mercredi 30 juin 2021

Violences et maltraitances dans le Projet Vineta

Avec un titre pareil, rangez les ballons colorés et les cotillons, on ne va pas beaucoup rigoler, ce coup-ci. On ne va pas forcément non plus aller dans le détail, car c'est un sujet extrêmement vaste, d'autant que les sources regorgent littéralement de violence, d'abus et de maltraitance, aussi bien physiques que psychologiques : viols*, tortures, manipulations, inceste, choix qui n'en sont pas, etc. Mon propos, dans ce billet, ce ne sera donc pas de développer un catalogue exhaustif, mais plutôt de réfléchir à mon approche du sujet, à travers un exemple précis : la relation entre Seyfrid et Witege.

Avant de commencer, je me dois de préciser une chose : dans le Projet Vineta, Seyfrid a un passif de brute et de gros con. Comme je sais que cela peut surprendre au premier abord, je vais prendre le temps d'expliquer d'où ça vient.

Selon les sources, Sigurd/Siegfried a deux enfances bien distinctes. Dans celles majoritairement de tradition scandinave, il est un prince parfait, bon, gentil, Gary Stue. Les Nibelungen adopteront la même approche, parce qu'ils en font un héros courtois et que bon, ça vient avec des prérequis. Mais une partie de la tradition continentale, notamment la Þidrekssaga et le Hürnen Seyfrid, ainsi que quelques autres références, racontent une autre histoire, probablement plus archaïque... où notre jeune héros est ce qu'on appellerait aujourd'hui un bully, qui harcèle les servants et apprentis comme une brute de cour d'école, en toute impunité. C'est un connard, à tel point que le forgeron qui s'occupe de son éducation essaye de le piéger afin qu'il se fasse bouffer par des dragons (dans les versions scandinaves, le forgeron Regin veut le trahir pour d'autres motifs). 

L'une de ses victimes est alors le forgeron Velent, encore enfant à cette époque, maltraité physiquement au point que son père Vadi le retire de la forge de Mime pour lui donner son éducation ailleurs. On a donc un Sigurd tellement méchant qu'un parent d'élève a changé son fils d'école, en gros. Cela vous donne le niveau, et éclaire à quel point on est loin du Gary Stue des versions scandinaves et des Nibelungen. On s'étonnera donc moins de trouver Siegfried comme un antagoniste dans la plupart des récits impliquant Dietrich (dont Witege est un compagnon). Dans la Rabenschlacht, Siegfried va jusqu'à se battre pour l'immonde Ermrich, empereur cruel et fratricide, et Némésis de Dietrich. Cela n'a aucun sens d'un point de vue "géopolitique", si on me pardonne l'expression, ni même dans le parcours littéraire de Siegfried, mais on conviendra que c'est bien là la place idéale d'une brute épaisse : au service du monstre de l'histoire.

Alors oui, il change, il passe les épreuves initiatiques, devient un homme, tout ça, tout ça. Mais j'avais envie d'élaborer sur ce thème à travers un mécanisme de survie malheureusement fort commun des victimes de ce genre de connards : la réplication. On répète, on imite, on devient une brute soi-même pour se protéger d'abord, pour résister, et, comme souvent on ne peut pas affronter plus fort que soit, on se tourne vers les autres... Les sources n'explicitent jamais précisément pourquoi Seyfrid se comporte ainsi, néanmoins, on a généralement un résumé de son lignage (procédé classique du genre) et donc on sait que son père est mort, sa mère en a bavé, a donné naissance au héros en exil, bref, ils sont apatrides, ils ont été trahis par plus ou moins de personnes selon les sources. Seyfrid et sa mère ont une vie de merde, et ont énormément souffert. Seyfrid sait qu'il lui incombe la responsabilité de venger son père et reprendre ses terres, mais il n'est qu'un enfant, sans pouvoir, sans choix, et à qui il semble qu'on ne "fait rien" pour restaurer le bon ordre des choses. La causalité entre ce conflit et son comportement n'est jamais explicite dans les sources, mais me paraît évidente, c'est pourquoi j'ai trouvé très intéressant de l'explorer. C'est l'impuissance de Seyfrid qui le transforme en brute et en bully.

Or, s'il parvient à accomplir son parcours du héros, cela ne se fait pas sans conséquences, ni sans victimes. Dans la Þidrekssaga, Velent se fait malmener par lui, avant de finir ailleurs (ce qui ne va malheureusement pas le préserver des brutes et d'agresseurs en tout genre, torture et mutilations à la clef...). Son fils, Witege, voyant ce que la profession de forgeron a apporté comme malheur physique et mental à son père, refuse de le suivre dans cette voix et préfère devenir... un guerrier. En soit, il est déjà intéressant de constater que le fils ne veut pas de la faiblesse du père et choisit la voie qui le garantie d'être du bon côté de l'épée. 

Pour le Projet Vineta, j'ai triché, je l'admets, et j'ai fait en sorte que ce soit Witege qui soit maltraité et, par conséquent, décide d'arrêter sa formation de forgeron pour choisir la voie du guerrier (tout en gardant également ses réserves vis à vis de l'expérience de vie pourrie de son père.) Déjà parce que chronologiquement, Seyfrid ne peut pas avoir maltraité le père (Velent) lorsqu'il avait 9 ans, puis côtoyé le fils (Witege) dans sa vingtaine en la compagnie de Dietrich, sans être un homme très mûr... or Sigurd/Siegfried meurt jeune. Il était donc logique de faire cette pirouette qui ne trahit pas les personnages mais colle mieux chronologiquement parlant. 

Cela ne change presque rien vis à vis des sources, mais pour moi, c'est génial ! Le bourreau et la victime se retrouvent des années après et tandis que Seyfrid va de l'avant, travaillant à faire une personne meilleure de lui-même, on voit Witege qui est devenu un guerrier redoutable, mais surtout un survivant. Il a des principes, ce n'est jamais remis en cause, et pourtant trahira son meilleur ami au moment fatidique simplement pour... rester du bon côté de l'épée. Il aura dans de nombreuses sources la fâcheuse réputation d'être à la fois l'un des meilleurs guerriers de son temps... et un "tueur d'enfants" (comprendre de jeunes guerriers comme Alphart, voire verts et inexpérimentés, clairement déclassés face à lui, comme Erp, Ortwin et Diether lors de la bataille de Ravenne). Inutile de préciser que les actes qui lui valent cette réputation causeront à leur tour bien des malheurs.

Witege et Heime ont promis à Alphart qu'ils l'affronteraient honorablement, l'un après l'autre. Maaais... Witege est prêt à tout pour survivre, y compris s'asseoir sur sa parole immédiatement après l'avoir donnée et frapper un ancien ami par derrière. Alphart, le héros ici en doré, meurt trahi, à deux contre un. Remarquez les outils de forgeron sur le bouclier du guerrier en rouge : c'est le blason de Witege, fils du forgeron Wieland. (Peinture de Max Koch)

L'abus, psychologique ou physique, a la fâcheuse tendance à se répercuter de victime en victime, la plupart du temps sans que les personnes concernées s'en rendent compte. Voilà ce qui m'intéressait avec Witege : confronter Seyfrid le héros qui a vengé son père, repris son royaume et tué le dragon, à Witege qui... est devenu une brute qui n'hésite pas à tuer des jeunes gens et trahir son meilleur ami, si cela lui permet de simplement survivre un peu plus longtemps, comme l'expérience horrible de son père lui a appris. (Oui parce que dans le genre victime changée en bourreau psychologiquement et physiquement sadique, Velent/Wieland/Völund, il se pose là. Mince, j'ai quand même fait une blague, finalement)

Je finirai en disant que, à un âge relativement jeune, en école primaire, j'ai eu affaire à des jeunes Seyfrid, et qu'il m'aura fallu beaucoup de temps et d'errance pour ne finir ni en Wieland, ni en Witege. C'est difficile de travailler sur soi-même pour ne pas répéter les schémas ni intérioriser les mécanismes de violences. C'est ce qui fait que Seyfrid est un héros : il traverse ces épreuves pour arriver à une version meilleure de lui-même. Pas parfaite, bien au contraire, mais pas une copie de ses bourreaux non plus. Il a réussi à casser le cycle. Witege, lui, a échoué.

Si vous connaissez l'originale, et son sujet, vous comprendrez pourquoi cette chanson.

*Le sujet du viol aura droit à son billet à part.

dimanche 20 juin 2021

Vineta : Année 1.

Il y a un an, très exactement, après des années de réflexion et des mois de recherche active avec prises de notes, je me lançais dans l'écriture du Heldenzeit Projekt / Projet Vineta.

Par le passé, j'avais fait des tentatives, jamais abouties malheureusement. La recherche d'un ton, d'un style propre au projet m'entravait particulièrement. Le focus autour de la mer Baltique a, avec les années, lentement glissé sur le légendaire germanique, avec des liens et passerelles vers la Baltique que je pourrais exploiter plus tard si l'envie m'en prend et que ce projet est une réussite. En attendant, je me concentre sur l'Axe Scandinavie - Lombardie et je me fais - enfin ! - plaisir. Car oui, cette tentative est la bonne, je suis parvenu à dépasser les quelques pages de mes essais précédents. Quel soulagement !

Il faut dire que ce n'était pas gagné. Quelques mois à peine après avoir démarré cette machine si poussive à lancer, j'ai subi en août un revers personnel extrêmement difficile, me forçant à déménager et à passer en mode survie, reléguant l'écriture au second plan. Cela aurait pu complètement tuer le projet dans l'oeuf et me ramener au point de départ (un point sur lequel je traînais depuis 2012), et pendant quelques mois, cela semblait effectivement le cas. La loi des emmerdements maximum m'a tenu loin du texte plusieurs mois, et ma stabilité (financière, sociale, émotionnelle, médicale) tremblait sur ses bases, menaçant de s'écrouler. Et pourtant, malgré tout, je lisais, je prenais des notes "au cas où", espérant que le projet ne coule pas à pic à cause de ces revers de fortune.

Finalement, qu'on se rassure, lentement mais sûrement je surmonte cette série noire, et l'écriture a pu reprendre. Mes nombreuses notes m'ont permis de rester immergé dans le projet et la reprise, si elle ne fut pas "aisée", resta au moins tout à fait naturelle. Il faut dire que je n'ai jamais pris autant de notes préparatoires pour un projet, j'ai probablement plus écris dans mon carnet que toutes les notes manuscrites de Pax Europæ réunies... La méthode de travail est très différente, puisque je me base sur des sources primaires, qu'il me faut donc lire, et des sources secondaires, qu'il me faut lire aussi, pour être sûr de bien comprendre et d'appréhender comme il faut les sources primaires. Il ne suffit pas, comme dans Pax, de scribouiller pleins d'idées, il faut, avant cela, bûcher le sujet en profondeur et ensuite réfléchir à ce que je peux faire avec, comment je peux l'exploiter etc. Surtout lorsque cela implique de réconcilier plusieurs traditions contradictoires ! Avant d'élaborer des retcons, il faut déjà bien appréhender les "vraies" versions.

Nous voilà désormais un an après. Si cela avait été un hasard pour Pax Europæ, le choix de démarrer l'écriture le jour du solstice d'été (en 2020 c'était le 20 juin, bien qu'en général ce soit le 21) fut cette fois-ci parfaitement voulu. Je n'ai pas eu à attendre, puisque cela correspondait à peu près à la fin de ma lecture de l'excellent The Legend of Brynhild qui m'a littéralement ouvert la porte du projet, cela tombait donc bien. Je souhaitais placer ce texte sous le même auspice que son prédécesseur, et pour le moment ça ne lui réussit pas trop mal.

Alors où en suis-je après un an d'écriture, certes pas continue, mais tout de même (les prises de notes sont tellement essentielles que même si ça ne gonfle pas le fichier word, cela reste indispensable et je ne compte pas ces mois à griffonner dans le carnet comme une pause, loin de là) ?

Le fichier fait 139 pages, 95 960 mots, 555 402 signes espaces incluses. 14 chapitres écrits, 2 entamés. J'estime qu'il faudra entre 21 et 25 chapitres pour conclure, à ce rythme, le premier jet devrait être sous l'oeil des relecteurs avant le prochain solstice d'été. Evidemment, vous me connaissez, ça pourrait demander un peu plus... Mais bon, soyons positifs !

Un très beau solstice d'été à vous tous qui suivez ce projet ou vous égarez ici par hasard ! Moi je dois me dépêcher de poster ce message, avec la chaleur qu'on se tape en Scanie, mon ordinateur souffle comme un veau et je commence à craindre le pire, haha !

Ha.....ha...

Envoyez des glaces, svp.