samedi 21 décembre 2024

Andlau et Rosheim : sur les sentiers de la Heldenzeit

L'an dernier je vous invitais à vous promener en des lieux mentionnés dans les sources, à savoir Breisach et le Wasigensein. Aujourd'hui, ce sont plutôt deux endroits marqués par les légendes héroïques germaniques que je vous présente, et plus particulièrement la légende de Dietrich. 

En effet, deux églises en Alsace, relativement proches l'une de l'autre, représentent la même scénette : un chevalier en sauvant un second d'un dragon, alors qu'il est déjà à moitié avalé par la bête. Si vous avez lu mon dernier article sur le Bernois, vous avez sans doute reconnu l'épisode dont le Virginal et la Thidrekssaga conservent le souvenir. Visitons donc l'église abbatiale d'Andlau et l'église Saints Pierre et Paul de Rosheim.

Si cela ne fait l'unanimité, il est toutefois communément admis que les deux sculptures représentent bien la rencontre entre Dietrich ainsi qu'un compagnon (Hildebrand ou Fasolt selon les deux versions qu'il nous reste) et un dragon avalant le neveu de Hildebrand, et qu'il leur faut secourir en tuant le monstre. Tout ceci je l'ai déjà évoqué en détail et vous invite à le lire ici

Alors, est-ce que l'hypothèse est convaincante ? 

Les deux sources qui subsistent sont elles-mêmes très certainement construites sur la base d'une Ur-version plus ancienne qui n'a malheureusement pas survécu jusqu'à nous, et non pas l'une à l'origine de l'autre. Ce qui est assez curieux dans cet épisode, comme on l'a vu, c'est que le véritable protagoniste est plutôt le compagnon de Dietrich, probablement Hildebrand dans la Ur-version comme c'est toujours le cas dans Virginal. Si je répète cette information ici, c'est que lorsqu'on lit ce qui se dit sur les sculptures d'Andlau et Rosheim, c'est à croire que Dietrich de Bern est le héros représenté face au dragon, or... il est plus probable que nous admirions en réalité les exploits de Hildebrand, le maître d'armes et mentor de Dietrich.

Alors Achtung ! Les photos sont dégueulasses, les sculptures étant situées très haut et très loin, donc zoom crade obligatoires. Il faudrait un vrai appareil photo mais bon, ça devra faire l'affaire. Je m'excuse d'avance.

L'église de Rosheim

 
L'église abbatiale d'Andlau


Plusieurs détails intéressants ont attiré mon attention sur les deux sculptures, notamment deux qui attestent de l'ancienneté de la version dont s'inspire la Thidrekssaga. Sur la frise d'Andlau, taillée dans le gré rose d'Alsace au XIIème siècle, le dragon ailé est représenté avec des griffes démesurément longues, or, dans la saga il est dit que le monstre n'arrive pas à décoller à cause du chevalier coincé dans sa gorge, et que ses longues griffes labourent la terre comme des socs de charrues. De plus, sur la sculpture de Rosheim on voit le héros empoigner une épée à moitié dans la gueule de la bête (ailée également). Cela ne peut qu'évoquer le moment où Fasolt doit se saisir de l'épée de Sistram, le neveu d'Hildebrand, car sa propre épée, et même celle de Dietrich, ne mord pas la corne du dragon. Mais si ce sont Hildebrand ou Fasolt qui vont au charbon, est-ce à dire que Dietrich lui-même est complètement absent ? Je ne le pense pas. En effet, le chevalier en retrait qui tient la bride du cheval de son compagnon pendant qu'il se bat pourrait très bien être Dietrich, qui a, je le rappelle, un rôle étonnamment passif dans cet épisode, et garderait ici la monture de son mentor.

Ce sont ces éléments caractéristiques qui, cumulés au motif peu courant du chevalier à moitié avalé par le dragon, me semblent donner du crédit à l'hypothèse d'une représentation de "Dietrich", ou plutôt de sa geste.

Mais vous me direz, ce sont deux œuvres distinctes, qu'il serait hasardeux de vouloir rapprocher, et vous auriez raison. Toutefois, il est bon de savoir que toutes deux furent commandées par la même abbesse, Hadewitz d'Andlau. Les deux sites ne sont d'ailleurs qu'à une douzaine de kilomètres l'un de l'autre à vol d'oiseaux. On pourrait s'étonner de trouver un épisode lié à Dietrich en Alsace, loin de la Lombardie et du Tyrol d'où ses légendes ont éclos, si l'on oubliait que le Bernois fut LE héros médiéval germanique continental par excellence, le plus diffusé et le plus populaire. Un véritable monument de la pop culture médiévale du monde germanique.


Dont acte.


Et pour finir, quelques détails charmant des deux églises, en mode touriste. D'abord Rosheim :







Presque un millénaire de rafistolage de maçonnerie.


Un lion qui, euh... attaque... un humain.

Tout en haut, là, c'est le dragon. Vous comprendrez aisément pourquoi mes zooms sont infects. 

Ensuite Andlau :





L'Homme prend sa revanche sur le lion.






Les deux églises mériteraient une seconde visite avec un bon appareil, équipé d'un zoom optique, pas numérique, mais ça suffit à donner une idée, je pense.

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