais personne n'aime Gunther. La simplicité et l'efficacité de la situation initiale, avec les reines en compétition et l'amitié des époux déchirée par cette rivalité, a disparu. Là on part sur des hommes jaloux et des femmes au second plan. Kriemhilde paye cela en devenant essentiellement "la nana entre Hagen et Siegfried". Dommage. Ah et forcément, quand Kriemhilde dit au début du film "vous êtes un membre de cette famille, père l'a toujours voulu ainsi", bah... même adopté, crado, quoi.
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Kriemhilde (Lilja Van Der Zwaag) et deux de ses frères, les |
Hagen
Hagen de Tronje est l'un des personnages les plus profondément altérés, et un des plus développés, comme on pouvait s'y attendre quand le film s'appelle Hagen. Les films précédents étaient nommés par Siegfried et Kriemhilde, et même le second opéra de Wagner porte le nom du héros de Xanten. Ici, le protagoniste c'est Hagen, on adopte donc son point de vue. Ce n'est pas exactement nouveau, la poésie féringienne l'a déjà fait avec la Ballade de Högni. Toutefois, là où dans les Îles Féroé on a essayé de comprendre les actions bien établies du personnage, le film de 2024 (et le roman avant lui, j'imagine), change les faits, en ajoute d'autres, tord le reste, jusqu'à remodeler Hagen en un personnage qu'il n'est pas dans les sources.
Commençons par le plus trivial : son apparence. Il est beau, charmant, et on apprend que bien des femmes à la cour auraient bien aimé l'épouser, malheureusement, il n'a a jamais pris femme - inexplicable ! Il n'est même pas borgne au début du film ! Cet aspect iconique et indissociable du personnage est le résultat d'un combat contre un ami cher, Walther d'Aquitaine, au Waskenstein. Toutes les sources qui mentionnent l'origine de la blessure sont unanimes. Hagen ITDN fait survenir la blessure mi-film, d'un coup de masse d'un roi saxon. D'un point de vue purement meta, je trouve ça amusant que le seul épisode ou les sources font de Hagen un personnage honorable et juste n'a donc jamais eu lieu dans la diégèse du film qui essaye pourtant à tout prix d'en faire un héros tragique. Mais bref.
Le truc un peu con, c'est que Hagen est quasiment toujours décrit comme laid, pâle et étrange, ce qu'on met sous le coup de son ascendance : la rumeur prétend qu'il est le fils bâtard d'un loup ou d'un alfe. Cet aspect est donc jeté aux oubliettes. Or, vous allez rire, son lien potentiel avec les alfes est central au film... Au lieu de cette laideur caractéristique, Hagen de Tronje porte désormais des cicatrices sur son corps... des cicatrices mystérieuses... liées à plein de flashback sur son enfance... des flashback mystérieux...
On a plusieurs fausses pistes : lui et sa famille auraient été victimes du dragon que Siegfried tuera, mais en fait non, c'était des hommes qui ont incendié et tué tout le monde, et le dragon l'a sauvé, en fait. Pourquoi ? Parce qu'il est implicite que Hagen est un alfe, ou au moins un demi-alfe, que le père de Gunther a torturé enfant pour en faire "l'un des nôtres" et un "grand guerrier", et que les siens furent victimes de la purge des Êtres Anciens commise par les hommes dans un passé relativement proche.
Les Êtres Anciens, ou le paganisme en victime
C'est l'une des plus flagrantes inventions de cette version, toute l'intrigue autour des Êtres Anciens : alfes, nains, valkyries, dragons. Dans cette version, ce sont eux les Nibelungen, pas seulement le peuple nain du Nibelungenlied (pour en lire plus sur l'épineuse question de l'identité des Nibelungen dans les sources, c'est par ici), et les hommes, qui les craignent, se sont chargés de les chasser, exterminer, repousser aux franges du monde connu pour amoindrir leur pouvoir. On apprend que Brunhilde et ses valkyries n'ont pas choisi de vivre en Islande, elles furent contraintes d'y trouver refuge. Siegfried emmène Kriemhilde dans la forêt voir les ruines d'une palais ou une cité ou jadis Êtres Anciens et hommes vivaient en harmonie (il se pourrait que ce soit le lieu incendié dans le flashback sur la jeunesse de Hagen mais ce n'est pas confirmé par le film). Hagen explique pourtant aux Burgondes que les Êtres Anciens étaient plus sages, plus forts, plus puissants etc., et que c'est justement parce que Brunhilde et ses guerrières sont surpuissantes qu'ils ont une chance de battre les Huns.
Le film fait l'éloge de la supériorité des êtres surnaturels à tous points de vue, une supériorité reconnue et crainte par tous les personnages, alors qu'ils sont presque tous chrétiens, même Hagen. Ce n'est jamais dit, d'ailleurs, mais établi visuellement : on porte des croix autour du cou, on a une grande croix dans la procession de l'armée, on va à la messe à la cathédrale. Là où ça devient intéressant, c'est qu'on ne parle jamais non plus de paganisme, uniquement d'Êtres Anciens (Alte Wesen) voire Grand Ancien pour le dragon, un terme fourre-tout qui englobe ici tout le bestiaire légendaire pré-chrétien sous le parapluie "Nibelungen". Il n' a pas de païen, car plus personne ne prie ces entités, leur temps est déjà révolu. Même Siegfried ne les révère pas, bien qu'il aime passionnément Brynhilde et respecte intensément Alberich (que tout le monde craint). Non, ils appartiennent au passé et on les y a contraint, par la force et le massacre.
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Le dernier dragon que tuera Siegfried, et apparemment dernier "Grand Ancien" (Iä ! Iä ! Fa'Fhnir !) |
Clairement, l'ancienne coutume est devenue la victime innocente du monde des hommes, la preuve avec le personnage de Brunhilde qui perd toutes ses qualités vengeresses pour n'être plus qu'une victime de bout en bout, abandonnée par Siegfried, dupée par Gunther avec l'aide de Siegfried et Hagen, sans jamais rien faire pour réparer le tort, à part coucher avec Siegfried hors du lit conjugal, c'est à dire le pardonner.
Alberich, l'autre représentant le plus mis en avant de ces Êtres Anciens, et extrêmement intéressant. Son apparence, tantôt enfant, tantôt vieillard, tantôt "grand", tantôt petit, il peut apparaître et disparaître à volonté, c'est 100% tiré des sources et j'irai même jusqu'à dire que c'est sa représentation visuelle filmique la plus authentique que j'aie vu jusqu'ici. Comme quoi, je sais aussi faire des compliments ! Quant à son caractère, c'est pas si mal, en vrai. Il obéit loyalement à Siegfried car il est son vassal, mais ça ne veut pas dire que ça l'enchante. Parfait ! On est toujours proche des sources ! J'aime beaucoup la manière dont Alberich passe de figure humaine à souche d'arbre grâce au flou créé par différentes profondeurs de champ, c'est simple mais élégant, et rend bien l'aspect "apparition surnaturelle" sans passer par un nuage de fumée en CGI noire, ou verte fluo pour faire "magique". Sobre comme il faut.
Là où ça part un peu en tangente, c'est quand l'intrigue le glisse sur les rails de l'arc "passé mystérieux de Hagen" puisque non content de donner à celui-ci des éléments de backstory que sa mémoire avait refoulés, il révèle également que Siegfried a un point faible entre les épaules, là où tomba la feuille de tilleul. Là je suis plus mitigé. Le film va clairement montrer qu'Alberich prépare Hagen a son destin, à tuer Siegfried, on suppose pour venger le massacre du dragon (et probablement plein d'autres Êtres Anciens) par celui-ci. En fait, Hagen était sans le savoir le champion des Êtres Anciens.
Alors assumer à fond le côté fils d'un alfe, OK. Là... je sais pas trop... En plus, donner à Alberich cet éléments hyper important de l'intrigue, à savoir la divulgation du point faible, n'était même pas nécessaire puisque le film nous donne une autre scène, impliquant également Alberich, qui remplit la même fonction. Un doublon dont on se serait bien passé, mais j'y reviendrai. Et le côté messianique de Hagen... on me permettra de rigoler.
Cela trahit toutefois une vision du paganisme à l'opposé du diptyque de 1966. L'ancienne coutume est passée de religion des monstres coupables à victime innocente, deux points de vue antithétiques, et tous deux absents des sources. Thématiquement j'y vois un parallèle avec les réinterprétations modernes de la mythologie nordique comme les récents God of War ou la série animée Netflix de Snyder, Twilight of the Gods, où les dieux et héros habituellement positifs deviennent les bourreaux, et les géants, alfes et nains des peuples opprimés voire exterminés. Je ne serai pas surpris que la version longue de Hagen ITDN en série télé nous montre Siegfried génocidant les Êtres Anciens (on sait qu'il a tué le dernier dragon) pour le compte de son père, expliquant son stress post-traumatique et son ressentiment vis à vis de son père et des guerres de celui-ci. La réponse à la question de Kriemhilde au sujet des raisons qui ont poussé Siegfried à tuer le dragon se cache probablement dans ces parages.
Revisiter les scènes cultes
Je vais passer dessus brièvement, car c'est ainsi que le fait le film : le dragon est cool. On ne le voit quasiment pas, quelques plans très succincts seulement et souvent flous, en arrière plan, on le discerne à peine et pourtant ils lui ont donné un design original avec des cornes ressemblant à des bois de cerf. Dans les flashbacks on aperçoit sa silhouette dans les airs, de nuit, masquée par la fumée, finalement les mêmes techniques dont parlait Harald Reinl pour cacher la misère sur sa version. Sauf que contrairement au remake de 66, ici l'équipe ne se plonge pas dans le déni et accepte qu'il vaut mieux ne pas mettre le combat en scène. Il y a une véritable et énorme économie de moyens et une retenue qui cache sans doute des limites budgétaires, mais sait reconnaître ses faiblesses et joue plutôt sur la suggestion. C'est la manière intelligente et subtile de faire les choses, encore une fois à l'inverse totale du film de 66.
De plus, et ce n'est pas pour me déplaire, ne pas avoir de description de la rencontre, seulement celle du bain dans le sang et de la feuille de tilleul dans le dos, c'est s'approcher au plus près de l'angle d'attaque choisi par le poète du Nibelungenlied qui fait exactement cela, plutôt que d'aller chercher dans les sources scandinaves la scène de boum boum épique que toutes les autres adaptions ne manquent pas de placer. Est-ce voulu ou un heureux hasard ? En tout cas c'est surprenamment fidèle au poème, et c'est la version filmique la plus efficace, à mon sens, de cette confrontation mythique.
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Même pour quelques secondes, ils se sont fait chier à proposer quelque chose d'original. Franchement, 20/20. |
Curieusement, le film décide de changer l'origine de Balmung, l'épée de Siegfried. Elle est désormais forgée par Alberich plutôt que le forgeron mentor de Siegfried, Mime/Regin, à partir d'un fémur du dragon. Non seulement ça ne sert à rien dans l'intrigue, n'a aucun impact sur le scénario et sort de nulle part côté sources, mais maintenant on a Siegfried qui se bat avec une épée en os digne d'un méchant de Conan le Destructeur. Le téléfilm de 2004 avait choisi de faire son intéressant avec une Balmung en métal de météorite, j'imagine qu'il fallait renchérir. Soupire...
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Balmung en os version Conan. |
La mort de Siegfried est des plus intéressantes. Déjà, toute la fratrie burgonde est d'accord pour dire que c'est la seule solution, même Gernot et Giselher, une implication moins ferme dans les sources. La méthode reprend le contexte continental de la chasse, mais plutôt que d'avoir Hagen planter le héros dans le dos, au dernier moment il n'arrive pas à s'y résoudre et - twist ! - offre, à son ami un duel. Cela anoblit le geste de Hagen, car il s'agit d'un combat à la loyale et plus d'un assassinat dans le dos, une manière de redorer le blason du borgne que même la Ballade de Högni n'avait pas osé ! Après une lutte acharnée, Hagen arrive presque à noyer Siegfried dans le ruisseau (ce qui serait une manière très intelligente de contourner sa peau que le fer ne peut mordre, cela dit en passant) puis Siegfried reprend l'avantage. Hagen va périr... sauf que non, retwist ! Gunther intervient par surprise et plante bien Siegfried dans le dos.
C'est un choix curieux. Au final, le traître qui plante le héros dans le dos n'est plus Hagen, qui a failli mourir pour avoir été trop noble et voulu accomplir le méfait en duel, mais Gunther. Bien que commanditaire, Gunther n'est jamais le meurtrier dans les sources, parfois il n'est même pas présent. Toutefois il "prend part", en quelque sorte, dans la Ballade de Brynhild, en massacrant le cadavre à coups d'épée à la fin, histoire de dire que lui aussi il a fait sa part du travail. Son intervention ne sort donc pas complètement d'un chapeau, néanmoins... le rôle de Hagen est profondément altéré.
Ce n'est plus le meurtre commis par Hagen expliqué du point de vue de Hagen, comme dans la Ballade de Högni, non, Hagen est ici innocent du meurtre MAIS l'endosse publiquement pour dédouaner Gunther et préserver l'honneur du roi. Il déclare devant Kriemhilde et tout Worms que c'est lui le coupable, qu'il a tué le héros en duel. Donc quelque part ça ne change rien à l'intrigue, Kriemhilde peut le détester et tout comme dans le poème, mais avec un twist : il couvre Gunther et est, en définitive, un chic type trop bon trop con. Pas d’ambiguïté, pas de mensonges comme dans les sources : Hagen assume directement et sans ambage le meurtre... qu'il n'a même pas commis, un vrai bro.
Tout est sens dessus dessous, une fois de plus, les blocs narratifs des sources sont bien là, reconnaissables, mais on leur fait dire l'exact opposé. Dans ce cas précis, on peut au moins se dire que l'idée c'est qu'on nous présente "la vérité derrière la légende". Un peu comme le Roi Arthur d'Antoine Fuqua en fait. Brrr. Blague à part, c'est un twist intéressant et bien amené, à voir où ça mènera si on a un jour droit à la suite promise par le serment de Kriemhilde de venger son époux...
Enfin, j'aimerai évoquer la manière dont Gunther triche pour obtenir la main de Brunhilde. La cape d'invisibilité comme le Tarnhelm d'Alberich, et comme le trésor mythique, sont totalement absents du film, alors qu'Alberich et sa magie sont bien présents. Comme c'est un élément crucial de la triche pour conquérir Brunhilde, il a bien fallu compenser par autre chose, et cette autre chose sort (une fois de plus) complètement d'un chapeau. Un rituel inédit, pratiqué par Alberich, et qui donne à Gunther la force de Siegfried ET Hagen, au lieu d'avoir Siegfried qui fait tout à sa place en mode invisible - parce que Hagen il est important et doit être impliqué dans tout. Pour cela, le roi burgonde doit boire le sang des deux complices pendant qu'Alberich les "noie". Sauf que pour faire couler le sang, encore faut-il se couper. Vous la voyez venir, hein ? L'incohérence expliquée par le téléfilm. Bah ils refont pareil : Siegfried se coupe dans le dos, révélant son point faible. Encore une fois, c'est cool d'éviter à Kriemhilde de fauter par extrême stupidité naïveté en trouvant un autre moyen de percer le secret, mais... on a maintenant deux révélations, celle-ci, et celle d'Alberich à Hagen qui ne sert plus à rien. Cette scène du rituel donne l'emplacement à Gagen ET Gunther, logiquement et naturellement, c'est parfait pour la manière dont ils exploitent finalement cette faiblesse à deux, alors pourquoi ce doublon narratif ? Cela manque un peu d'élégance.
En l'absence de trésor pour attiser les jalousies et les cupidités, et puisque les reines n'ont visiblement plus de velléités à faire avancer l'intrigue, des piliers essentiels de l'histoire ont disparu, bien que l'architecture générale ressemble encore à à peu près à celle des sources. Pour éviter que tout ne s'écroule, il a fallu remplir avec du neuf : une guerre ancestrale entre les Êtres Anciens et les hommes, avec Hagen comme messie des alfes, et puis... des histoires de coucherie, et même des plans boobies. This isn't cinema, this is HBO.
Évidemment, ça peut se regarder sans déplaisir, les effets spéciaux sont réussis, les décors sympas, l'Islande c'est beau, mais petit à petit les éléments narratifs clefs de l'histoire sont aspirés comme Ortnit de son armure par des dragons affamés. La coquille ressemble encore à la Chanson des Nibelungen, mais l'intérieur est bien différent désormais. Je suis néanmoins extrêmement curieux de découvrir cette année la version longue en minisérie, qui expliquera peut-être les points d'ombre et dissipera éventuellement certaines de mes critiques.
Il n'en reste pas moins que si on apprécie le style de séries référencées au cours de l'article, ou de manière générale si on est sensible à la Fantasy telle qu'on la filme de nos jours, je pense qu'on appréciera Hagen - Im Tal der Nibelungen pour ce qu'il est : un film de Fantasy dark and gritty. Inspiré d'un roman. Inspiré du Nibelungenlied.
Bonus : Le Point Bande originale
On doit la musique de ce film à Jacob Shea et Adam Lukas, et j'imagine que le cahier des charges c'était : MODERNE. Dont acte. La BO qu'on nous sert est une bouillie de synthé et d'instruments à cordes (sans doute synthétiques) en mode Ramin Djawadi du pauvre (malheureusement aucun art de la progression comme peut faire montre Djawadi), des effets sonores et vocaux "tribaux" façon Last Kingdom ou The Northman (deux BOs que j'apprécie par ailleurs), mais commandés sur Wish (on est loin des performances vocales d'Eivør sur les projets sus-mentionnés). Aucun thème, leitmotif ou même mélodie mémorable ne ressort de la soupe générique au possible, on s'emmerde ferme. C'est de la BO cliché moderne de Viking Fantasy, par les troisièmes couteaux de l'ère post-Zimmer, du sound design peu inspiré plutôt que de la musique, à base de bwaah quand c'est épique et de violoncelles passe-partout, de chœurs synthétiques et de percussions... .mp3. Autant je m'attendais au pire pour ce film sur la base de sa bande-annonce, et j'en ressors avec un avis nuancé, autant côté musique j'espérais au moins le minimum syndical, efficace à la manière d'un Stockholm Bloodbath (produit par Lorne Balfe, ça donne le ton) dans un style similaire, or on m'a servi pire que ce que je craignais. Déçu de ne pas être déçu. Mais après, ça reste une question de goûts.
J'en retiens que tout n'est pas si mal ! :D
RépondreSupprimerPlus sérieusement, visuellement c'est une catastrophe : outre les costumes dégueulasses, les couleurs sont horribles sur les quelques screens. Et les Valkyries sont le summum du mauvais goût barbaro-fantasy. On dirait des Norses de Warhammer, après qu'ils aient perdu leur distinction d'avec les maraudeurs du Chaos. Impressionnant aussi, à quel point on a des persos féminins peu importants alors que justement la littérature médiévale et après romantique avait tendance à créer des persos féminins soit puissants (Brunhilde, Bradamante, Marfisa, Britomart), soit moteurs (les Iseut, Angélique, Melissa, etc).
Ah non tout n'est pas si mal, et on arrive encore à reconnaître l'histoire sous les couches sombres et sales et gritty. Ta description des valkyries est parfaite haha ! Non les costumes sont souvent risibles de cliché des années 2010-20. Et puis ce pullover de Siegfried bons dieux 😫
SupprimerMais le massacre de Brunhilde et Kriemhilde fait moins rire que mal au cœur... et perpétue l'idée que'on ne trouve pas de personnage féminin fort dans les sources médiévales et renaissance, alors que comme tu le dis, il y en a plein et des bien badass ! On verra si la version mini-série développera ces personnages, avec je sais pas... des interactions entre elles, à un moment ? 🙄
Mais si tu veux voir une véritable catastrophe, check la version avec le cochon... 👀