vendredi 26 juin 2020

Le Projet Vineta

Il est temps pour moi de vous parler du Projet Vineta.

Déjà, avant de me lancer dans le vif du sujet, ce n'est évidemment pas le vrai nom du manuscrit en cours, ni même son vrai titre de travail (qui est Heldenzeit), mais c'est ainsi qu'il m'a travaillé pendant des années. Dès 2010, j'ai replongé dans les littératures légendaires et mythique européennes, en particulier sur tout le pourtour de Baltique et l'ensemble de l'espace germanique. Relire des classiques et découvrir de (nombreux) autres récits jusqu'ici inconnus ou méconnus n'a pas manqué de stimuler ma fibre créatrice. Un ensemble nébuleux d'idées s'articulait alors autour de la légende de Vineta, et longtemps j'y songeais sous le titre de Projet Vineta. Vers 2012 je commençais à faire des essais, des textes courts, parfois juste quelques paragraphe, pour réussir à capturer le "ton" que je désirais, celui de Pax Europæ ne collant pas au matériau de base. Je créais même ce blog, mais ne l'exploitais pas. Il a dormi pendant 8 ans, à l'image du Projet Vineta lui-même.

Qu'est-ce qui a changé ? Déjà, il y a quelques années de ça, j'ai lu la Saga de Hrolf Kraki, de Poul Anderson. L'auteur a admirablement employé les différentes sources (saga éponyme, Gesta Danorum de Saxo Grammaticus, etc.) sur le héros Hrolf Kraki pour les assembler en un tout cohérent. En effet, les sources médiévales et les différentes itérations d'un même héros, motif ou légende, regorgent souvent de variations parfois réconciliables facilement, parfois nécessitant d'ingénieuses excuses et passerelles pour expliquer les incohérences. Ce n'est pas un exercice facile, mais lorsqu'il est bien exécuté, il récompense le lecteur et procure une grande satisfaction. Quelqu'un qui ne connaîtra pas ou mal ces sources sera content de lire une bonne histoire, mais le lecteur éclairé trouvera les références, s'amusera de certaines explications ou réinterprétations, voire appréciera l'habileté de l'auteur en connaisseur. C'est ce que j'ai ressenti en lisant Poul Anderson, j'ai sincèrement admiré son travail d'harmonisation astucieuse des sources, et sa capacité à imiter le style simple mais percutant des sagas. Et forcément ça m'a inspiré. J'ai également apprécié ces mêmes qualités dans l'écriture des premières saisons de la série télé Vikings, dont on pouvait clairement identifier les différentes sources médiévales (Saga de Ragnar Lodhbrok, Gesta Danorum (encore), récits de voyage d'Ibn Fadlân, chroniques franques, etc.), intelligemment connectées, bien que les auteurs de la série aient fini par abandonner ça pour faire... autre chose... Quoiqu'il en soit, aussi bien à l'écrit qu'en série, l'idée d'harmoniser de multiples sources anciennes en un seul récit cohérent me stimulait.

Dietrich de Bern met une fessée à Siegfried. En crachant du feu.

Je n'ai pas commencé de suite à me remettre à planifier le Projet Vineta, mais j'ai relancé mes lectures préparatoires, sans que cela ne décolle vraiment. J'ai concentré mes efforts d'écriture sur Pax Europæ, tandis que mes lectures s'orientaient clairement vers Vineta. Et puis, il y a quelques mois, j'ai lu The Legend of Brynhild, de Theodore M. Andersson (rien à voir avec Poul), un ouvrage universitaire étudiant le cycle héroïque du triangle Brynhild / Sigurd / Gudrun. Après quelques dizaines de pages je savais qu'il me fallait un carnet et un stylo, et les prises de notes studieuses ont commencé. Pourquoi ce livre, plutôt qu'un autre, a-t-il été un déclencheur ? C'est simple : son étude minutieuse et surtout comparative de chaque source, avec une grande clarté. Exactement ce qu'il me fallait !

Clairement, ces dernières années, le Projet Vineta s'orientait vers une émulation de Hrolf Kraki, mais avec Sigurd / Siegfried, et des invités de luxe comme Dietrich de Bern. Le livre d'Andersson m'a donné le bout de fil sur lequel tirer pour enfin m'attaquer à cette pelote intimidante que sont les nombreuses sources autour de ce héros. De fil en aiguille j'ai réussi à me plonger sérieusement dans les sources primaires et secondaires qui abondaient déjà sur mes étagères, mais aussi à en découvrir d'autres, plus obscures mais qui s'imbriquaient dans une immense tapisserie légendaire se déroulant sous mes yeux. Soudain Siegfried n'était plus le héros, il était un héros, faisant partie d'un grand ensemble tout aussi fascinant (les lecteurs de Pax reconnaîtront un motif narratif que j'apprécie).

Maître Hildebrand observe Dietrich de Bern défonçant UN DRAGON en crachant du feu. DU FEU.
D'un coup l'ambition du projet a changé d'ampleur. Je voulais rendre hommage à cette tapisserie plutôt qu'à un fragment isolé, je voulais mettre plus de Dietrich de Bern, injustement oublié, et d'autres héros eux aussi négligés tel qu'Ortnit et Wolfdietrich, Biterolf et Dietleib, Walther d'Aquitaine, Hildebrand et Hadubrand, Ermrich, Witege... Harmoniser des sources contradictoires - ou complémentaires ! - à la manière d'un Poul Anderson avec Hrolf Kraki. C'est évidemment une ambition conséquente, mais j'ai maintenant pris suffisamment de notes pour me sentir prêt à écrire. Trouver le style, le ton adéquat, sera le défi premier. Au moment où j'écris ces lignes, un premier jet de chapitre 1 est rédigé, je vais voir avec quelques bêta-lecteurs si c'est la piste à creuser ou un faux départ. Mais ça y est, le Projet Vineta est lancé ! (Edit de mars 2024: et à l'heure où j'ajoute ceci, le manuscrit dépasse les 1 300 000 signes espaces incluses)(Oui, on peut dire que c'est lancé, en effet.)

Je vais continuer à utiliser parfois ce titre de Projet Vineta sur ce blog et sur Facebook, mais soyons clairs, comme je l'ai dit, ce n'est évidemment pas son vrai nom, ni même son titre de travail, parce que le titre de travail c'est Heldenzeit Projekt... aussi ai-je commencé à parler de plus en plus de Heldenzeit. Ce livre n'aura - a priori - pas de rapports (direct) avec Vineta... mais il y aura probablement des passerelles discrètes. Si ce projet fonctionne et plaît, l'idée de faire le tour de la mer Baltique est toujours bien présente, et quoi qu'il arrive la légende de Vineta aura droit à un texte de ma part, d'une façon ou d'une autre. Heldenzeit est pour moi une tentative d'écrire dans un registre radicalement différent de Pax Europæ, et potentiellement d'ouvrir une porte vers, eh bien, ce que le Projet Vineta était à l'origine. Qui sait, si j'arrive à boucler Heldenzeit de manière satisfaisante, je laisserais peut-être les légendes germaniques tranquilles afin de poursuivre mon exploration de la mer Baltiques plus à l'Est ? Et Heldenzeit ne sera alors qu'une partie d'un ensemble plus vaste, le Projet Vineta...

Mais cela n'est pas d'actualité.

Une chose après l'autre.