dimanche 12 octobre 2025

Beowulf (1998) : ce n'est pas la taille qui compte

Vous avez été nombreux à lire ma rétrospective des films adaptant les légendes des Nibelungen... ah, on me souffle dans l'oreillette que vous avez été surtout nombreux à lire l'article sur la version coquine, bizarrement. Je ne juge pas. Il est donc temps de poursuivre notre voyage cinéphile, en nous penchant cette fois sur une autre légende qui bénéficia, au fil des années, d'une popularité certaine sur nos écrans :

Il y a deux écoles, lorsqu'on lit le nom de B E O W U L F écrit ainsi en lettres majuscules badass, deux types de personnes. Celles qui entendront immédiatement les percussions martiales du thème musical incroyable d'Alan Silvestri pour l'adaptation en 3D de Robert Zemeckis, et puis il y a celles qui entendront de la techno. Et soyez sans craintes, on les passera en revue, ces deux films, et plus encore. Il y a aura des adaptations relativement fidèles, d'autres n'ayant d'adaptation que le nom du film et du personnage principal, mais sans aucun rapport avec la source, des tentatives de réinterprétation plus ou moins réussies ou astucieuses, de la Fantasy comme de la SF, et puis des purges avec des casques à cornes. Ou de la techno. 

Bienvenue dans cette rétrospective BEOWULF.

 

La jaquette du DVD, qui décide bizarrement d'orthographier le film "Beowülf" avec un umlaut. Hommage au groupe de métal homonyme ? Très curieux, sachant que le contenu du DVD (cf. ci-dessus) l'écrit correctement...

Or, ce voyage commence en 1998, avec le court (27min) film d'animation Beowulf, par Yuri Kulakov, qui fait partie d'une série appelée Animated Epics (incluant également les Contes de Canterbury et Moby Dick). (Je passe volontairement sous silence le film d'animation Grendel Grendel Grendel de 1981, car je n'ai pas réussi à me le procurer. Si cela devait changer, j'en parlerai une autre fois. A priori il s'agirait d'une comédie avec un ton à la Monty Python, je suis curieux.)

Néanmoins, ça attaque fort, parce qu'on part sur une animation datée, très saccadée qui rappelle un peu la rotoscopie du Seigneur des Anneaux de Bakshi (mais c'est en réalité une animation par peinture sur verre) ainsi qu'une BO parfois un peu badante, le tout donnant l'impression d'être sorti 20 ans avant 1998 (pour rappel la même année sortaient Kirikou et la sorcière, Mulan, ou encore Le Prince d’Égypte... oui, oui, tout ça c'était il y a 27 ans, je vous en prie, tout le plaisir est pour moi.) Alors je ne dis pas, ça a son charme, hein, mais on ne peut pas dire qu'on démarre avec un chef-d’œuvre visuel, trop d'ambition pour trop peu de moyens, j'imagine. Mais ne vous laissez pas dissuader par le style, car le court métrage a d'autres atouts dans sa manche.

Déjà, le casting. Vous entendrez, entre autre, les voix de Michael Sheen, Joseph Fiennes, Derek Jacobi... il y a du beau monde. Mais c'est surtout le script qui brille dans cette adaptation, et qui fait du film un parfait point de départ pour ma série. Pourquoi ? Parce qu'il est (relativement) fidèle à la source, et ses écarts sont surtout par omissions plutôt que inventions ou trahisons. Une base solide pour avoir Beowulf bien en tête avant d'attaquer les adaptations plus... enfin moins... enfin, vous savez bien. C'est pourquoi on va prendre la chose de manière très linéaire, ça fera office de résumé du poème. Et pour une fois, je suis même en mesure de vous présenter le film avant d'en discuter !

 

On commence par introduire les Danois, leur roi Hrothgar le Scyldien et sa grande halle Heorot (la halle au cerf). J'apprécie qu'on prenne le temps de montrer la tête de cerf qui lui donne son nom, au-dessus de l'entrée, petit détail mais qui fait plaisir. On entend par le narrateur comment ils profitent de leur succès en faisant la fête dans l'insouciance, sans se préoccuper des avertissements concernant la menace qui rôde : une créature marrie de la joie des hommes. Hrothgar est trop orgueilleux et trop fier de sa halle pour prendre la menace au sérieux... jusqu'à ce que Grendel sorte des marais, au cœur de la nuit, pour faire un carnage. Nuit après nuit, il revient pour terroriser Heorot, tuant sans merci, à l'exception du roi qu'il ne touche pas. Les gens désertent alors la halle au cerf, même les plus braves n'osent offrir leur service au pauvre Hrothgar (dans le poème ça va durer comme ça douze hiver).

"It was at this moment Hrothgar knew, he fucked up."

Jusqu'à ce que débarque... BEOWULF *lance la Techno*NONON, pas ce Beowulf, le vrai Beowulf *Ah... bon bah j'éteins la Techno* C'est un Gaut, c'est à dire qu'il vient du centre de la Suède actuelle. Il a entendu parler de Grendel et veut combattre le monstre. Il est intéressant de noter que le court métrage, bien que très limité par le temps, prends la peine de nous montrer le héros à la cour de son seigneur, Hygelac, car il n'est pas roi ni maître de ses gens comme on pourrait le croire dans les adaptations ultérieures, il sert son oncle le roi Hygelac en Gautland, et doit donc lui demander le droit de partir en expédition. Hygelac n'a pas forcément envie de se séparer, même temporairement, de son neveu et accessoirement meilleur guerrier, et préfèrerait que les Danois se démerdent, mais Beowulf rappelle que Hrothgar a jadis offert l’asile à Ecgtheow, le père de Beowulf, après qu'il ait tué un Wulfing.  

Le film résume l'événement en "il a sauvé mon père", mais dans le poème on apprend qu'il l'a non seulement accueilli et protégé, mais il a également payé le Wergeld, le dédommagement judiciaire (sonnant et trébuchant), puis usé de diplomatie pour réconcilier les clans, et que Beowulf a passé sa jeunesse auprès de lui comme cela se faisait beaucoup pour l'éducation des princes (un genre d'Erasmus avant l'heure). Aussi, Beowulf ne cherche-t-il pas seulement l'aventure au pif, il veut surtout rendre service à un roi avec qui il a une relation très personnelle, et qui a littéralement sauvé la vie de son père au pire moment. L'honneur et le devoir dictent sa conduite, pas nécessairement la soif d'aventure ou l'orgueil mal placé (il sera utile de s'en souvenir pour les adaptations futures). Hygelac ne peut lui refuser.

On notera que Beowulf est imberbe !

 L'accueil frigide que les Gauts reçoivent de la part des Danois au premier abord est fidèle au poème, ainsi que la mise en question de sa réputation et des rumeurs à son sujet. Hunferth se montre particulièrement critique et l'accuse carrément de mentir. Le poème rentre plus dans le détail, notamment lorsque Hunferth confronte Beowulf avec l'histoire d'un défi contre un certain Brecca, une course de natation que Beowulf aurait perdue, mais je garde cela pour plus tard, lorsque nous parlerons du film de Robert Zemeckis. L'idée est bien là, simplement le court métrage ne rentre pas dans le détail.

S'en suit l'attaque de Grendel et son combat contre Beowulf. Celui-ci a déclaré vouloir combattre d'égal à égal, et puisque le monstre n'emploie pas d'armes, alors lui non plus, et on assiste à une lutte à mains nues. Bon, dans le poème, il n'y a pas que les mains qui sont nues, car il se met littéralement à poil pour pousser l'égalité jusqu'au bout, pas de cotte de mailles, rien, mais allez savoir pourquoi, pas de Beowulf -18 dans ce film. A la place on a une séquence très étrange qui m'a un peu rappelé la grotte hantée de la Bête dans Les Douze Travaux d'Astérix. Mais le résultat est le même : Beowulf lui arrache un bras et Grendel fuit pour mourir dans les marais, puis on attache le membre sanguinolent à la vue de tous (dans le poème on l'accroche aux bois de cerf, ici on l'accroche avec des chaînes).

Pas de bras, pas de Danois.

On récompense le héros comme il se doit, et il reçoit notamment de la reine Wealhtheow un collier particulièrement précieux : le collier des Brisingar. Et puis on fait la fête et... oh bah mince, il y avait un deuxième monstre ! Hrothgar en avait bien entendu parler mais il a oublié de le mentionner à Beowulf - il est distrait, mais il a beaucoup de responsabilités, vous comprenez. Cette nouvelle créature, c'est la Mère de Grendel, qui vient venger son fils. Elle tue plein d'homme et kidnappe le fidèle conseiller de Hrothgar, Aeschere. Pour la première fois le film change l'intrigue plutôt que d'omettre des choses : normalement Aeschere est le premier guerrier à périr, et c'est le fils préféré de Hrothgar qui est enlevé. Comment ? Oui, Hrothgar a plusieurs fils, oui, et il a un préféré. Enfin avait. Oups.

Beowulf part (accompagné) en expédition pour retrouver la Mère de Grendel, et Hunferth, qui a depuis compris que le Gaut était un vrai badass, lui offre l'épée de sa famille Hrunting, qui n'a jamais failli à son porteur (le poème précise même que la lame est forgée avec du venin pour +10 en charisme, ce qui n'est pas sans évoquer es nombreuses lames forgée avec du sang ou venin de salamandre dans le corpus continental). Beowulf plonge sous les eaux sombres pour rejoindre une caverne à l'entrée immergée, là c'est le Deuxième Round pour notre héros, qui découvre très vite que Hrunting peut, en fait, faillir à son porteur.

 
Bon, Hrunting a failli, qu'à cela ne tienne, Beowulf ramasse une épée de géant qui traînait par là et défonce le monstre avec. Dans le poème, la grotte est remplie de trésors antédiluviens (littéralement), et l'épée est explicitement originaire des géants bibliques, avec une citation de l’ancien testament sur la garde, et une inscription runique sur l'identité de son ancien propriétaire. Dans le court métrage, le narrateur évoque les géants et on voit des runes anglo-saxonnes dans le pierre où était logée la lame, donc l'idée reste la même. Le poème fait d'ailleurs de Grendel et sa mère des rejetons des géants biblique issus de la lignée de Cain, maudits par Dieu pour le fratricide commis par Cain contre Abel, mais c'est probablement un ajout tardif pour vernir à la hâte donner au au récit une coloration plus chrétienne.
 
De même, la lame disparaît après le massacre, mais dans le film on dirait qu'elle s'éteint, genre "ma tâche est accomplie", alors que dans le poème c'est le sang de la Mère de Grendel qui fait fondre le métal, ne laissant que la garde. Je trouve d'ailleurs intéressant que le court métrage mette si clairement en parallèle cette garde ancienne et un marteau de Thor, comme pour repaganiser le motif, sachant que la connexion de l'épée de géant avec les géants bibliques est, comme je l'ai dit, probablement plaquée dessus pour essayer de christianiser le poème en premier lieu, bref, la rourtourne tourne, comme le dirait un grand philosophe français.
 
Ja, ja, sehr subtil !

Suite à son succès, Beowulf repart, apprécié et et honoré. L'échange final avec Hrothgar qui lui rappelle que sa jeunesse va se faner et que bien des morts peuvent le guetter sur les sentiers périlleux de son existence est... tirée de la source. Ça doit faire plaisir ce genre d'adieux, on a envie de revenir tiens ! En vrai, c'est pour le prémunir contre l'orgueil que lui même n'a pas su repousser, et rester humble. La grosse différence entre le film et le poème, c'est que dans la source, Hrothgar lui offre son royaume, s'il veut bien être son héritier, sous les gros yeux de Wealhtheow qui en a chié pour lui faire plusieurs fils. Mais Beowulf refuse, il n'est pas venu pour ça et lui rappelle qu'il a déjà des héritiers. Le Gaut revient auprès de son oncle Hygelac qui vient l'accueillir sur la plage.

Le film fait un saut dans le temps, comme le poème par ailleurs, jusqu'au temps où Beowulf est vieux. Il a hérité du trône de son oncle et règne sagement et généreusement, jusqu'à ce qu'un voleur ne s’infiltre sous un tertre ou gît un trésor de roi (géant sans doute), gardé par un dragon. Il dérobe une coupe d'or sertie de joyaux (dans le film un coffret) et cela provoque la colère du monstre qui sort de sa tanière pour ravager la campagne par le feu. Pas le choix, il faut aller au charbon (padam tschii).

Un groupe de guerriers accompagne le vieux Beowulf jusqu'au tertre mais il commence par le dire qu'il doit y aller seul. L'entièreté du combat du film se déroulera alors sous terre mais le poème les fait s'affronter sous le tertre et en dehors, tandis que l'herbe brûle autour d'eux. Dans les deux cas, son bouclier crame instantanément et Beowulf regrette un instant ses choix de vie. Les autres guerriers fuient et l'abandonnent, à 'exception du jeune Wiglaf qui coure à son secours.

Le moment où tu comprends que c'était pas des champignons de Paris.
 

Le film traite le combat vraiment bizarrement, presque comme une bataille métaphysique avec le dragon prenant l'apparence de Beowulf lui-même et riant comme le centurion fantôme de... bah, les Douze Travaux, encore une fois. Et quand il embroche finalement le dragon en lui fonçant dessus, il meure, parce que...? Dans le poème, la bête lui mord le cou et l'empoisonne de son venin, après un échange tout à fait prosaïque. Cette mise à mort mutuelle rappelle un peu la manière dont Jormungandr et Thor périssent en emportant l'autre avec eux durant Ragnarök.

Parlons brièvement design

Ce choix est à mettre en parallèle avec la manière de représenter Grendel et sa mère. Le poème est assez avare en détails, le poète évoquant certes la force et la taille, voire la laideur de Grendel, mais pas nécessairement de description précise, aussi on peut imaginer ce que l'on veut. Toutefois, ce sont des créatures qui vivent dans les marais et tourbières, et leur grotte n'est accessible que par une plongée sous l'eau. Leur design dans le film reflète ce côté marécageux, comme couvert d'algues, et transmet cette idée de monstres aquatiques liés au monde sous-terrain. Les deux créatures sont pourtant tout à fait physiques, pas des spectres ou des blobs se déformant à volonté comme choisit de les représenter le film. Quant au dragon, comme je l'ai dit il n'a rien de métaphysique non plus et  si le début du combat est fidèle au poème, la fin est particulièrement curieuse...

La manière dont la Mère de Grendel se reforme à chaque coup de taille n'est donc pas décrite ainsi dans le poème, mais rappelle beaucoup le face à face entre Dietrich et l'ogresse Hilde, ce qui n'est pas pour me déplaire ! Après, le design choisi pour Grendel et sa mère trahissent un peu les limitations techniques et budgétaires du film. Personnellement, quand je vois cela :
 
 
Je m'attends presqu'à :

La fin de l'aventure 

Le court métrage choisit également de symboliser la passation de pouvoir entre un Beowulf moribond et son fidèle Wiglaf par un don : celui du collier des Brisingar. C'est une nouvelle altération car ce précieux bijou, le poème nous en dit davantage. Déjà, c'est Hygelac qui le reçoit en cadeau dès le retour de Beowulf de son expédition, prouvant que Beowulf se moque des richesses. Mais dans un pan complètement omis du film, on sait que Hygelac le portait lorsqu'il périt en terre lointaine, mais je vais y revenir. Ici le film a voulu garder l'objet et lui donne un rôle nouveau, qu'on pourrait admettre comme plus fort et moins "accessoire". Le souhait de Beowulf d'être inhumé dans un tombeau sur les hauteurs, en bord de mer, où brûlerait toujours un feu pour les marin, c'est bien tiré du poème, qui situe l'endroit à un "cap-de-la-baleine".

Et c'est sur les funérailles de Beowulf que se termine ce premier film, et le moins qu'on puisse dire c'est que c'est globalement fidèle. Il y a peu de modifications allant à l'encontre du poème, comme on l'a vu, et si on se contentait de d'observer ce qu'on voit à l'écran, on serait tenté de juger l'ensemble extrêmement proche de la source. Toutefois, j'aimerai attirer votre attention sur ce qui n'est pas à l'écran :  les omissions.

Les omissions

Alors qu'on se rassure, elles ne changent pas radicalement notre compréhension de l'histoire, mais sachant à quel point certaines d'entre elles sont importantes pour comprendre le contexte, il est intéressant qu'on ait choisi de s'en dispenser, d'autant plus qu'ils ont conservé Hygelac et le rôle joué par Hrothgar dans la vie de Beowulf et du père de celui-ci, Ecgtheow.

Déjà, il faut comprendre que le poème Beowulf n'est pas du tout linéaire. La narration saute dans le temps et l'espace à force d'analepses (des flashbacks quoi), de récits enchâssés et de prolepses (des flashforwards dans la langue de Mr. Bean), on se croirait dans un épisode de remplissage d'un anime. C'est un vrai puzzle à reconstituer, et c'est un aspect dont la plupart des sources se dispensent (cela dit le court métrage offre un aperçu de l'arc final en introduction et le film de Zemeckis nous offre le flash-back de la course de natation, toute une séquence imbriqué dans une autre, celle ou Hunferth remet ses exploits en question). Ces passages nous en apprennent plus sur Hygelac, par exemple, et notamment qu'il périra au court d'une expédition en Frise, et qu'il portera le collier des Brisingar lorsqu'il tombera. Beowulf sera alors avec lui et survivra en fuyant à la nage. Cet incident trouve d'ailleurs écho dans les sources franques, notamment l'Histoire des Rois Francs de Grégoire de Tour, la Geste des Rois Francs et le Liber Monstrorum. Beowulf ne s'y trouve pas, mais Hygelac, aka le roi Clochilaic meurt dans l'Hattuarie (la Hetware de Beowulf).

Dix points pour Griffondor pour avoir montré la petite sous-intrigue autour du collier des Brisingar. Les adaptations suivantes s'en tamponneront allègrement le coquillard. Il faut dire qu'elle ne sert qu'à créer de l'intertextualité, qui si elle enrichit le poème, n'est pas très utiles à des œuvres cherchant à simplifier et aller à l'essentiel. Et pourtant, ironiquement, c'est le court-métrage qui la conserve.

En parlant de la Frise, pas un mot sur la bataille à Finnsburg entre les Frisiens et les Danois, une trahison façon Noces Pourpres dont le récit en enchâssé dans le récit central comme une histoire de héros que se racontent des héros. Cette histoire avait par ailleurs droit à son propre poème, dont il ne reste aujourd'hui qu'un fragment. D'ailleurs, on a aussi droit à une brève mention de Sigmund le Völsung qui a tué un dragon, et de son "neveu" Fitela (Sinfjötli), qui, ahem, est aussi son fils accessoirement. Pas de Sigurd !

Le drama familial qui guette 

Mais le plus gros "oubli" du film est la pression sur la reine Wealhtheow et ses très jeunes fils. Dès que la mort de Grendel est criée sur tous les toits, Hrothulf, le neveu du roi, se pointe comme si de rien n'était, et on comprend que la stabilité du royaume ne tient qu'à un fil. En Beowulf et Hrothulf, la reine voit deux potentiels usurpateurs, et le narrateur glisse plein de petits indices sur le chaos de la période, comme ces bancs qu'on a retiré à des halles plus petites pour remplir Heorot, ce qui ne veut pas dire qu'on a emprunté leurs bancs de brasserie aux voisins, mais qu'on a cramé leurs halles pour centraliser le pouvoir. 

Or, Hrothulf n'est nul autre que Hrolf Kraki, un héros très célèbre qui non seulement a droit à sa propre saga, mais celle-ci est particulièrement appréciée. Si vous tombez sur le kenning "les semences de Kraki", ce sont ses semences à lui dont on parle, eeeet je vous arrête tout de suite, c'est une métaphore pour l'or. Si vous voulez savoir pourquoi, lisez la saga de Hrolf Kraki). Sa présence presque négligemment mentionnée implique que le poète estimait qu'on savait qui il était et son lien familial avec Hrothgar. Dans Beowulf, on nomme leur clan les Scyldiens, dans les sagas scandinaves les Skjöldungs.

Ainsi, le récit se repose sur les connaissances de son public pour comprendre le contexte sans l'expliciter : on sait que si Hrothgar est roi des terres danoises, cet élément rappelle à l'auditoire (ou le lecteur) que son frère, le père de Hrothulf (pas nommé dans Beowulf mais appelé Helgi dans la Saga de Hrolf Kraki et Helgo dans la Gesta Danorum), a accepté, à la mort de leur père qu'ils ont trucidé car c'était un tyran, mais bref, d'être un "roi de la mer", sans terre mais aux commandes d'une flotte et de colonies or du Danemark. Est-ce que Hrothulf se contentera d'un tel arrangement ? Ou développera-t-il de plus amples ambitions, alors que les héritiers de Hrothgar sont encore des enfants et lui un guerrier dans la fleur de l'âge ? Wealhtheow a de quoi s'inquiéter. Alors rajoutez Beowulf le Übermensch "tueur de monstres surnaturels à mains nues" par-dessus et vous imaginez la tension sous-jacente à Heorot. D'ailleurs, je ne l'ai pas dit, mais Wealhtheow... c'est une Wulfing... le clan dont le père de Beowulf a tué un membre, crime que son son époux a dédommagé avant de donner une bonne éducation au fils du tueur. Lorsqu'elle donne le collier des Brisingar, c'est un précieux héritage de son clan qu'elle donne à l'héritier du meurtrier de l'un d'eux. Elle a besoin de s'assurer de ses bonnes grâces, mais imaginez ce qu'il lui en coûte.

Mais tout cela est essentiellement implicite, compréhensible par des références ici ou là et des allusions funestes. Sans doute que cela compliquerait la compréhension du film à un public à qui ces connaissances implicites manquent et ne connaissent plus forcément l'équilibre familial des Skjöldungs. Je comprends que les spectateurs soient venus voir Beowulf défoncer du monstre, pas assister à un Western familial durant l'Âge de Vendel. Soit, j'entends. Mais c'est dommage. 

Conclusion

Malgré tout, on ne peut vraiment pas se plaindre de la fidélité du court métrage, surtout avec une telle durée. C'est de loin l'adaptation la plus courte du poème, pourtant, malgré les besoins d'un tel excercice (résumer, simplifier), il n'y a aucune grosse trahison, ni aucun véritable contresens. Quant au style, je l'ai un peu chambré, mais c'est vraiment une histoire de goût. Pas sûr que ce soit la meilleure introduction à Beowulf, celle qui vous agrippe et vous plonge dans la légende avec l'envie d'en voir plus, mais c'est sans doute la version la plus proche du texte. Faut-il la voir ? A priori c'est un peu tard pour poser la question, mais si vous m'avez lu sans visionnage préliminaire, allez-y !

Le Point Bande-Originale 

La musique est composée par Graeme et Wendy Lawson. Graeme est archéologue, musicien et historien et travaille visiblement sur de la recréation musicale historique. Sous le nom de Archeologia Musica ils ont sorti plusieurs vinyls recréant de la musique des périodes romaine, viking et normande. C'est une super idée de recruter des gens pareils pour un film tel que celui-ci ! Après... je ne suis malheureusement pas certain d'être convaincu par les nappes de synthés occasionnelles (qu'on pourrait charitablement attribuer au sound design) parsemées de deux trois coups de flûtes. Le principe aurait dû être excellent, l'exécution n'est vraiment pas terrible.

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