Je ne suis pas du tout d'accord.
(Quoi ? SCANDALE ! imposteur ! Escroc ! Bruits de vaisselle brisée.)
Pourtant des efforts sont fait, non des moindres dans les costumes (gros point fort du film... parfois... occasionnellement), les décors (tournés en Islande, ça a de la gueule, forcément, avec des bâtiments bien reconstitués), la musique composée par Hilmar Örn Hilmarsson, musicien islandais renommé mais également grand gódi (prêtre si vous voulez) des Ásatru islandais, qualité en laquelle on lui a demandé de bénir le tournage, et surtout un homme d'une gentillesse incroyable dont je chéris la rencontre, mais ce n'est pas le sujet.
Tout cela donne une impression d'être plus authentique que le film à techno ou le Treizième Guerrier et ses hommes préhistoriques anachroniques, mais est-ce vraiment le cas ? (Oui, la provoc', direct.)
Si d'innombrables sagas nous sont parvenues de manuscrits Islandais, comme la Völsunga Saga qu'on ne présente plus, ce n'est pas le cas de Beowulf. En fait, Beowulf n'a aucun lien avec l'Islande. S'il a été mis à l'écrit au milieu de la période viking (Xe siècle), le poète était Anglo-saxon, et la composition et le contexte du récit datent de l'âge de Vendel (Ve / VIe siècles). Sa langue est le vieil anglais, pas le vieux norrois. Son intrigue se déroule au Danemark, en Suède et en Frise, à une époque où les Norvégiens n'ont même pas encore colonisé l'Islande. Et si vous n'avez pas eu la chance de comparer vous-même, croyez-moi sur parole : le Danemark ne ressemble pas à l'Islande. Du tout.
Bref, associer Islande et Beowulf est une fausse bonne idée. Parce qu'on associe (trop) aisément Beowulf et vikings, à tort, et qui dit vikings dit Islande, mais c'est une grossière erreur. D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si le titre français, c'est "Beowulf, la légende viking", bien que ce ne soit ni une légende de vikings, ni au sujet de vikings. Arrêtez avec les vikings bon sang !
Alors oui, c'est superbe à l'écran, là-bas, tu poses ta caméra n'importe où, c'est magnifique. Néanmoins, filmer en Islande, ce n'est finalement pas plus authentique que de tourner en Roumanie comme le film de 99, c'est juste plus joli. Et en vrai, je suis partagé à ce sujet, car bien que je trouve tout ça charmant et louable, c'est comme si je voyais un artisan s'appliquer à poser un beau vernis d'authenticité avec les meilleures intentions du monde, sans se rendre compte qu'il badigeonne la mauvaise couleur.
Vous me direz : "Mais Florent, tu t'arrêtes sur l'esthétique, là, les gens trouvent sans doute l'histoire fidèle à la source et authentique !"
Bah non, le script fait pareil, il souffle le chaud et le froid entre les moments brillants et les trahisons complètes. Il y a d'ailleurs une image qui cristallise très bien le film à elle seule, et c'est le costume de Beowulf : un casque magnifique qui reproduit superbement un objet de fouille archéologique... et une armure de fantasy cloutée dégueulasse avec un patch de poitrine en lamelles de cuir honteux, digne de la séries Vikings (ce n'est pas un compliment).
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Vous voyez le contraste ? Et bien voilà le film résumé en une image. |
Ce qui va
Après, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, ce n'est pas pire que Beowulf (1999). Mais pour une version soit disant "la plus fidèle", on est en droit d'attendre mieux que la barre bien basse posée par un nanar qui a cru bon d'adapter un poème de 1000 ans comme on adapte un jeu vidéo (par-dessus la jambe, donc), il me semble. On est en droit d'attendre, a minima, une version sans grandes trahisons comme la version de 98. Or, ce n'est pas le cas.
Pourtant, dans les grandes lignes ça va : Hrothgar est emmerdé par un monstre appelé Grendel, après avoir demandé la permission à son suzerain (pas nommé mais c'est Hygelac) Beowulf navigue depuis le Gautland avec sa troupe de guerriers pour l'en débarrasser, car ils se connaissent bien lui et Hrothgar, et il veut rendre service. Ils finissent par tuer Grendel, la mère de Grendel vient se venger, on plonge das son antre pour s'en débarrasser également et on rentre au pays. C'est déjà beaucoup mieux que Cristophe Lambert, et au niveau d'un Treizième Guerrier, voire mieux !
Mais ne vous emballez pas, c'est dans les initiatives que ça se gâte. Reprenons depuis le début.
L'intrigue du film
On commence par une carte ancienne qui a le bon goût de replacer la géographie de Beowulf dans son contexte, avec les Danois au Sud et les Gauts en Scandinavie centrale, et même les Wulfings (qui sont, genre, mentionné une fois en tout et pour tout dans le film, donc là on est sur de l’œuf de Pâques) ! Turbo-fidélité dès les premières minutes, quels bons augures ! Bon, elle place aussi un volcan dans les montagnes scandinaves mais soit, hein, c'est une "carte ancienne", si les monstres marins ça passe, pourquoi pas les volcans norvégiens. Et Oh la la ! On affiche la phrase d'introduction du poème ! Là on sait que ça va être authentique. Mais alors de quoi je me plains, me direz-vous ?
Il se trouve qu'on enchaîne sur l'origine de Grendel, comment les Danois l'on traqué lui et son papa (non, pas sa mère), on apprendra plus tard par Hrothgar que le Père de Grendel avait simplement "croisé notre chemin, volé un poisson". Le papa planque son fils lorsqu'ils sont acculés à une falaise et les Danois, menés par un jeune Hrothgar, le tuent. Hrothgar voit le petit Grendel caché mais la vue d'un bambin lui faire légèrement redescendre son niveau de connarditude et il le laisse vivre. Grendel ne pouvait déplacer le corps de son père, trop grand, trop lourd, décide de n'emporter que sa tête dans la grotte où ils vivent.
Tout comme le film de 99, le film décide de créer une connexion personnelle entre Hrothgar et Grendel, mais en plus, elle offre à Grendel une motivation plus profonde que "il ne supporte pas les réjouissances des Hommes". Maintenant, il attaque par vengeance contre les Danois. Quand Hrothgar ouvre les portes d'Heorot, Grendel n'est plus seulement un spectre venue de la brume, haïssant les hommes, il est un esprit vengeur (dans son bon droit) ne haïssant que les Danois. C'est un sacré changement apporté à l'antagoniste. Je n'ai rien contre présenter son point de vue et l'humaniser, mais si pour ça il faut inventer un crime à Hrothgar, c'est que l'idée n'est peut-être pas déjà en germe dans le poème, non ?
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| Beowulf (Gerard "This is Sparta" Butler) et Hrothgar (Stellan "I share my dreams with ghosts" Skarsgård) |
Le film passe ensuite au héros, Beowulf, qui s'échoue sur une plage près d'un village de pêcheur. Il révèle qu'il était parti chasser le morse avec un certain Brecca lorsqu'une tempête fit chavirer leur navire, l'obligeant à nager en pleine mer. C'est évidemment une référence à l'histoire que Hunferth raconte dans le poème pour discréditer Beowulf, à savoir une course à la nage qu'il aurait perdu contre Brecca, et dont le Gaut se justifie par le fait qu'il ait été pris dans une tempête, ah et aussi il y avait évidemment des monstres marins. Cette version retire le côté "combo arrogance + prise de risque inconsciente enfinjeveuxdire héroïque" de l'anecdote du poème, c'est dommage... D'ailleurs, non content de retirer la rivalité entre les deux, le film fait de Brecca un compagnon de Beowulf qui l'accompagnera dans l'aventure en pays Danois (il est incarné par Rory McCann, aka Sandor The Hound Clegane lui-même).
Après un conseil tenu par son roi (Hygelac, confirmé par les crédits bien que pas nommé dans les dialogues), Beowulf monte une expédition pour secourir Hrothgar. Superbes plan du navire naviguant entre les icebergs danois..... bref, et là, Beowulf manque de se faire agripper par une main pâle et monstrueuse jaillie des flots tandis qu'il se tient au bastingage. On peut l'interpréter comme un hommage aux monstres marins que le héros combat lors de son duel de nage dans le poème, mais c'est en réalité plus profond (padam tschii) que cela.
Hrothgar de con côté commence à perdre la tête, enfin, ses hommes surtout, et ça lui pèse sur le moral. Il essaie bien de provoquer le "troll" en duel mais celui-ci s'y refuse, tuant ses hommes. C'est assez proche de la source, où Grendel affronte tout le monde sauf le roi, mais c'est là à cause du statut divin du souverain que même lui n'ose profaner (ça sent le retcon chrétien tardif, mais c'est comme ça). Lorsque la Team Beowulf débarque, on a droit à l'échange sur la plage avec le héraut de Hrothgar, comme dans le poème, et à ce moment du film, au premier visionnage, j'étais vraiment confiant...
...et là Beowulf aperçoit un personnage complètement sorti du chapeau, Selma, la "sorcière du coin", après qu'on nous ait introduit un autre personnage inventé, le prêtre Thorkel, et là tu sais que les ennuis commencent. Pourtant, la réunion entre le roi Danois et le guerrier Gaut est parfaite : elle établit leur relation passée, lorsque Beowulf était petit et qu'il résidait à sa cour. C'est un lien essentiel entre les deux hommes que trop d'adaptations négligent. On fête les retrouvailles, les Gauts jurent de liquider Grendel, et si on suit le poème le combat qui s'en suit devrait être celui où Beowulf arrache le bras du monstre qui fuit et meurt dans sa tanière.
Mais non. Grendel se contente de pisser sur la porte et en plus, hé, hé, ça pue, haha hoho lol... (sérieusement, film?) lorsque les preux sortent s'en occuper, il a disparu. Seul témoin, le prêtre Thorkel que le monstre a ignoré pendant qu'il priait pour sa vie, raison pour laquelle il essaie de convaincre le roi de se convertir pour se débarrasser du fléau.
Et puisque le premier affrontement n'a pas eu lieu, nous sommes entrés dans la
P A R E N T H E S E B U L L S H I T
C'est l'insert totalement sorti du chapeau, lui-aussi, que le film glisse au milieu de l'intrigue pour forcer ses nouvelles idées au chausse-pied.
Après la survie "miraculeuse" de Thorkel, Hrothgar et une partie des hommes de Beowulf se laisseront baptiser aux pieds d'une des immenses chutes d'eau du Danemark.... bref. Tout ça, c'est un ajout : le poème contient un fort sous-texte de transition entre le paganisme et le christianisme, on l'a souvent vu à présent, mais ce n'est pas dans le texte. Pas de prêtre, pas de conversions, on dit seulement que les sacrifices aux dieux de l'ancienne coutume n'ont pas résolu le problème. Thématiquement, je ne dis pas, c'est cohérent pour incarner ce sous-texte, ce basculement entre deux périodes, mais c'est une interprétation tout à fait moderne, il faut le garder en tête.
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| Ingvar Sigurdsson joue Grendel (adulte). |
Les Gauts traquent Grendel jusqu'à son repaire, défendu par un piège de Maman j'ai raté l'avion, ou le Retour du Jedi, selon. Ils ne l'y trouvent pas car Grendel est occupé à jouer aux quilles avec les têtes des Danois (même s'il a une taille adulte il garde un comportement enfantin). Ayant fait chou blanc, Beowulf rend visite à Selma la sorcière. Au fil des échanges, elle confirme que les Danois reçoivent la punition pour leur méfait et que la mort du troll leur coûtera cher "comme il se doit". Grendel est donc confirmé dans son bon droit. Beowulf la croit et confronte Hrothgar qui refuse d'admettre toute responsabilité. Selma lui fera aussi la bonne aventure en jetant des os, parce que pourquoi pas, et tentera de le décourager dans sa quête de Grendel, tissant lentement un lien avec le guerrier qui offre un pendant plus honorable et respectable aux Danois et en particulier Hrothgar. Et quand Beowulf aperçoit finalement Grendel il le prend en chasse et... il va vraiment falloir qu'on discute.
Imaginez la scène : Grendel en haut d'une pente très raide, et Beowulf en bas. Grendel qui dit des trucs incompréhensibles, probablement "It's over Beowulf, I have the High Ground", et Selma qui arrive pour faire la traduction. Grendel troll (hihi) le Gaut, lui jette des cailloux et se fout de sa gueule, tandis que le guerrier... s'énerve, ne comprend pas ce qui se passe, et subit. A quel moment les gens se sont dit, ça, c'est une super scène à rajouter à Beowulf. Et comprenez-moi moi bien, il y a plein de sources qui ont des moments humoristiques comme celui-ci, mais 1) pas Beowulf, un poème qui prend son héros très au sérieux, et 2) pas Beowulf, un poème qui prend son monstre très au sérieux. Cette scène est à deux doigt de mettre le pied dans la parodie façon Monty Python. Et elle le fait pour humaniser toujours plus Grendel, lui donnant même la parole ! (Le film avec Cristophe Lambert avait bien fait dire "Pas toi" à son Grendel, mais pas des dialogues pour expliquer qu'il ne souhaitait pas faire de mal aux Gauts car ils ne lui ont rien fait.
Et puis le top du top, c'est l'explication du nom de Grendel, en anglais moderne Grinder, donc Broyeur. Selma nous révèle qu'il ne broie pas des hommes, comme le pense Beowulf... mais des dents (grincer des dents se construit aussi avec le verbe to grind), car il faisait des cauchemars étant enfant. Tout aspect négatif de Grendel est systématiquement effacé ou policé pour le ramener à cette victime enfantine et innocente. Narrativement, ça fonctionne dans le film, mais vis à vis de la source ? Ce n'est pas une réinterprétation, c’est une trahison complète.
Rien, dans le poème, ne dépeint Grendel autrement qu'une entité primordiale avec laquelle il n'est nulle raison et qui trucide les Danois par douzaines non sans emporter leurs têtes avant de partir. Pour que Gentil Grendel fonctionne, le film doit constamment inventer des éléments ou en détourner : haha, c’est rigolo, il joue aux quilles avec les têtes comme un petit garçon. Et quand c'est DAESH, ça vous donne envie de relativiser et d'infantiliser, vous ? Moi pas. Alors oui, la comparaison est extrême, mais c'est parce que Grendel est extrême.
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| "Pappe" dit-il avant de se venger de bon droit. |
Finalement, un local les guide vers le repaire secret de Grendel et les Gauts y trouvent la tête momifiée du Père de Grendel, que l'un d'eux détruit de colère. Enragé, Grendel découvre le méfait dans une scène déchirante et décide que les Gauts sont désormais sur la liste des enfants pas sages et retourne à la halle faire un carnage (dans son bon droit toujours, la tête de feu son père a été profanée), et c'est là qu'on raccroche les wagons avec le poème. Fin de la parenthèse Bullshit. Notons seulement qu'en chemin, sur leur bateau, les hommes de Beowulf se font à nouveau brièvement attaquer par ce bras pâle et monstrueux d'une créature aquatique... tiens, tiens, on se demande qui cela pourrait être...
Ah oui, c'est vrai, mince ! On adapte Beowulf !
Grendel attaque de nuit, tue plein de gens, mais surtout le guerrier qui (il le reconnaît à l'odeur) à fracasser le crâne de son père et il le fait en nommant clairement son papa, encore une fois, justifiant le massacre. Il veut s'enfuir mais son bras reste accroché à une poulie. Le troll prend alors la décision de se trancher lui-même le bras afin de déguerpir et de ne pas tomber entre les mains danoises. Ce n'est donc plus Beowulf qui triomphe de Grendel en lui arrachant le bras, c'est Grendel qui fait un choix et assume son destin. Beowulf n'est plus que spectateur. Reste le bras suspendu, comme dans le poème, mais le sens est totalement inversé. Grendel meurt libre, ayant accompli sa vengeance, et tandis qu'il se laisse aller dans les vagues de la mer, un bras pâle l'emporte...
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| La mère de Grendel (Elva Ósk Ólafsdóttir) |
La célébration victorieuse tourne mal quand un nouveau massacre est perpétré, cette fois par... bah aucun suspense, vous le savez très bien : la Mère de Grendel, donc le bras a surgi ici et là tout le long du film (ce qui, je trouve, est assez malin pour éviter le côté "nouvel ennemi qui arrive comme un cheveu sur la soupe"). Il faut donc traquer la Mère de Grendel et le film reprend la nage sous-marine pour rejoindre la grotte, et ça c'est cool. Très chouette aussi l'utilisation de Brecca, qui n'a en principe rien à faire là, et qui se propose de plonger vers le repaire, et Beowulf qui rétorque à son ami "tu nages comme une brique", excellente allusion à leur compétition de natation dans le poème (que Beowulf perd, je rappelle, c'est d'autant plus ironique).
Voilà, c'est malin, ça fait plaisir.
Arrivé de l'autre côté, Beowulf émerge dans une caverne avec un tas de trésor et le corps de Grendel, se fait attaquer par la Mère, perd son épée et en ramasse une autre, énorme et plus ancienne, et la trucide avec : turbo-fidèle, excellent !
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| Ce plan est tellement parfait. |
Bon la lame ne fond pas mais on va pas trop en demander non plus. Et là, il tombe sur le fils de Grendel.
Ah pardon, je vous avais pas dit ?
Selma s'est faite violer par Grendel ! Et juste après avoir entendu cette histoire, que fait Beowulf ? Il couche avec Selma. Bravo, le scénariste (oui, c'est un mec, quelle surprise), on est sur du niveau Quantum of Solace, là, j'applaudis très lentement.
Mais bref, de cette unique union naîtra un demi-troll, que Beowulf a entraperçu plus tôt dans le film et dont il faut maintenant déterminer le sort dans cette grotte où gisent les cadavres du père ET de la grand-mère du petit. Le Gaut décide de le laisser vivre, comme Hrothgar autrefois, en compagnie de sa mère, laissant ainsi incertain le succès de cette expédition. Et si le petit grandissait comme un vengeur à son tour ? C'est une thématique omniprésente des sources scandinaves et germaniques en général, mais la fin du poème ne souffre d'aucune ambiguïté vis à vis des monstres des tourbières. Le danger viendra des Hommes.
En signe de respect et pour montrer au rejeton de Grendel qu'il veut faire la paix, Beowulf construit pour le troll un monument funéraire au bord de la mer, ce qui n'est pas sans évoquer le souhait du héros mourant, dans la source, qu'on lui construise un monument en haut des falaise pour guider les navigateurs. Encore une fois, le film inverse le sens de l'imagerie du poème. Non seulement Beowulf ne tue plus Grendel, mais il lui organise des funérailles.
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| Selma (Sarah Polley) et son fils (Benedikt Clausen) observent le départ de Beowulf. |
Le film se conclue sur la troupe repartant sur les flots pour regagner le Gautland, un homme parlant de Grendel comme d'un géant descendant de Cain (un lignage directement tiré du poème, bien que probablement collé dessus par le clerc qui coucha le texte par écrit, mais hej ! Fidélité à la source !) Et Beowulf de conclure "par la volonté d'Odin, que nous trouvions le chemin de notre pays", toujours dans cette ambivalence ancienne coutume / christianisme qui habite tout le film.
Évidemment, tout ce qui arrive après dans le poème, le dragon, tout ça, vous oubliez, ce n'est pas le propos du film qui s'appelle, très justement, Beowulf & Grendel.
Conclusion
On l'a vu, derrière une fidélité apparente se cache un très gros problème, à mon sens, et il se glisse dans tous les espaces en creux laissés par les points d'intrigue "obligatoires". Ce problème, c'est l'humanisation de Grendel. Je ne suis pas contre un peu d'empathie, ni contre l'idée de montrer le point de vue du monstre, mais contrairement à d'autre créatures malfaisantes comme Fafnir, par exemple, voire à des connards finis comme Hagen, Grendel n'a pas de backstory tragique ou de famille déglinguée qui peuvent expliquer un basculement vers l'avarice, la violence, la cupidité, le meurtre... Grendel est une entité des temps anciens, une créature des marais qui vient massacrer des gens par dégoût pour leurs rires et leur musique, qui boit leur sang et arrache leurs têtes... Pour parvenir à l'humaniser, il faut tellement réécrire, ajouter, retirer que... ce n'est tout simplement plus Grendel.
Toutes les charges sont inversées : c'est lui la victime, il est dans son droit, il est innocent, il ne tue que ceux qui sont méchants. Les Danois ont commis une faute, ils doivent l'expier. Beowulf ne triomphe même plus de Grendel, il le respecte, épargne sa descendance et lui bâtit une tombe. Ce n'est plus Grendel !
Je comprends totalement qu'on veuille présenter l'histoire sous cet angle-là, c'est très à la mode (je n'ai pas lu le roman de John Gardner, qui s'en sort peut-être mieux à cet exercice). Notre époque veut, à raison, s'intéresser au point de vue des rejetés, des minorités, des marginaux, y compris dans de vieux récits ultra-balisés (cf. la mode des films Disney ayant pour protagonistes leurs méchantes ignobles et iconiques pour en faire des anti-héroïnes tragiques ou incomprises). Et franchement, ça peut fonctionner. Mais pas avec Grendel.
Grendel n'est pas un personnage, c'est un cauchemar de l'âge de Vendel, un monstre du placard, et pas du genre Monstres et Compagnie. C'est une terreur nocturne, une menace existentielle. Le poème Beowulf regorge d'antagonistes, déclarés ou potentiels, et de menaces très concrètes présentées par des Hommes cupides, fourbes, faux. Eux, on pourrait creuser leur backstory et en faire des anti-héros. Pas Grendel, du moins, pas sans tout réécrire et réinventer.
La conséquence de cette réécriture c'est d'avoir perdu le caractère de Beowulf, sûr de lui, bravache et fanfaron, arrogant parfois, mais qui produit les résultats qu'il promet. Ici, le héros ne fait presque plus rien et n'a plus du tout la même personnalité. Si vous vouliez écrire sur un héros et un monstre qui n'étaient ni vraiment Beowulf, ni vraiment Grendel, je me demande... pourquoi avoir réalisé Beowulf & Grendel ?
Faut-il le voir ?
De ce fait, le film Beowulf & Grendel est un film correct, avec de très beaux paysages, de bons acteurs, des costumes et décors, euh, 50/50, une intrigue qui fonctionne et des personnages tragiquement humains qu'on comprend, qu'ils soient Danois, Gauts, ou trolls. Mais c'est une mauvaise adaptation de Beowulf. Pas pire que le nanar de 99, qui n'essaye même pas vraiment, mais qui donne une très mauvaise (et fausse) idée de ce dont parle le poème. Si on a lu celui-ci, on appréciera les références et le retournement complet des valeurs narratives, comme un exercice de style amusant. Malheureusement, la plupart des gens n'auront pas lu le poème et repartiront de leur visionnage avec une interprétation retournée comme un gant. Et ça, c'est triste.
Alors, faut-il le voir ? Oui... mais en connaissance de cause. Ce n'est pas du tout une adaptation de Beowulf, mais une proposition "Et si... Grendel était une victime innocente". Si cette proposition titille votre curiosité, foncez.
Le Point bande-originale
La musique de Hilmar Örn Hilmarsson est très classique pour ce genre de film, ne prend jamais trop de place mais bénéficie de quelques moments remarquables bien sympathiques avec chorale et tout, malheureusement elle n'a jamais été publiée sur quelque support que ce soit, donc... Voici la seule piste qu'on ait, en qualité à peu près correcte, le End Title :










