mardi 31 octobre 2023

Suites, remakes, reboots : le mal hollywoodien sur vélin

Bon, je vous avais promis un article rigolo il y a... longtemps. Au lieu de ça, il n'y a eu que viols, meurtres, trahisons et autres abus psychologiques au menu. Mais cette fois, c'est bon promis, on est là pour rigoler.*

Non, vraiment !

Vous savez pourquoi j'aime lire des sagas, des gestes et des ballades médiévales ? Parce que je suis lassé d'Hollywood. Hollywood, c'est LA source de divertissement de notre temps, et avouons-le, ils ont tendance à faire n'importe quoi, et ça a fini par me lasser. C'est vrai quoi, déjà ils n'ont plus une goutte d'imagination ou d'innovation : tout n'est que remake, adaptation, suites, crossovers... et quand Hollywood aime un film étranger, au lieu de se contenter de le sous-titrer ou doubler, on refait le même film en anglais en replaçant le contexte aux US, bravo l'originalité ! Ah c'est pas les sources médiévales qui feraient ça. Et les suites, parlons-en. Des fois, ça n'a aucun sens, genre... Highlander 2

Déjà, pour rappel, le concept du premier Highlander, c'était qu'il existe des immortels en compétition les uns avec les autres, où ils doivent décapiter leur adversaire car c'est le seul moyen pour eux de mourir, et le vainqueur, le dernier qui n'est pas mort donc, gagne le prix... soit la mortalité. Donc il va finalement mourir quand-même, mais plus tard. Super, le concours ! Mais bref, Christophe Lambert est le highlander dans un film de fantasy urbaine dans le présent (des années 80), son mentor égyptien avec un nom espagnol et un accent écossais, c'est Sean Connery, qui meure tragiquement, et à la fin, il ne peut en rester qu'un... et c'est Lambert qui est devenu mortel, donc voilà, les immortels, c'est fini... Sauf que voilà, Highlander 2. Lambert toujours immortel, dans un futur SF sous des dômes parce que la couche d'ozone a disparu, ah et en fait y en a encore plein d'autres des immortels, ah et Sean Connery n'est pas mort. Ah et en fait les immortels sont des extra-terrestres de la planète Zeist. Je déconne pas. Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? On est d'accord, ça sort de nulle part, ça n'a rien à voir avec le ton... heureusement que les sources médiévales nous épargnent ce genre de délire, n'est-ce pas ?

N'est-ce pas ?

Bon, vous l'avez sans doute senti venir, la vérité c'est que rien n'a changé, et que tout ce qu'on reproche au cinéma moderne, a fortiori Hollywood, on le retrouve dans mes très chères sources. Et pas juste occasionnellement, non, non. C'est extrêmement courant. Les crossovers, les adaptations, les remakes, les suites foireuses... tout y passe ! Commençons en douceur avec une suite tirée par les cheveux avec une chronologie bancale : la saga de Ragnar Lođbrok.

Là on part sur une suite forcée. En effet, la saga de Ragnar est liée à celle de Sigurd (Ragnar épouse Áslaug, la fille de Sigurd et Brynhild), alors que chronologiquement ça ne fonctionne pas du tout. Sigurd meure avant Atli (Attila), or celui-ci meure en 453, alors que Ragnar est censé avoir fait le siège de Paris en 845... on va dire que Ragnar aime les femmes très matures, hein, et qu'Áslaug est la reine des cougars. Donc quand on se plaint de Braveheart et de la romance entre William Wallace et une princesse française qui, en vérité, avait deux ans à ce moment-là, vous voyez, les sources anciennes ne se privent pas non plus de jouer sur une timeline élastique. Bon, en vrai, tout Braveheart est à côté de la plaque historiquement, mais jouissif dans sa mise en scène des combats et des drames personnels. Ce qui est le cas de la plupart des sagas, quand y réfléchit bien. Des éléments véridiques laissant volontiers la place à l'exagération pour faire une bonne histoire, souvent bien orientée. La Heimskringla Saga, l'Histoire des Rois de Norvège (y compris le gros morceau concernant Olaf Tryggvason, utile pour Heldenzeit), en est une parfaite illustration. Beaucoup de vrai, mais beaucoup de bullshit aussi.

En vrai, ce lien dont je parlais, avec Áslaug, est vraiment fait pour connecter au chausse-pied la saga et celle des Völsungs, dont elle pompe d'ailleurs des éléments qui, de fait, se répètent, parfois en détail, comme Ragnar tuant un serpent géant... en se cachant dans un trou pour frapper par-dessous... quand le serpent va boire à la rivière... et sa mort badass en chantant dans la fosse au serpent ? Bah c'est la mort de Gunnar en fait. Sans vouloir faire mon grincheux, ça se voit, auteur anonyme, que tu as pompé sur ton voisin et que tu aimes la Saga des Vöslungs. Là on est même sur du bon soft reboot qui tache. Jurassic World est fier de toi.

Après la volonté de se rattacher à une saga renommée et de qualité en espérant que, de facto, les gens nous apprécient à la même valeur, c'est un peu comme quand Joel Schumacher essaye de nous faire croire que Batman Forever est la suite des Batman de Tim Burton parce qu'il a gardé l'acteur jouant Alfred et... euh... celui du commissaire Gordon... et c'est tout. Lier Ragnar à Sigurd via ce mariage improbable à la fille de celui-ci, et bien dans les faits ça ne sert à rien, ce n'est pas une continuation de l'intrigue de la Völsunga Saga (qui n'en a pas besoin). C'est juste pour le prestige, la crédibilité de la rue. Hollywood aime bien affubler cette roublardise marketing du terme "legacy". Les poètes médiévaux le faisaient sans se poser la question ni le justifier: c'était juste un outil de plus dans leur arsenal.

Puisqu'on parle soft reboot, on pense forcément Le Réveil de la Force. Il y a les innombrables reprises de l'intrigue d'Un Nouvel Espoir, bien sûr. Mais évoquons plutôt la surenchère pénible : quand le Premier Ordre sort de son chapeau une troisième Étoile de la Mort - ah pardon, non, Starkiller Base - elle ne peut pas détruire une planète, non, elle détruit UN SYSTÈME SOLAIRE en tirant à travers TOUTE LA GALAXIE (cumulant ainsi deux super-armes cheatées de l'ancien Univers Étendu en une seule, toutes mes félicitations aux scénaristes pour cette idée de naze !) Les amateurs des premiers Fast and Furious se demandent sans doute comment on est passé d'un film assez convenu et "réaliste" de flic infiltré dans le milieu des courses automobiles illégales, à Vin Diesel déroutant des torpilles à la main et lâchant des punchlines DANS L'ESPAAAACE !! 

De la même manière un lecteur du Hürnen Seyfrid se demande si passer du héros affrontant un dragon, à un contre un dans une scène d'anthologie, à un tueur de dragons qui les enquille par douzaines, c'était vraiment pertinent. Sans déconner, après le meurtre du premier dragon dans un épisode qui rappelle encore les sources plus anciennes, notre héros tombe sur... une horde de dragons et reptiles sauvages. Il arrache donc des arbres (à mains nues, cela va de soi), leur jette à la gueule et y met le feu... PUIS il va délivrer Krimhild d'encore un autre dragon, sauf que cette fois il vole et crache du feu... et là, le dragon il appelle à l'aide SOIXANTE DRAGONS VENIMEUX et là...

(Et je parle même pas du géant qu'il doit également se farcir.)

Hollywood ne ressens aucune honte dans sa surenchère, les poètes médiévaux non plus.

Après, cette surenchère participe, dans le Hürnen Seyfrid, au côté pastiche assumé qui se moque gentiment de son modèle, la Chanson des Nibelungen. Et dans le genre, il y a d'autres sources plus ou moins burlesques, comme par exemple le Rosengarten zu Worms, qui est littéralement un spin-off des Nibelungen, qui reprends les personnages principaux, mais sur le ton de la blague (Siegfried connu pour chasser les lions à mains nues puis les pendre aux arbres par la queue, détail par ailleurs également présent dans le Hürnen Seyfrid, ou encore Krimhilde qui doit accepter de se prendre une bise d'un moine si mal rasé que l'irritation lui fait saigner des joues, haha, qu'est-ce qu'on se marre!), et le Biterolf und Dietleib où le roi Biterolf se voit refuser par son épouse d'aller rejoindre Dietrich (ah, les bonnes femmes m'voyez!) alors il fuit pendant la nuit, genre drap par la fenêtre (les deux sources tournent d'ailleurs autour d'intrigues à base de tournois, contexte idéal pour croquer plein de personnages à la fois). 

Donc si vous faites partie des gens qui n'ont pas forcément apprécié de passer du Thor shakespearien de Kenneth Branagh prenant son sujet au sérieux, aux Thor : Ragnarok et Thor : Love and Thunder grand-guignolesques de Taika Waititi, et bien sachez que des poètes rigolos sont passés du Nibelungenlied au Rosengarten zu Worms, au calme. En parlant de Waititi, maintenant que j'y pense, une bande d'anti-héros égoïstes dans des aventures pulp pleines de créatures fantastiques, mêlant humour et drame, en fait l'escapade de Dietrich aux Dolomites dans Laurin c'est un peu les Gardiens de la Galaxie.

Ah oui, je confirme, c'est bien Dietrich dans Laurin.

Bon, et les remakes qui servent uniquement à ne pas devoir traduire, alors ? Genre Rec / Quarantine ou Funny Games. Et bien ça se faisait aussi, figurez-vous. Exemple : la Chanson de Roland version allemande. Pas une traduction pure, ni une transposition d'un style à un autre, comme la ballade norvégienne Rolanskvadet, qui adapte la chanson au format de ballade scandinave et dont la mélodie a survécu jusqu’à nos jours, pour notre plus grand plaisir. Non, une réécriture qui ne s'éloigne pas de son modèle. J'ai nommé : La Chanson de Roland du père Conrad, une adaptation allemande, entre traduction et réécriture, donc, mais relativement fidèle. Beaucoup plus fidèle, en tout cas, que les suites à la Chanson de Roland.

Comment ? Ah, oui, oui, les suites.

Comment ça, tout le monde est mort sauf Charlemagne ? Et ce genre de détail devrait se mettre en travers d'une bonne histoire ?

Hollywood pense que non. Et les Italiens non plus.

Déjà, la solution est évidente : soit en fait votre personnage était pas vraiment décédé (et là je digresse de ma métaphore filée sur le cinéma pour faire les gros yeux à Michael Crichton et son Le Monde Perdu, qui fait revenir Ian Malcolm d'entre les morts parce que ta gueule c'est magique... RIP, Michael, mais gros yeux quand même), soit faite des préquelles. Star Wars, Le Seigneur des Anneaux, Harry Potter, tout le monde fait des préquelles, et elles sont systématiquement adorées par tous, haha... ha. Bon, OK, le problème, c'est de réussir à capter ce qui fait la magie de l'original, tout en renouvelant la formule, sans pour autant trop s'éloigner, sinon ça râle, ah et y aller molo sur le fan service (sans oublier d'en mettre quand même, sinon ça râle). Essayons voir !

Qu'est-ce qui vous vient à l'esprit si je vous dis Chanson de Roland ? Un peu d'intrigue politique, l'arrière garde de Charlemagne attaquée à Roncevaux, Roland qui refuse d'appeler à l'aide jusqu'à ce qu'il soit trop tard, les combats épiques où on tranche des chevaliers en deux d'un coup de lame (et leur cheval avec, du même coup, tellement on est badass), le héros soufflant finalement dans son oliphant, si puissamment que l'écho résonne dans les montagne pendant des jours, des braves qui s’évanouissent... beaucoup... vraiment beaucoup... l'épée légendaire Durandal, que Roland veut briser contre un rocher afin qu'elle ne tombe pas aux mains sarrasines, mais c'est le rocher qui se fend en deux... Charlemagne qui s'arrache la barbe de chagrin sur le corps de Roland... il y a certes pas mal d'exagération, mais on n'est pas au niveau du Seyfrid à la peau de corne qui se farcit un milliard de dragons et de géants. L'ensemble reste ancré dans une réalité - augmentée, certes - mais relativement tangible. Pour de l'épopée quoi. On ne part pas en mode Narnia pour voir les Francs s'envoler à dos de griffons, par exemple. On est d'accord, ce serait un poil excessif.

Les Italiens pensent que non.

Les Italiens, ils ont écrit Roland Amoureux et Roland Furieux. Une trilogie, ma foi, voilà qui est très à la mode !

Déjà, ils trouvaient que ça manquait de cul, et ils y ont remédié. D'ailleurs, ça c'est une astuce de suite / remake qu'Hollywood connaît bien. Non seulement il faut toujours plus spectaculaire, mais si on peu rajouter de la chair moite en plus, ça ranime l'intérêt d'u(n certain) public. Et puis, soyez honnête, en lisant le bain de sang final de Roncevaux, qui n'a jamais posé son livre pour se dire : tiens, je me demande ce que ça donnerait de voir Roland en prise à un triangle amoureux ? 

Et puisque surenchère il doit y avoir, les seuls sarrasins ne suffisent plus : rajoutons géants, hippogriffes (avant que Poudlard soit cool!) et fées à tabasser, ah et puis forcément un dragon, ça a bien marché pour Seyfrid ! On a des magiciennes et magiciens (dont carrément Merlin, excusez du peu, il faut dire que ce genre de cross-overs est plus facile à mettre en œuvre quand les personnages ne sont pas des propriétés intellectuelles de grosses compagnies riches comme des PIB)(même si bon, on ne va pas se mentir, ce genre d'ajouts est souvent digne de fan-fictions.net), et si vous  pensez que le w o k i s m e a inventé les personnages féminins forts, déjà c'est pas très malin, et pas parce que ça se faisait déjà depuis longtemps (Sarah Connor ? Ripley ?), mais surtout, parce que ça se faisait déjà depuis très, très longtemps. Googlez Bradamante, si vous ne la connaissez pas. Vous ne le regretterez pas.

Le Roland Heroic Universe. On notera que Folio a opté pour la stratégie Twilight / Reliques de la Mort, en coupant le final en deux parties. Finalement serait-ce Hollywood qui finit par influencer les sources ? La boucle est bouclée.

Comme la trilogie Matrix, la trilogie Roland part d'une source devenue si populaire qu'écrire des suites était inévitable (et en vrai, il y a encore d'autres dérivés de Roland), bien qu'on aurait peut-être dû s'abstenir, et la laisser être ce qu'elle était depuis le début : une bonne histoire qui se tient toute seule. Après, autant Roland Amoureux est connu pour ne pas être exactement brillant (ni stylistiquement ni narrativement), autant Roland Furieux est apprécié des connaisseurs de littérature héroïque. J'avoue que le style est infiniment meilleur, mais pour être tout à fait honnête, pas une seconde je n'ai l'impression qu'il s'agisse des mêmes personnages. C'est un récit fabuleux et exotique, on voyage en orient, le merveilleux est omniprésent, et j'aime bien le genre, sinon je ne lirais pas des romans de la Table Ronde ni toutes les sources que j'utilise pour Heldenzeit. Mais pas Roland, quoi... Quand j'aurais le temps, je ferais sans doute un article dédié à ces suites (et au Roland du Père Conrad), ce n'est pas le sujet de ce billet. Un peu de retenue !

Il est temps pour moi de conclure. Remakes, reboots, soft-reboots, cross-overs, spin-offs, suites improbables, préquelles déconnectées de leurs sources, Hollywood n'a rien inventé. Tous ces maux se retrouvent dans les manuscrits d'autrefois. Et aujourd'hui comme hier, ce n'est pas forcément grave. Lorsque c'est bien fait, on prend un plaisir certain et le grand-guignolesque peut côtoyer le drame, l'épique l'humour, le merveilleux l'Histoire. Le Hürnen Seyfrid est-il de la grande littérature ? Probablement pas. Il bâcle toutes les parties de l'intrigue qui ne l'intéressent pas et ne se soucie guère des incohérences. C'est également le cas du Monde Perdu: Jurassic Park (le film, cette fois), mais je les adore pour leurs autres qualités. Tout ne doit pas forcément être parfait, original, jamais vu, différent, inédit ! On doit pouvoir reprendre, continuer, explorer ce qui existe. C'est naturel de rechercher un peu de familiarité.

Du moment que c'est bien fait.


Highlander 2, par exemple, ce n'est pas bien fait.


*Étant donné la nature humoristique du billet, je décline toute responsabilité en cas d'approximations, de parallèles douteux et de jugements à l'emporte-pièces. Pardon à tous les fans de Batman et Robin.