vendredi 17 octobre 2025

Technowulf : le Post-Apo avec Christophe Lambert (Beowulf, 1999)

1999 fut un millésime incroyable point de vue cinéma. La même année nous avons eu droit à une palanquée de films qui ont marqué leur temps, pour le meilleur comme le pire, y compris pour ma part de nombreux favoris comme Star Wars : La Menace Fantôme, La MomieMatrix, Le Géant de Fer, La Neuvième Porte, Sleepy Hollow... (et en vrai plein d'autres, faites une recherche c'est fou.) Mais 1999 c'est également non pas une, mais deux adaptations de Beowulf au cinéma.

Deux adaptations indirectes, cependant, car chacune prend le parti de tacler le poème par des chemins de traverses. L'une (prétend) transpose(r) le poème dans un contexte post-apocalyptique fauché, l'autre adapte non pas la source, mais le livre de Michael Crichton (auteur de Jurassic Park, Sphere, Westworld, etc.) Les mangeurs de morts aka Le Treizième Guerrier, qui lui même réimagine l'histoire de Beowulf comme une continuation du récit (historique) du voyageur arabe médiéval Ibn Fadlan. L'une capitalise sur Christophe Lambert, l'autre sur Antonio Banderas. L'une est un nanar intersidéral, l'autre pas.

Aujourd'hui on parle du nanar intersidéral.

*Cette fois on lance la techno, woooooOOOO* 

Et croyez-le ou non, mais pas simplement pour le plaisir de se moquer (même si oui, on va se moquer, hein). En effet, cette adaptation signée Graham Baker, un réalisateur à la filmographie bien pauvre dont je n'ai vu que son troisième opus de la saga La Malédiction, film dont je n'ai au demeurant que peu de souvenirs mémorables en dépit de la présence du toujours excellent Sam Neill et d'une musique incroyable signée Jerry Goldmsith, qui justement en 1999 revient avec deux scores fantastiques pour Le Treizième Guerrier et La Momie, mais ça commence à se sentir que je trouve n'importe quelle excuse pour ne pas parler de Beowulf), là, non ? 

Bref, cette adaptation, qui n'en est une pratiquement que de nom, a laissé une trace derrière elle, et pas seulement freinage numérique. L'association de Beowulf avec les arbalètes reviendra dans le téléfilm Grendel, tandis que le traitement de Grendel et la mère de Grendel sera grandement repompé dans le Beowulf de Zemeckis. Le Treizième Guerrier n'a pas vraiment été vu comme une réinterpétation de Beowulf, mais comme encore une adaptation d'un bouquin de Crichton (et a subi la déchéance de son réalisateur en temps réel, mais on y reviendra dans l'article dédié). Or, contrairement aux Nibelungen, Beowulf n'avait pas d'opéra célèbre ou d'adaptation en noir et blanc prestigieuse par Fritz Lang pour poser les bases de ce qu'est Beowulf dans l'esprit du grand public, qui l'immense majorité du temps n'aura pas lu le poème non plus. Non, pour l'immense majorité des gens, la première adaptation de Beowulf, celle qui va poser les bases et marquer les esprits, c'est le film avec Cristophe Lambert. 

Alors, heureusement que Beowulf (1999) est une bonne adaptation de sa source, hein !


Les sources d'inspiration

D'après Christophe Lambert, le budget ridicule du film est loin de celui initialement promis, et ça, je veux bien le croire. Tourné en Roumanie, le film fait cheap sous tous ses aspects, malgré la présence de "gueules" cinématographiques (Lambert, bien sûr, mais aussi Götz Otto, et un petit rôle pour Patricia Velasquez, qui la même année interpréta Anck Su-Namun dans la Momie !). Tout est au rabais ! Heureusement, le film a une astuce pour faire en sorte que ça passe : le contexte est transposé de l'Âge de Vendel à... un futur post-apocalyptique. Les costumes ne sont pas histo ? C'est normal, c'est le F U T U R !! Mais un un futur cradingue technomédiéval ! Et en vrai... sans budget, c'est malin. 

Beowulf (Cristophe Lambert) et ses gadget, retenez l'arbalète, ça nous servira pour un autre film.
 

Tenter du médiéval sans moyens, c'est casse-gueule, alors que là on insiste sur des éléments modernes (haut-parleurs, ascenseurs, chaînes de tronçonneuse sur les armes) qui annoncent la couleur au public : c'est du technomédiévalisme avec un mélange de technologie et d'armures etc. qui n'est pas sans rappeler les premiers Mad Max, notamment du côté de leurs méchants flamboyants comme Humungus. Certains costumes sont même franchement cool, je pense par exemple à celui de la troupaille ou l'armure badass de Hrothgar, même si on ne le voit pas beaucoup la porter. Une fois accepté ce postulat post-apo, y a plein choses qui fonctionnent, même cette forteresse de Pas-Heorot avec sa tour surmontée de lance-flammes. Bon, y en a encore plus qui ne fonctionnent pas, comme cette guillotine ridicule qui n'est qu'un rasoir coupe choux géant. C'est tellement grotesque qu'on ne peut que rire en la voyant.

Dans une autre vie, un autre film, ce mec chevauche aux côtés de Tulsa Doom.
   

Hrothgar et ses gardes sont bien stylés, notez à gauche l'inspiration Warhammer 40K avec cette guisarme-tronçonneuse.

Quand ça touche à ce point au débile et puéril, ça frôle le génie.

L'autre inspiration évidente, c'est Mortal Kombat. Entre la présence de Christophe Lambert, les chorégraphies à base de trampolines, de pirouettes de cirque et d'effets de mauvais goûts typique des années 90, ses effets spéciaux numériques abominables et cette techno qui va et vient de nulle part et mixé beaucoup trop fort par rapport aux, euh... "dialogues"... si vous avez vu le premier film adapté de la série de jeux vidéos Mortal Kombat, vous êtes en terrain connu. Le truc c'est que les gens se sont infligés les films Mortal Kombat parce que... ils aimaient les jeux Mortal Kombat, comme moi je me suis infligé de Rise of Skywalker, quelque part (la musique était bien, au moins). 

Y avait-il vraiment beaucoup de fans de Beowulf en 1999, et si oui, est-ce que ces perles rares étaient vraiment du genre à se farcir gaiement un nanar pareil ?

Non parce que je vous parle des sources d'inspiration évidente, mais quid du poème ? Je veux dire, "Anonyme" est crédité à l'écriture du scénario, pour le poète original. C'est bien qu'on se base sur la source, non ? Sur le DVD suédois, l'accroche de la jaquette c'est carrément un mini topo sur le poème (avec un scan d'une page originale en vieil anglais et tout !) en mode "Non mais mais c'est sérieux, on adapte un manuscrit millénaire qui se trouve au British Museum, OK ? C'EST DU CINÉMA DE HAUTE VOLÉE POUR GENS QUI LISENT DES VIEUX TRUCS INTELLECTUELS !"

Bon après, à part la photo de Lambert obligatoire, les quatre autres images sont toutes les nanas du film, dont deux photos tirées de la même scène où on force le bustier de l'actrice pour mieux voir ses... enfin, pour l'aider à mieux respirer. Alors OK, oulala, poème millénaire manuscrit à Londres, oulala mais surtout MATTELESNIBARDSACHETECEDVD!!!

Et bien écoutez, c'est très simple, le film reprend du poème, en tout et pour tout... trois noms : Beowulf, Hrothgar et Grendel. Et voilà, c'est tout, merci bonsoir. En étant généreux on peut trouver quelques rares points d'intrigue qui semblent presque être des coïncidences, mais sérieusement, je suis persuadé que le film a été écrit sans aucun lien avec la légende et qu'on a collé le nom vite fait dessus parce que ça collait à peu près et que c'était dans le domaine public.

Un résumé vite fait

Le contexte post-apo, en vérité, est explicité par les résumés officiels des films, mais comme on l'a dit, le mélange de technologies implique un futur dystopique cradingue. Toutefois, jamais le pourquoi du comment ne sera suggéré de quelque manière que ce soit, il faut simplement l'accepter. Sommes-nous au Danemark ? Peut-être, peut-être pas, on s'en fout. Le seul élément "géopolitique" si on peut dire est donné au détour d'une phrase où ça a bien castagné en "Underland". J'ai envie d'une voir une référence à l'histoire de Finn le Frisien et du massacre à Finnsburg, sachant que la Frise c'est aujourd'hui une province des Pays-Pas, d'où peut-être ce Underland, mais vu le reste du script, je crois que je prête (beaucoup) trop de qualités à ses auteurs.

Dans ce monde crado, une forteresse (un "Outpost" comme il en existe d'autres, jamais nommé alors qu'il aurait été facile de glisser le nom d'Heorot au moins une fois pour faire genre) est visitée chaque soir par un mal terrible qui décime ses habitants : Grendel (jusque là, tout va bien). Alors un seigneur local concurrent (??) tient un siège de la forteresse et tue quiconque s'en échappe avec son armée du Chaos et sa, euh... guillotine-rasoir... afin d'éviter de laisser se répandre le mal. Oui je sais, on déjà commencé une sortie de route, mais ne vous inquiétez pas car voici venir Beowulf et ses preux gue... ah, au temps pour moi, voici venir Beowulf... tout seul. 

Alors que les assiégeants s'apprêtent à tuer Pendra (Patricia Velasquez, justement) qui est parvenu à fuir la forteresse maudite, Beowulf vient la sauver sur fond d'électroboomboom avec des armes dépliantes et rétractiles plus grotesques les unes que les autres qui sentent bon des temps plus simples. Il parvient à l'arracher à ses bourreaux mais comme il décide de chevaucher vers le château, elle préfère sauter du cheval et se faire trucider par eux que de retourner là-bas. Toute cette scène d'action n'a donc servi à R I E N. Enfin presque, on a failli voir les nibards de Patricia Velasquez, le public est certainement hyper attentif désormais, prêt à ne rien rater du chef-d’œuvre qu'on lui propose.

The Outpost, aka Pas-Heorot, forteresse qui très Mad Max / Waterworld.

Beowulf arrive donc à la cour de Hrothgar (oh ! oh ! un nom tiré du poème) et y rencontre le roi, sa femm... ah, non, elle est morte, ses jeunes fils... pardon, sa fille unique et pulpeuse (j'insiste dessus parce que c'est clairement pourquoi on l'a embauchée : l'actrice qui l'interprète, Rhona Mitra venait de servir de modèle à Lara Croft, c'est même un argument de vente sur la jaquette de mon DVD....), et s'y fait alpaguer par un guerrier antagoniste qui ne croit pas à ses histoires ni en son palmarès mais qui finira par reconnaître sa valeur après un combat badass... hé ! Mais c'est Hunferth ! C'est carrément Hunferth ! Ah bah non, c'est... Roland, bien sûr. ROLAND, SÉRIEUX ! C'était là, sous vos yeux, il suffisait de le ramasser ! Même dans l'hypothèse où on aurait collé un filtre Beowulf sur un script de Fantasy lambda, vous aviez l'opportunité de donner un peu l'illusion que vous aviez lu le poème ne serait-ce qu'en diagonale par un petit name-drop de rien du tout, mais nooooon, faudrait pas faire trop d'efforts, ça risquerait de se voir, hein? Et le nom de la princesse ? C'est la fête du slip. La princesse s'appelle Kyra, quoi. Princesse de Fantasy Générique n°427 : Kyra...

Bref.

Le dérapage incontrôlé  

Pendant qu'ils font connaissance et affrontent Grendel deux trois fois, on apprend que Beowulf ne connaît pas Hrothgar, n'est jamais venu à Pas-Heorot, voyage seul, donc. Autant dire que ça commence mal : pas de Gauts, pas de Hygelac, pas de lien entre les deux protagonistes dans leur passé. Ah, et il se trouve aussi que Beowulf est seulement à demi-humain, outre ses cheveux peroxydés, il guérit de manière surnaturelle, a une force surhumaine et une sorte de connexion psychique avec les démons. Il doit aussi réfréner ses pulsions meurtrières de demi-démon, cela va de soit. Respect de l’œuvre 9000.

Notez que dans les sources médiévales, on au moins un exemple d'un héros un quart ondine qui a des cheveux blancs à cause de ce pédigrée, à savoir Vidga (Witege) dans la Thidreksaga. Oui bon écoutez je fais ce que peux.

Ah et inutile de préciser qu'à ce stade, la distance entre la Terre et son satellite est inférieure à celle entre ce script et le concept de Beowulf. Mais rassurez-vous, il y a pire.

Kyra (Rhona Mitra) et Hunferth Roland (Götz Otto) et les gardes cool. Kyra porte une armure qui lui procure +10 en distraction. Roland a pour sa part choisi le col roulé.

 On finit également par découvrir que Grendel a une bonne raison de n'épargner que le roi. Dans le poème, c'est la fonction royale donnée par Dieu que même le monstre n'ose profaner. Ici, c'est plus personnel. "Pas toi" lui répond Grendel lorsque Hrothgar tente de l'affronter. Pourquoi ? Parce que Grendel est le fils de Hrothgar,  que celui-ci a eu avec la Mère de Grendel. Alors oui je sais ça a l'air dégueulasse comme ça, mais je rassure la grande majorité d'entre vous (quitte à en décevoir quelques autres), la Mère de Grendel n'apparaît pas sous la forme monstrueuse qui la décrit dans le poème, du moins, pas toujours. Elle sait prendre l'apparence d'une femme sexy et peu vêtue qui tient un rôle... vigoureux... dans les rêves mouillés de Horthgar au final du film, ne révélant sa forme dégueulasse (je parle ici de la qualité des effets numériques) qu'à la fin pour le boom boom.... enfin la bagarre quoi. Pas le... enfin, vous avez compris.

Tout ça place désormais le script et le concept original de Beowulf à une distance proche de celle qui nous sépare de Mars, environ. Attention, ce n'est pas une mauvaise idée en soit, ce démon tentateur dont le rejeton hante ce père, seigneur d'un royaume maudit pour sa transgression (qui a aussi coûté la vie de son épouse, fallait bien faire de la place pour la nouvelle maman). Mais ce n'est pas du tout l'histoire de Beowulf. (Zemeckis reprendra l'idée et s'en sortira un peu mieux) Alors oui, le héros finit par tuer Grendel en lui arrachant le bras et expose celui-ci aux murailles (pour faire lever le siège aux assaillants), mais ces petites touches esthétiques et superficielles ne suffisent pas à compenser le reste.

Grendel, moins fantomatique que la version de 98.

 Faire de Grendel et sa mère des démons qui hantent le château les arrache déjà à leur identité première d'esprits du terroir (en l’occurrence les tourbières), de même que de faire de la Mère de Grendel une entité aérienne (avec des ailes et tout), même si j'aime bien l'idée qu'elle a toujours été là, avant même l'établissement du fortin, et que Hrothgar la rencontra après qu'il conquit le fortin en question. Quant au triangle amoureux Beowulf - Kyra - Roland, voilà un ajout dont on se serait bien passé. D'autre changements sont relativement anecdotiques comparés à tout ça, comme faire mourir Hrothgar, ce qui n'est pas seulement con vis à vis du poème, mais vis à vis des règles instaurées par le film lui-même. Certaines choses sont intéressantes, comme montrer que les soldats sont épuisés et en état de siège, ce qui fonctionne bien avec le contexte du film, bien que là encore, dans le poème Hrothgar est déserté car les gens ne sont pas enfermé dans Heorot avec lui.

La Mère de Grendel. Disons qu'on est moins sur le poème Beowulf que sur The Long Swift Sword of Siegfried, si vous voyez c'que j'veux dire. L'actrice a d'ailleurs tourné dans une série érotique la même année où elle a joué dans Armageddon, un an avant ce Beowulf. Quelle carrière !

 
Sinon y a sa version cinématique de Playstation. C'est normal que ça pique. La Mère de Grendel a marché pour que le Roi Scorpion du Retour de la Momie puisse courir.
 

Finalement la Mère de Grendel se révèle avoir du sang inflammable et Beowulf la fait exploser (à ce stade je ne lève même plus un sourcil), détruisant tout Pas-Heorot. Tout le monde meurt sauf Beowulf et Kyra qui décida d'accompagner le demi-démon, en dépit de ses avertissements, et on oublie tout le dernier tiers de l'histoire avec le dragon, parce qu'on n'a pas le budget. Totalement comme dans le poème, donc. (Non.)

Conclusion

Je ne souhaite pas étirer cet article plus que nécessaire, même pour ricaner, car une fois ce postulat fait, il n'y a pas grand chose à dire de ce film en tant qu'adaptation. Il y a écrit "Beowulf" sur la jaquette du DVD, on lâche trois noms tirés de la source dans les dialogues, mais même des noms comme Hunferth ou Heorot, qui aurait très aisément pu s'y trouver, sont abandonnés, et je ne parle là que d'un petit effort superficiel qui aurait pu faire illusion, pas du scénario qui trahit la source dès qu'il ne l'occasion. Non, là, y avait rien à faire pour empêcher le naufrage. Niveau adaptation, j'insiste donc, on est donc sur du zéro effort. Ce n'est pas Beowulf mal raconté, non, ce n'est juste... pas Beowulf du tout.

D'un point de vue purement cinématographique, à part quelques costumes bien cool et deux trois plans débullés pour faire style "on fait un film de genre", c'est fauché et peu inspiré. Il y a des plans je peux quasiment voir la machine à fumée s'allumer puis s'éteindre à la lisière du hors champs. Et les effets spéciaux numériques sont d'un laid... ce qui est dommage car Grendel a une version "mec dans un costume" et qu'elle n'est pas trop mal... enfin toutes proportions gardées, hein, on est l'année de sortie de Matrix et La Momie, pour rappel. Mais c'est pas les mêmes budgets non plus.

Faut-il le voir ?

Avez-vous bien rigolé entre amis devant des nanars des années 90 ? Aimez-vous les scènes d'actions surjouées où l'on mélange combats à l'épée et Cirque du Soleil commandé sur Wish ? Pouffez-vous à l'écoute de dialogues de collégiens essayant désespérément d'être sombres et profonds ? Êtes-vous sensibles au rire de Christophe Lambert ? Mortal Kombat vous a-t-il fait rire par la nullité de ses CGI et de ses acteurs et de sa musique et de ses costumes et... ? Alors oui, Beowulf (1999) vaut le visionnage, avec des bières, des chips et des potes. Seulement a priori, si vous appréciez les nanars, vous l'avez déjà vu. Si ce type de visionnage ironique de mauvais films n'est pas votre tasse de thé, fuyez. Vite.

Mais s'il le faut, je ne suis pas comme ça. Cadeau : 


Le point Bande-Originale

Non, j'ai pas envie.

Bon, OK, elle est composée par Ben Watkins, à qui l'on doit également......


 Mortal Kombat et Mortal Kombat : Destruction Finale.

Voilà, haha, LOL, c'était facile. En vrai c'est apparemment une compilation de différents artistes. D'ailleurs le crédit du film c'est "Ben Watkins for Juno Reactor".

Je me dois donc de préciser que Watkins a fondé Juno Reactor pour collaborer avec d'autres artistes et que je ne suis moi-même pas mauvais client de Juno Reactor, que j'avais découvert grâce à leur collaboration avec Don Davis sur Matrix Reloaded et Matrix Revolutions. Autant dire que je suis plutôt amateur de leurs productions post années 2000 et moins de leurs, euh, chef d’œuvres des années 90. Disons-le comme ça.

Cependant, par acquis de conscience, la BO de Beowulf (1999), c'est (entre autres) ça :

 

Si c'est votre style, il y a toute la playlist sur Youtube pour vous faire plaisir.

dimanche 12 octobre 2025

Beowulf (1998) : ce n'est pas la taille qui compte

Vous avez été nombreux à lire ma rétrospective des films adaptant les légendes des Nibelungen... ah, on me souffle dans l'oreillette que vous avez été surtout nombreux à lire l'article sur la version coquine, bizarrement. Je ne juge pas. Il est donc temps de poursuivre notre voyage cinéphile, en nous penchant cette fois sur une autre légende qui bénéficia, au fil des années, d'une popularité certaine sur nos écrans :

Il y a deux écoles, lorsqu'on lit le nom de B E O W U L F écrit ainsi en lettres majuscules badass, deux types de personnes. Celles qui entendront immédiatement les percussions martiales du thème musical incroyable d'Alan Silvestri pour l'adaptation en 3D de Robert Zemeckis, et puis il y a celles qui entendront de la techno. Et soyez sans craintes, on les passera en revue, ces deux films, et plus encore. Il y a aura des adaptations relativement fidèles, d'autres n'ayant d'adaptation que le nom du film et du personnage principal, mais sans aucun rapport avec la source, des tentatives de réinterprétation plus ou moins réussies ou astucieuses, de la Fantasy comme de la SF, et puis des purges avec des casques à cornes. Ou de la techno. 

Bienvenue dans cette rétrospective BEOWULF.

 

La jaquette du DVD, qui décide bizarrement d'orthographier le film "Beowülf" avec un umlaut. Hommage au groupe de métal homonyme ? Très curieux, sachant que le contenu du DVD (cf. ci-dessus) l'écrit correctement...

Or, ce voyage commence en 1998, avec le court (27min) film d'animation Beowulf, par Yuri Kulakov, qui fait partie d'une série appelée Animated Epics (incluant également les Contes de Canterbury et Moby Dick). (Je passe volontairement sous silence le film d'animation Grendel Grendel Grendel de 1981, car je n'ai pas réussi à me le procurer. Si cela devait changer, j'en parlerai une autre fois. A priori il s'agirait d'une comédie avec un ton à la Monty Python, je suis curieux.)

Néanmoins, ça attaque fort, parce qu'on part sur une animation datée, très saccadée qui rappelle un peu la rotoscopie du Seigneur des Anneaux de Bakshi (mais c'est en réalité une animation par peinture sur verre) ainsi qu'une BO parfois un peu badante, le tout donnant l'impression d'être sorti 20 ans avant 1998 (pour rappel la même année sortaient Kirikou et la sorcière, Mulan, ou encore Le Prince d’Égypte... oui, oui, tout ça c'était il y a 27 ans, je vous en prie, tout le plaisir est pour moi.) Alors je ne dis pas, ça a son charme, hein, mais on ne peut pas dire qu'on démarre avec un chef-d’œuvre visuel, trop d'ambition pour trop peu de moyens, j'imagine. Mais ne vous laissez pas dissuader par le style, car le court métrage a d'autres atouts dans sa manche.

Déjà, le casting. Vous entendrez, entre autre, les voix de Michael Sheen, Joseph Fiennes, Derek Jacobi... il y a du beau monde. Mais c'est surtout le script qui brille dans cette adaptation, et qui fait du film un parfait point de départ pour ma série. Pourquoi ? Parce qu'il est (relativement) fidèle à la source, et ses écarts sont surtout par omissions plutôt que inventions ou trahisons. Une base solide pour avoir Beowulf bien en tête avant d'attaquer les adaptations plus... enfin moins... enfin, vous savez bien. C'est pourquoi on va prendre la chose de manière très linéaire, ça fera office de résumé du poème. Et pour une fois, je suis même en mesure de vous présenter le film avant d'en discuter !

 

On commence par introduire les Danois, leur roi Hrothgar le Scyldien et sa grande halle Heorot (la halle au cerf). J'apprécie qu'on prenne le temps de montrer la tête de cerf qui lui donne son nom, au-dessus de l'entrée, petit détail mais qui fait plaisir. On entend par le narrateur comment ils profitent de leur succès en faisant la fête dans l'insouciance, sans se préoccuper des avertissements concernant la menace qui rôde : une créature marrie de la joie des hommes. Hrothgar est trop orgueilleux et trop fier de sa halle pour prendre la menace au sérieux... jusqu'à ce que Grendel sorte des marais, au cœur de la nuit, pour faire un carnage. Nuit après nuit, il revient pour terroriser Heorot, tuant sans merci, à l'exception du roi qu'il ne touche pas. Les gens désertent alors la halle au cerf, même les plus braves n'osent offrir leur service au pauvre Hrothgar (dans le poème ça va durer comme ça douze hiver).

"It was at this moment Hrothgar knew, he fucked up."

Jusqu'à ce que débarque... BEOWULF *lance la Techno*NONON, pas ce Beowulf, le vrai Beowulf *Ah... bon bah j'éteins la Techno* C'est un Gaut, c'est à dire qu'il vient du centre de la Suède actuelle. Il a entendu parler de Grendel et veut combattre le monstre. Il est intéressant de noter que le court métrage, bien que très limité par le temps, prends la peine de nous montrer le héros à la cour de son seigneur, Hygelac, car il n'est pas roi ni maître de ses gens comme on pourrait le croire dans les adaptations ultérieures, il sert son oncle le roi Hygelac en Gautland, et doit donc lui demander le droit de partir en expédition. Hygelac n'a pas forcément envie de se séparer, même temporairement, de son neveu et accessoirement meilleur guerrier, et préfèrerait que les Danois se démerdent, mais Beowulf rappelle que Hrothgar a jadis offert l’asile à Ecgtheow, le père de Beowulf, après qu'il ait tué un Wulfing.  

Le film résume l'événement en "il a sauvé mon père", mais dans le poème on apprend qu'il l'a non seulement accueilli et protégé, mais il a également payé le Wergeld, le dédommagement judiciaire (sonnant et trébuchant), puis usé de diplomatie pour réconcilier les clans, et que Beowulf a passé sa jeunesse auprès de lui comme cela se faisait beaucoup pour l'éducation des princes (un genre d'Erasmus avant l'heure). Aussi, Beowulf ne cherche-t-il pas seulement l'aventure au pif, il veut surtout rendre service à un roi avec qui il a une relation très personnelle, et qui a littéralement sauvé la vie de son père au pire moment. L'honneur et le devoir dictent sa conduite, pas nécessairement la soif d'aventure ou l'orgueil mal placé (il sera utile de s'en souvenir pour les adaptations futures). Hygelac ne peut lui refuser.

On notera que Beowulf est imberbe !

 L'accueil frigide que les Gauts reçoivent de la part des Danois au premier abord est fidèle au poème, ainsi que la mise en question de sa réputation et des rumeurs à son sujet. Hunferth se montre particulièrement critique et l'accuse carrément de mentir. Le poème rentre plus dans le détail, notamment lorsque Hunferth confronte Beowulf avec l'histoire d'un défi contre un certain Brecca, une course de natation que Beowulf aurait perdue, mais je garde cela pour plus tard, lorsque nous parlerons du film de Robert Zemeckis. L'idée est bien là, simplement le court métrage ne rentre pas dans le détail.

S'en suit l'attaque de Grendel et son combat contre Beowulf. Celui-ci a déclaré vouloir combattre d'égal à égal, et puisque le monstre n'emploie pas d'armes, alors lui non plus, et on assiste à une lutte à mains nues. Bon, dans le poème, il n'y a pas que les mains qui sont nues, car il se met littéralement à poil pour pousser l'égalité jusqu'au bout, pas de cotte de mailles, rien, mais allez savoir pourquoi, pas de Beowulf -18 dans ce film. A la place on a une séquence très étrange qui m'a un peu rappelé la grotte hantée de la Bête dans Les Douze Travaux d'Astérix. Mais le résultat est le même : Beowulf lui arrache un bras et Grendel fuit pour mourir dans les marais, puis on attache le membre sanguinolent à la vue de tous (dans le poème on l'accroche aux bois de cerf, ici on l'accroche avec des chaînes).

Pas de bras, pas de Danois.

On récompense le héros comme il se doit, et il reçoit notamment de la reine Wealhtheow un collier particulièrement précieux : le collier des Brisingar. Et puis on fait la fête et... oh bah mince, il y avait un deuxième monstre ! Hrothgar en avait bien entendu parler mais il a oublié de le mentionner à Beowulf - il est distrait, mais il a beaucoup de responsabilités, vous comprenez. Cette nouvelle créature, c'est la Mère de Grendel, qui vient venger son fils. Elle tue plein d'homme et kidnappe le fidèle conseiller de Hrothgar, Aeschere. Pour la première fois le film change l'intrigue plutôt que d'omettre des choses : normalement Aeschere est le premier guerrier à périr, et c'est le fils préféré de Hrothgar qui est enlevé. Comment ? Oui, Hrothgar a plusieurs fils, oui, et il a un préféré. Enfin avait. Oups.

Beowulf part (accompagné) en expédition pour retrouver la Mère de Grendel, et Hunferth, qui a depuis compris que le Gaut était un vrai badass, lui offre l'épée de sa famille Hrunting, qui n'a jamais failli à son porteur (le poème précise même que la lame est forgée avec du venin pour +10 en charisme, ce qui n'est pas sans évoquer es nombreuses lames forgée avec du sang ou venin de salamandre dans le corpus continental). Beowulf plonge sous les eaux sombres pour rejoindre une caverne à l'entrée immergée, là c'est le Deuxième Round pour notre héros, qui découvre très vite que Hrunting peut, en fait, faillir à son porteur.

 
Bon, Hrunting a failli, qu'à cela ne tienne, Beowulf ramasse une épée de géant qui traînait par là et défonce le monstre avec. Dans le poème, la grotte est remplie de trésors antédiluviens (littéralement), et l'épée est explicitement originaire des géants bibliques, avec une citation de l’ancien testament sur la garde, et une inscription runique sur l'identité de son ancien propriétaire. Dans le court métrage, le narrateur évoque les géants et on voit des runes anglo-saxonnes dans le pierre où était logée la lame, donc l'idée reste la même. Le poème fait d'ailleurs de Grendel et sa mère des rejetons des géants biblique issus de la lignée de Cain, maudits par Dieu pour le fratricide commis par Cain contre Abel, mais c'est probablement un ajout tardif pour vernir à la hâte donner au au récit une coloration plus chrétienne.
 
De même, la lame disparaît après le massacre, mais dans le film on dirait qu'elle s'éteint, genre "ma tâche est accomplie", alors que dans le poème c'est le sang de la Mère de Grendel qui fait fondre le métal, ne laissant que la garde. Je trouve d'ailleurs intéressant que le court métrage mette si clairement en parallèle cette garde ancienne et un marteau de Thor, comme pour repaganiser le motif, sachant que la connexion de l'épée de géant avec les géants bibliques est, comme je l'ai dit, probablement plaquée dessus pour essayer de christianiser le poème en premier lieu, bref, la rourtourne tourne, comme le dirait un grand philosophe français.
 
Ja, ja, sehr subtil !

Suite à son succès, Beowulf repart, apprécié et et honoré. L'échange final avec Hrothgar qui lui rappelle que sa jeunesse va se faner et que bien des morts peuvent le guetter sur les sentiers périlleux de son existence est... tirée de la source. Ça doit faire plaisir ce genre d'adieux, on a envie de revenir tiens ! En vrai, c'est pour le prémunir contre l'orgueil que lui même n'a pas su repousser, et rester humble. La grosse différence entre le film et le poème, c'est que dans la source, Hrothgar lui offre son royaume, s'il veut bien être son héritier, sous les gros yeux de Wealhtheow qui en a chié pour lui faire plusieurs fils. Mais Beowulf refuse, il n'est pas venu pour ça et lui rappelle qu'il a déjà des héritiers. Le Gaut revient auprès de son oncle Hygelac qui vient l'accueillir sur la plage.

Le film fait un saut dans le temps, comme le poème par ailleurs, jusqu'au temps où Beowulf est vieux. Il a hérité du trône de son oncle et règne sagement et généreusement, jusqu'à ce qu'un voleur ne s’infiltre sous un tertre ou gît un trésor de roi (géant sans doute), gardé par un dragon. Il dérobe une coupe d'or sertie de joyaux (dans le film un coffret) et cela provoque la colère du monstre qui sort de sa tanière pour ravager la campagne par le feu. Pas le choix, il faut aller au charbon (padam tschii).

Un groupe de guerriers accompagne le vieux Beowulf jusqu'au tertre mais il commence par le dire qu'il doit y aller seul. L'entièreté du combat du film se déroulera alors sous terre mais le poème les fait s'affronter sous le tertre et en dehors, tandis que l'herbe brûle autour d'eux. Dans les deux cas, son bouclier crame instantanément et Beowulf regrette un instant ses choix de vie. Les autres guerriers fuient et l'abandonnent, à 'exception du jeune Wiglaf qui coure à son secours.

Le moment où tu comprends que c'était pas des champignons de Paris.
 

Le film traite le combat vraiment bizarrement, presque comme une bataille métaphysique avec le dragon prenant l'apparence de Beowulf lui-même et riant comme le centurion fantôme de... bah, les Douze Travaux, encore une fois. Et quand il embroche finalement le dragon en lui fonçant dessus, il meure, parce que...? Dans le poème, la bête lui mord le cou et l'empoisonne de son venin, après un échange tout à fait prosaïque. Cette mise à mort mutuelle rappelle un peu la manière dont Jormungandr et Thor périssent en emportant l'autre avec eux durant Ragnarök.

Parlons brièvement design

Ce choix est à mettre en parallèle avec la manière de représenter Grendel et sa mère. Le poème est assez avare en détails, le poète évoquant certes la force et la taille, voire la laideur de Grendel, mais pas nécessairement de description précise, aussi on peut imaginer ce que l'on veut. Toutefois, ce sont des créatures qui vivent dans les marais et tourbières, et leur grotte n'est accessible que par une plongée sous l'eau. Leur design dans le film reflète ce côté marécageux, comme couvert d'algues, et transmet cette idée de monstres aquatiques liés au monde sous-terrain. Les deux créatures sont pourtant tout à fait physiques, pas des spectres ou des blobs se déformant à volonté comme choisit de les représenter le film. Quant au dragon, comme je l'ai dit il n'a rien de métaphysique non plus et  si le début du combat est fidèle au poème, la fin est particulièrement curieuse...

La manière dont la Mère de Grendel se reforme à chaque coup de taille n'est donc pas décrite ainsi dans le poème, mais rappelle beaucoup le face à face entre Dietrich et l'ogresse Hilde, ce qui n'est pas pour me déplaire ! Après, le design choisi pour Grendel et sa mère trahissent un peu les limitations techniques et budgétaires du film. Personnellement, quand je vois cela :
 
 
Je m'attends presqu'à :

La fin de l'aventure 

Le court métrage choisit également de symboliser la passation de pouvoir entre un Beowulf moribond et son fidèle Wiglaf par un don : celui du collier des Brisingar. C'est une nouvelle altération car ce précieux bijou, le poème nous en dit davantage. Déjà, c'est Hygelac qui le reçoit en cadeau dès le retour de Beowulf de son expédition, prouvant que Beowulf se moque des richesses. Mais dans un pan complètement omis du film, on sait que Hygelac le portait lorsqu'il périt en terre lointaine, mais je vais y revenir. Ici le film a voulu garder l'objet et lui donne un rôle nouveau, qu'on pourrait admettre comme plus fort et moins "accessoire". Le souhait de Beowulf d'être inhumé dans un tombeau sur les hauteurs, en bord de mer, où brûlerait toujours un feu pour les marin, c'est bien tiré du poème, qui situe l'endroit à un "cap-de-la-baleine".

Et c'est sur les funérailles de Beowulf que se termine ce premier film, et le moins qu'on puisse dire c'est que c'est globalement fidèle. Il y a peu de modifications allant à l'encontre du poème, comme on l'a vu, et si on se contentait de d'observer ce qu'on voit à l'écran, on serait tenté de juger l'ensemble extrêmement proche de la source. Toutefois, j'aimerai attirer votre attention sur ce qui n'est pas à l'écran :  les omissions.

Les omissions

Alors qu'on se rassure, elles ne changent pas radicalement notre compréhension de l'histoire, mais sachant à quel point certaines d'entre elles sont importantes pour comprendre le contexte, il est intéressant qu'on ait choisi de s'en dispenser, d'autant plus qu'ils ont conservé Hygelac et le rôle joué par Hrothgar dans la vie de Beowulf et du père de celui-ci, Ecgtheow.

Déjà, il faut comprendre que le poème Beowulf n'est pas du tout linéaire. La narration saute dans le temps et l'espace à force d'analepses (des flashbacks quoi), de récits enchâssés et de prolepses (des flashforwards dans la langue de Mr. Bean), on se croirait dans un épisode de remplissage d'un anime. C'est un vrai puzzle à reconstituer, et c'est un aspect dont la plupart des sources se dispensent (cela dit le court métrage offre un aperçu de l'arc final en introduction et le film de Zemeckis nous offre le flash-back de la course de natation, toute une séquence imbriqué dans une autre, celle ou Hunferth remet ses exploits en question). Ces passages nous en apprennent plus sur Hygelac, par exemple, et notamment qu'il périra au court d'une expédition en Frise, et qu'il portera le collier des Brisingar lorsqu'il tombera. Beowulf sera alors avec lui et survivra en fuyant à la nage. Cet incident trouve d'ailleurs écho dans les sources franques, notamment l'Histoire des Rois Francs de Grégoire de Tour, la Geste des Rois Francs et le Liber Monstrorum. Beowulf ne s'y trouve pas, mais Hygelac, aka le roi Clochilaic meurt dans l'Hattuarie (la Hetware de Beowulf).

Dix points pour Griffondor pour avoir montré la petite sous-intrigue autour du collier des Brisingar. Les adaptations suivantes s'en tamponneront allègrement le coquillard. Il faut dire qu'elle ne sert qu'à créer de l'intertextualité, qui si elle enrichit le poème, n'est pas très utiles à des œuvres cherchant à simplifier et aller à l'essentiel. Et pourtant, ironiquement, c'est le court-métrage qui la conserve.

En parlant de la Frise, pas un mot sur la bataille à Finnsburg entre les Frisiens et les Danois, une trahison façon Noces Pourpres dont le récit en enchâssé dans le récit central comme une histoire de héros que se racontent des héros. Cette histoire avait par ailleurs droit à son propre poème, dont il ne reste aujourd'hui qu'un fragment. D'ailleurs, on a aussi droit à une brève mention de Sigmund le Völsung qui a tué un dragon, et de son "neveu" Fitela (Sinfjötli), qui, ahem, est aussi son fils accessoirement. Pas de Sigurd !

Le drama familial qui guette 

Mais le plus gros "oubli" du film est la pression sur la reine Wealhtheow et ses très jeunes fils. Dès que la mort de Grendel est criée sur tous les toits, Hrothulf, le neveu du roi, se pointe comme si de rien n'était, et on comprend que la stabilité du royaume ne tient qu'à un fil. En Beowulf et Hrothulf, la reine voit deux potentiels usurpateurs, et le narrateur glisse plein de petits indices sur le chaos de la période, comme ces bancs qu'on a retiré à des halles plus petites pour remplir Heorot, ce qui ne veut pas dire qu'on a emprunté leurs bancs de brasserie aux voisins, mais qu'on a cramé leurs halles pour centraliser le pouvoir. 

Or, Hrothulf n'est nul autre que Hrolf Kraki, un héros très célèbre qui non seulement a droit à sa propre saga, mais celle-ci est particulièrement appréciée. Si vous tombez sur le kenning "les semences de Kraki", ce sont ses semences à lui dont on parle, eeeet je vous arrête tout de suite, c'est une métaphore pour l'or. Si vous voulez savoir pourquoi, lisez la saga de Hrolf Kraki). Sa présence presque négligemment mentionnée implique que le poète estimait qu'on savait qui il était et son lien familial avec Hrothgar. Dans Beowulf, on nomme leur clan les Scyldiens, dans les sagas scandinaves les Skjöldungs.

Ainsi, le récit se repose sur les connaissances de son public pour comprendre le contexte sans l'expliciter : on sait que si Hrothgar est roi des terres danoises, cet élément rappelle à l'auditoire (ou le lecteur) que son frère, le père de Hrothulf (pas nommé dans Beowulf mais appelé Helgi dans la Saga de Hrolf Kraki et Helgo dans la Gesta Danorum), a accepté, à la mort de leur père qu'ils ont trucidé car c'était un tyran, mais bref, d'être un "roi de la mer", sans terre mais aux commandes d'une flotte et de colonies or du Danemark. Est-ce que Hrothulf se contentera d'un tel arrangement ? Ou développera-t-il de plus amples ambitions, alors que les héritiers de Hrothgar sont encore des enfants et lui un guerrier dans la fleur de l'âge ? Wealhtheow a de quoi s'inquiéter. Alors rajoutez Beowulf le Übermensch "tueur de monstres surnaturels à mains nues" par-dessus et vous imaginez la tension sous-jacente à Heorot. D'ailleurs, je ne l'ai pas dit, mais Wealhtheow... c'est une Wulfing... le clan dont le père de Beowulf a tué un membre, crime que son son époux a dédommagé avant de donner une bonne éducation au fils du tueur. Lorsqu'elle donne le collier des Brisingar, c'est un précieux héritage de son clan qu'elle donne à l'héritier du meurtrier de l'un d'eux. Elle a besoin de s'assurer de ses bonnes grâces, mais imaginez ce qu'il lui en coûte.

Mais tout cela est essentiellement implicite, compréhensible par des références ici ou là et des allusions funestes. Sans doute que cela compliquerait la compréhension du film à un public à qui ces connaissances implicites manquent et ne connaissent plus forcément l'équilibre familial des Skjöldungs. Je comprends que les spectateurs soient venus voir Beowulf défoncer du monstre, pas assister à un Western familial durant l'Âge de Vendel. Soit, j'entends. Mais c'est dommage. 

Conclusion

Malgré tout, on ne peut vraiment pas se plaindre de la fidélité du court métrage, surtout avec une telle durée. C'est de loin l'adaptation la plus courte du poème, pourtant, malgré les besoins d'un tel excercice (résumer, simplifier), il n'y a aucune grosse trahison, ni aucun véritable contresens. Quant au style, je l'ai un peu chambré, mais c'est vraiment une histoire de goût. Pas sûr que ce soit la meilleure introduction à Beowulf, celle qui vous agrippe et vous plonge dans la légende avec l'envie d'en voir plus, mais c'est sans doute la version la plus proche du texte. Faut-il la voir ? A priori c'est un peu tard pour poser la question, mais si vous m'avez lu sans visionnage préliminaire, allez-y !

Le Point Bande-Originale 

La musique est composée par Graeme et Wendy Lawson. Graeme est archéologue, musicien et historien et travaille visiblement sur de la recréation musicale historique. Sous le nom de Archeologia Musica ils ont sorti plusieurs vinyls recréant de la musique des périodes romaine, viking et normande. C'est une super idée de recruter des gens pareils pour un film tel que celui-ci ! Après... je ne suis malheureusement pas certain d'être convaincu par les nappes de synthés occasionnelles (qu'on pourrait charitablement attribuer au sound design) parsemées de deux trois coups de flûtes. Le principe aurait dû être excellent, l'exécution n'est vraiment pas terrible.

vendredi 5 septembre 2025

La pierre de Rök : sur les sentiers de Heldenzeit

L'été dernier, je faisais le tour du Mälaren pour voir de mes propres yeux les pierres de Sigurd qu'on trouve sur son pourtour. Cette année, c'est à Dietrich que j'ai rendu visite, en quelque sorte. Je suis parti dans l'Östergötland afin d'y trouver non pas une source d'inspiration de Heldenzeit, mais une source... tout court, que je cite au même titre que la Saga des Völsungs ou les Charmes de Merseburg.

Quand on parle de sources pour Heldenzeit, on pense à des manuscrits, des textes hérités de la tradition orales que des clercs ont fini par poser sur vélin, puis imprimer sur papier. Des textes qu'on feuillette. Et 99% du temps, c'est bien le cas. Mais pas aujourd'hui :

 

Et oui, Überraschung ! Un petit vlog à l'ancienne façon Bienvenue en Europe, ça rappellera des souvenirs aux fidèles. Maintenant que vous avez une bonne idée de ce à quoi ressemble la pierre et pourquoi elle joue un rôle dans mon projet, je vais m'étaler un peu plus au sujet de cette source, car oui c'est bien une source que cite carrément dans le corps du texte, du moins, la partie concernant Thidurik le Goth, aka Thidrek, aka Tidrik, aka Didrik, aka 

D I E T R I C H  V O N  B E R N

La pierre fait référence au personnage historique derrière la légende, le roi/empereur Théodoric. Contrairement à d'autres personnages légendaires, Dietrich a continuellement conservé son lien avec son alter ego historique dans la mémoire des poètes et du public, de sorte que les spécialistes sont rarement en désaccord sur le fait que ce sont le même personnage, l'un étant simplement déformé et exagéré avec le temps. Certains ont essayé des interprétations moins orthodoxes mais je n'ai vu aucune démonstration ne serait-ce qu'à demi convaincante. Autant avec Sigurd/Siegfried, il n'y a pas de consensus, autant avec Théodoric = Dietrich, si. Je le précise pour que ce soit bien clair : Thidurik, tel que mentionné sur la pierre de Rök, c'est Théodoric, et un jalon mémoriel qui mènera son souvenir à devenir le Thidrek de la Þidrekssaga.

Là où cela devient fascinant, c'est qu'on se souvienne de lui en plein milieu de la Suède actuelle... au début du IXème siècle. Pour vous donner une fourchette temporelle, Theodoric a vécu à la charnière du Vème et VIème siècle, et la Þidrekssaga (que je vous rabâche à longueur de temps, à force je pense que vous avez compris qu'elle est importante pour Heldenzeit) ne date "que" du XIIIème siècle. L'inscription sur cette pierre runique est coincée à environ trois siècles d'écart avec la vie de Théodoric et quatre siècle avec la saga qui lui rend hommage en Scandinavie. Bien entendu, sa légende avait déjà commencé à se développer dans le bassin germanique continental, en particulier dans le Sud (aujourd'hui Autriche et Italie du Nord). Mais là on parle du Götland, on est très loin de la Lombardie. Il faut imaginer l'importance durable que ce roi a eu dans l'imaginaire collectif, que l'on parle de lui on son double légendaire qui se confondaient alors.

Mais penchons-nous sur l'inscription. Je vais utiliser la traduction proposée par Anders Andrén et al. dans l'article Old Norse religion, some problems and prospects, tiré du symposium Old Norse Religion in long term perspectives.

Déjà, précisons que c'est la partie sur Thidurik qui nous intéresse ici, mais que la pierre est littéralement recouvertes d'autres inscriptions. C'est l'inscription runique sur pierre la plus longue qui nous soit parvenue (si on regarde les textes en runes sur vélin, la Loi Scanienne du Codex Runicus remporte la mise, mais il faut admettre que c'est plus facile quand on se contente d'écrire avec une plume que lorsqu'il faut graver sur du bois, ou plus dur encore...), néanmoins le reste du texte ne nous concerne pas pour Heldenzeit, et en plus les spécialistes ne s'accordent pas sur le sens qu'il faut donner à l'ensemble.

Le passage nous concernant dit ce qui suit :

"Que nous disons que le second, qui perdit la vie il y a neuf âges (générations)( / ou vint au monde / ou arriva sur les rivages) avec les Hreid-goths et mourut avec eux pour ses crimes ( / ou à cause de son orgueil / ou et il passe encore jugement / ou il règne encore sur le champ de bataille). Theodoric règne (/ ou chevauche), le souverain hardi des guerriers de la mer, sur les rivages de Hreidmar (les rivages de la mer de Hreid). Désormais il est assis tout équipé sur son cheval goth, avec son bouclier attaché, le prince des Mærings."

 

 Voilà quelle partie de l'inscription runique est cité ici. On commence sur la première face par les quatre lignes verticales, puis les deux horizontales, et on finit par la ligne verticale sur la tranche, laquelle correspond à "sur son cheval goth, avec son bouclier à l'épaule" etc., soit la description de Théodoric sur son cheval.

Difficile d'interpréter les lignes aisément, que ce soit en se penchant sur le véritable Théodoric, ou les légendes qui suivront. En revanche, cette image de lui qui se tient désormais assis sur son cheval avec le bouclier sanglé a été rapproché d'une autre représentation du roi Ostrogoth, non pas littéraire, mais... sculptural. En effet, Charlemagne a allègrement pillé l'ancien empire romain pour embellir ses propres églises et sa nouvelle capitale : Aachen, ou Aix-la-chapelle. Or, si la chapelle en question a bénéficié de colonnes et blocs de marbres directement rapportées de Rome ou encore Ravenne, ce n'est pas tout ce que Charlemagne a rapporté : on sait qu'en 801 il a également pris à Ravenne une sculpture célèbre de Théodoric sur son cheval, bouclier sanglé à l'épaule gauche, tenant une lance de sa dextre, afin de l'ériger plutôt à Aachen. Il est fort probable que celui qui a gravé ce texte runique (un certain Varin, en l'honneur de son fils mort, Værmod) a entendu parlé, voire a vu de ses yeux la sculpture située au cœur du nouveau pouvoir Franc.


Il faut savoir que dès le Moyen-Âge, on croit que les Goths (qui se diviseront en Visigoths et Ostrogoths) provenaient du Gotland Suédois. Varin a sans doute essayé de créer une association d'idée avec un ancêtre célèbre (tout comme Charlemagne le fait en important cette statut d'empereur dans sa capitale, il crée une filiation régale). D'ailleurs, dans les sources littéraires bien plus tardives du légendaire continental, un des clans fidèles à Dietrich est fréquemment cité : les Wulfings ou Wylfings, se retirent après sa dernière défaite ou sa mort... en Suède, "d'où ils viennent à l'origine". Cette association de Théodoric avec le Gotland a donc perduré sous cette forme, même lorsque Dietrich a été établi comme un héros "local" par les cultures germaniques du Sud. 

Le terme "mæringar" signifie "fameux, célèbres", ce n'est donc nécessairement à entendre comme le nom de son clan, mais plutôt comme un titre. Son clan, ce sont les "fameux/célèbres" Hreid-goths, or là encore, ce que les sagas scandinaves et même le Widsith anglo-saxon entendent par leur pays, le Hreidgotland, c'est... la terre d'origine des Goths. Sauf que... ça veut tout et rien dire. Pour certains, c'est l'île de Gotland, pour d'autre le Götaland (là où se situe la pierre de Rök), pour d'autres encore le Jutland, au Danemark, voire même carrément en Scythie, donc plus du tout en Scandinavie. Autant dire que les concepts de Gaut, de Got, ou d'Ostrogoth... sont des plus flexibles dans les sources.

La pierre de Rök ne nous raconte pas tant un épisode de la vie de Dietrich comme les autres sources le font, en revanche, elle nous offre un aperçu, un instantané mémoriel : Theodoric est mort en 526, en 801, l'Empereur Charlemagne "emprunte" sa statue équestre de Ravenne, où l'Ostrogoth poussa son dernier souffle, pour embellir sa nouvelle capitale, Aachen, et profiter du prestige de Théodoric afin qu'il rejaillisse sur le sien (technique classique au demeurant). 

Et exactement à la même période, un père endeuillé laisse une longue, très longue inscription runique pour son fils décédé, évoquant des champs de batailles terribles où paissent les chevaux de valkyries, une histoire impliquant Thor (peut-être le dieu, mais on n'en est pas certain), le sacrifice d'une épouse pour dédommager les Ingeldings (encore un clan mentionné dans plusieurs sagas et même dans Beowulf)... et puis, au milieu de tout ce bazar, un hommage à Théodoric, sur son cheval, celui-là même que Charlemagne a pillé sauvegardé. Lui a-t-on décrit cette statue ? L'a-t-il contemplée lui-même ? Qui peut le dire. Tout ce qu'on sait, c'est qu'on se souvenait encore de lui dans le Septentrion, et qu'on se souviendra de lui encore longtemps.


 




 

samedi 30 août 2025

Wieland le forgeron : Violence et maltraitance dans Heldenzeit Pt2

Broche trouvée à Uppåkra
Il y a quatre ans déjà je postais un article sur la violence dans Heldenzeit, et le traumatisme générationnel, hérité puis répété, en prenant pour exemple l'anti-héros Witege, un preux dans la compagnie de Dietrich de Bern. J'avais notamment pris un exemple la version de sa jeunesse telle que racontée dans la Þidrekssaga, où il se nomme Vidga et son père, un forgeron célèbre, Velent. Je ne m'attardais pas en détail sur les malheurs de Velent, car ce n'était alors pas nécessaire pour comprendre le sujet, néanmoins je me suis dit qu'il serait peut-être temps de m'attarder un peu sur cette figure de l'imaginaire germanique, celui qui, selon les traditions, porte le nom de Velent, Wieland, Völund, Weyland, ou encore Galant.

Qui est Wieland ? Fort bien, faisons tout d'abord un rapide point sur son histoire et son lore. Rapide hein.


Le forgeron mythique apparaît dans plusieurs sources (et je ne parle pas de mentions, car il fut si populaire que ce serait compliqué de tout recenser). La plus ancienne trace littéraire nous vient de la tradition anglo-saxonne, avec le fragment de poème Deor. C'est certes le plus vieux "texte", mais il est bien court et n'offre que des détails et pas l'ensemble de l'intrigue, mais comme on le verra plus tard cela complète ce qu'on sait d'autres poèmes plus exhaustifs, à savoir le Dit de Velent dans la Þidrekssaga (Norvège et Suède) et le Lai de Völund ou Vǫlundarkviða dans l'Edda Poétique (Islande). La version du Dit de Velent implique une version continentale en vieil allemand qui nous est malheureusement perdue, et bien que le personnage soit également populaire dans l'aire culturelle germanique continentale, c'est bien son fils Witege qui là-bas profitera d'une grande notoriété - pas toujours glorieuse, comme on le sait. 

On sait néanmoins par le Livre des Héros (Heldenbuch) que Wielant a deux fils, Wittich (Witege) et Wittichouwe (Vidigoia, qui n'apparaît presque nulle part ailleurs), qu'il est duc mais que deux géants l'ont chassé de ses terres, le forçant à vivre dans la misère. Il se met alors au service d'un forgeron de renom, le roi Elbenrîch (vous reconnaîtrez sans peine ce bon vieux nain Alberich), apprend l'art de travailler le métal dans la montagne Gloggensachs (a priori dans le nord de l'Allemagne), puis se rend auprès du roi Hertwich et a deux fils de sa fille. C'est succinct, mais c'est normal, les livres de héros compilent des chansons et poèmes, et complètent les trous par des résumés façon "précédemment, dans..." de nos séries préférées. Malheureusement pour nous, la version continentale ne nous survie que par ce résumé succinct, et l'interprétation du poète de la Þidrekssaga. Alors justement, maintenant qu'on a parlé des sources  brèves, penchons-nous sur les deux textes scandinaves qui racontent les événements du début à la fin.

 (Je vous préviens, les textes sont relativement courts, donc je vais essayer de ne pas trop rentrer dans le détail car... je vous invite à aller les lire vous-même, en fait.)

L'histoire de Velent / Völund commence, comme d'habitude dans ces sources, par une généalogie. Le Dit nous affirme qu'il descend du roi Vilcinius (roi des Vilces, des Slaves de l'Ouest qui vivaient au nord-Est de l'Allemagne actuelle, et qui sont une présence récurrente dans la Þidrekssaga) et d'une ondine, et de leur fils Vadi, ou Wade, un géant. Lorsqu'il atteint l'âge de neuf ans, Velent est envoyé par son père Vadi comme apprenti auprès d'un forgeron, Mimir de Hunnie. Malheureusement, Velent devient la tête de turc de Sigurd (oui, oui, LE Sigurd) qui maltraite tous les apprentis comme un bully. Trois ans de mauvais traitements poussent Vadi à reprendre son fils et le place auprès d'encore meilleurs forgerons, deux nains vivant dans la montagne de Kallava. Il est remarquable que Vadi ne se contente pas de dire à son fils qu'il doit s'endurcir et que c'est la vie ou autres platitudes, il agit et fait de son mieux pour offrir à Velent la meilleure éducation. Il y a un très belle image de lui portant Velent sur ses épaules pour passer "à gué" là ou l'eau fait dix mètres de profondeurs.

Vølund smed, 1873 (Stephan Sinding), Oslo.
Au début, tout se passe bien avec les nains, mais évidemment ça finit en tensions (lisez-le !) et Vadi va pour pour apporter une  épée à son fils et déclare "Défends-toi, qu'on ne dise pas que j'ai élevé une fille et non un fils." Ah... bon bah au temps pour moi. Brynhild aimerait s'entretenir avec toi, Vadi. Bon il essaie également de venir en personne mais, euh... il s'endort en chemin, ronfle, causant un éboulement et...

Bref, Velent est orphelin et doit se débrouiller tout seul avec les deux nains. Il récupère l'épée qui dépasse des éboulis et... massacre les nains puis leur vole toutes leurs richesses, bien sûr ! Il prend tout, l'or, les outils, limite l'argenterie et les magnets sur le frigo. Et pour rentrer chez lui, il met en pratique son nouveau savoir-faire : il fabrique un sous-marin. Alors je sais, dit comme ça, ça surprend. Il évide un tronc d'arbre et bouche les trous hermétiquement avec du verre, puis navigue grâce aux courants de la Weser jusqu'au royaume du roi Nidung du Svithiod en Jutland. En U - B O O T !! Badass 9000 ! Et ça doit être un sacré tronc car on dit qu'il vole également le cheval Schemming, très apprécié en Germanie continentale puisqu'il sera la monture de Witege. Et c'est aussi un des quatre poulains de Sleipnir, au même titre que Grani, le destrier de Sigurd, parce que bon, il faut toujours un pédigrée de fou. Ils proviennent néanmoins de deux haras différents, Grani de l'établissement de Brynhild, qui n'est pas valkyrie du tout mais bien humaine, et Schemming quant à lui provient du haras de Studas, le père Heime, qui sera à Witege ce que Karadoc est à Perceval, l'humour et la bouffe en moins. Tout est toujours lié. D'ailleurs, Heime chevauche également un rejeton de Sleipnir, Rispa, et enfin, le dernier poulain, Falka (Valke dans la tradition continentale), appartient à Dietrich de Bern en personne.

Mais bref, le sous-marin est pris dans les filets de pêcheurs et ça amène Velent devant le roi Nidung.

Bon, là je vais vraiment résumer, parce que je sens bien que je n'arrive pas à faire court. Ne m'en voulez pas, c'est une malédiction d'écriture, ça a commencé avec mon tout premier texte et je ne m'en suis jamais vraiment défait. J'en suis le premier affligé, en vrai : Heldenzeit devait faire environ 200 pages et à l'heure où j'écris ces lignes, on en est à... 556, soit 2 182 000 + signes. C'est trop, mais je digresse. Encore.

Velent fait forte impression à la cour de Nidung, il impressionne par son talent de forgeron, au point de se faire un rival jaloux, bien sûr, en la personne du forgeron royal, Amilias. Et puis le chevalier Regin / Rygger aussi, qui le garde à l’œil. Faut dire qu'il est tellement bon que, lorsqu'il égare le meilleur couteau du roi, Velent en forge un nouveau, beaucoup mieux, qui tranche le pain ET un bout de la table en dessous. Ça impressionne beaucoup le roi qui demande qui l'a produit. Velent ne veut pas admettre sa faute initiale et donne le crédit à Amilias, qui jusqu'ici n'a fabriqué que des objets sans panache s'empresse d'approuver. Oui, oui, absolument, c'est bien lui qui l'a forgé ce couteau pratiquement magique.

Sauf que Nidung n'est pas con et force Velent à avouer la vérité, ce qui froisse beaucoup Amilias, au point de provoquer Velent en duel de forgeron. Oh mince, Velent n'a pas d'argent ? Il n'a qu'a mettre sa tête en jeu ! Le duel est simple : Amilias forgera la meilleure armure de tous les temps (heaume, jambières, haubert), et Velent la meilleure épée de tous les temps. S'il arrive à blesser Amilias de cette épée en outrepassant ses pièces d'armure, Velent gagne. Sinon, il sera raccourci de trente centimètres environ.

Je vous passe les péripéties où Regin / Rygger a volé ses outils etc., l'important c'est que Nidung fait construire une forge pour Velent et que les deux forgerons fabriquent ce qu'ils sont censés fabriquer. Amilias travaille d'arrache-pied pendant un an, Velent commence sept jours avant la date butoir. Deux styles de travail, on a tous été l'un ou l'autre pendant nos études, et c'est toujours injuste quand celui qui s'y prend à la dernière minute s'en sort avec les honneurs. Je ne dis pas que c'est ce qui va se passer, je dis que c'est injuste. 

De manière fascinante, Velent s'y reprend à trois fois, réduisant à chaque fois l'épée produite en poudre, laquelle est mangée puis chiée par des oies, avant qu'il ne recommence son œuvre. C'est un peu l'équivalent métallurgique du café Kopi luvak, technique magique ancestrale apprise auprès des nains, à n'en pas douter. En tout cas la méthode caca d'oie produit finalement l'épée Mimung (ou Mimming dans le Waldere), une lame célèbre puisqu'elle sera brandie par Witege dans toutes ses aventures. Elle est si exceptionnelle que Velent en fait une copie (toujours dans les sept jours qu'il lui reste, je rappelle), comme dans le film Contact : deux pour le prix d'une, dont une qu'il garde secrète.

Le jour J, Amilias se pavane comme un paon avec son armure et passe du temps avec ses fils (comme quoi les clichés ne datent pas d'hier, il ne manque plus que "c'est ma dernière œuvre avant la retraite") Tout le monde est ébloui par son travail, non des moindres Nidung lui-même. Et puis Velent arrive et, plutôt que de frapper, appuie sa lame sur le casque. Elle s'enfonce comme dans du beurre, dans le métal, d'abord, puis dans le crâne d'Amilias, ses épaules, en fait, elle le tranche sans à-coup jusqu'à la ceinture. Pour les plus dissipés, ça veut dire que Velent gagne le pari.

Nidung est impressionné (c'est étonnant !) et exige d'obtenir cette épée. Velent lui répond "pas de souci, je vais vite fait te chercher le fourreau qui va avec !" mais c'est surtout une astuce pour échanger la meilleure épée contre la copie, qu'il confie au roi. Sa réputation est au sommet, il remplace Amilias comme forgeron royal, tout va bien pour Velent.

Néanmoins, on peut déjà remarquer une chose sur son caractère : être la victime d'un bully pendant des années n'a pas développé son empathie, bien au contraire. Il lui suffisait de blesser Amilias pour remporter son duel, ce qu'il aurait pu faire sans effort, pourtant il a choisi de l'exécuter, de le fendre du sommet du crâne jusqu'à la taille, comme pour le punir de son orgueil et d'avoir osé croire pouvoir se mesurer à lui. Devant ses enfants ! Velent n'est pas un homme bien, il peut se montrer cruel et revanchard, et ça, en plus de ses talents de forgeron extraordinaires, c'est justement ce qui va lui permettre de devenir une légende.

Völund en bijou, c'est très à propos !

Un jour qu'il est à la guerre, le roi Nidung se rend compte qu'il a oublié sa pierre de victoire qui rend invincible. Dans la panique, il promet tout et n'importe quoi à qui accomplira l'impossible et lui rapportera la pierre avant l'aube. Il promet beaucoup trop, en vérité, car il va jusqu'à offrir la moitié de son royaume ET sa fille en mode "My Kingdom for a horse !". Et malgré cette carotte exceptionnelle, personne n'ose proposer ses services, car la tâche est proprement impossible. Personne ? A part Velent bien sûr, qui ne chevauche pas un cheval ordinaire mais un descendant de Sleipnir ! D'ailleurs, les sources continentales appuient que Schemming est le plus rapide de ses frères, c'est pourquoi Witege est en mesure d'échapper à Dietrich lors de leur poursuite sur la plage de Ravenne. Autant dire qu'aller cherche la pierre de victoire ne lui pose aucun problème : en douze heures il parcoure la distance pour laquelle l'armée a galéré pendant cinq jours.

Lorsqu'il revient, une bande menée par un sénéchal jaloux essaye de lui extorquer la pierre, et il tu le sénéchal sans sourciller, ses complices s'enfuyant. Et ça, ça arrange bien le roi Nidung qui, une fois calmé de sa crise de panique en retrouvant sa pierre, n'a pas vraiiiiment l'intention de se séparer de la moitié de son royaume et de sa fille en sup. Il saute sur l'occasion et banni plutôt Velent pour meurtre, puis va guerroyer (il gagne, comme quoi, les pierres de victoires, ça marche !)

Velent pourrait refaire sa vie ailleurs, recommencer à zéro, mais Velent est revanchard. Il essaye d'empoisonner le roi mais se fait gauler, et une situation délicate va se transformer en calvaire : Nidung lui fait couper les tendons des pieds, genoux et cuisses et les ligaments des jambes, afin qu'il ne puisse plus jamais marcher. Infirme et captif, l'humiliation est totale. Dans l'Edda Poétique, le roi n'attend pas de prétexte comme cet assassinat manqué, il le fait carrément kidnapper au milieu de la nuit. Le résultat est le même, Velent est désormais au service du roi. Il prétend reconnaître ses erreurs et vouloir se faire pardonner, et Nidung lui fourni une forge et de l'or afin qu'il se mette au boulot.  Le roi croit alors avoir gagné sur tous les tableaux.

Or, Velent n'a pas abandonné. Au contraire, sa soif de vengeance n'en est que plus forte. Au lieu de tuer Nidung, il va ravager tout ce en quoi il tient. Il va gagner la confiance de ses deux jeunes fils (le troisième, Otvin, est déjà adulte) et les massacrer dans sa forge lorsqu'ils viennent faire réparer leurs flèches (ou pour jeter un œil à son trésor dans l'Edda Poétique.) Mais comme Velent a fait promettre aux garçons de marcher à l'envers vers sa forge en échange de réparer les flèches/montrer l'or, les traces dans la neiges montrent qu'ils ont quitté la forge et Velent est innocenté de leur disparition. Mais ne croyez pas qu'il se contente de les tuer, non, non, ce sera trop vulgaire. Velent est un artiste ! De leurs crânes il tire de magnifiques hanaps dorés, de leurs omoplates et hanches des coupes à bière, et du reste des manches de couteaux, des plats, des chandeliers, il refait tout l'intérieur de Nidung façon Ikea doré, et celui-ci est ravi, on sort même ces couverts de luxe quand les invités de marque sont reçus. Dégueulasse ? Attendez, il n'en a pas terminé.

La prochaine sur la liste est la princesse. Si elle n'a pas de nom dans la Þidrekssaga, Deor la nomme Beadohild et l'Edda Poétique Bödvilar. Elle rend visite à Velent afin qu'il répare son anneau qu'elle a malheureusement cassé, et n'ose pas l'avouer à son père (en parallèle du couteau égaré plus tôt par Velent, ce qui devrait déclencher un peu d'empathie de la part du forgeron, maiiis...). L'Edda Poétique rajoute du drama en faisant de cet anneau un bijou que Nidung a dérobé à Velent lors de son arrestation, et lui donne même le nom de Alvitr. Bref, notre "héros" s'arrange pour être seul avec elle et la prend sans son consentement. Et là, c'est compliqué, car l'Edda Poétique lui fait boire une potion pour l'endormir et il la viole dans son sommeil, et leur relation, si on peut dire, s'arrête là. En revanche, dans la Þidrekssaga il y va cash, et pourtant... non seulement elle garde le secret en échange de l'anneau réparé, mais... ils se revoient, se veulent l'un l'autre, et finissent par s'épouser à la fin. Autre temps, autres mœurs, hein, mais tout de même. (Je parle de ce sujet compliqué dans les sources ici)

Ensuite vient la troisième étape, la plus célèbre : son évasion par les airs.

Il invite son frère Egil à le rejoindre pour l'aider (oui, Velent/Völund a des frères, mais on y reviendra.) C'est un archer hors pair, et lorsqu'il arrive avec son propre fils de trois ans, Nidung le met à l'épreuve. Il ordonne à Egil de prouver son excellence en touchant une pomme posée sur la tête du petit. Ah ? Ça vous rappelle un certain Guillaume ? Egil l'a fait avant. 

Il prépare trois flèches et décoche la première, fendant la pomme en deux. Nidung applaudit et félicite son visiteur, lequel répond "Franchement, si j'avais raté ma cible, les deux autres flèches étaient pour toi." La cour est horrifiée par la provocation et une menace de mort pas du tout voilée, alors que Nidung c'est plutôt :

En réalité, Egil est là pour chasser des oiseaux afin de récolter des plumes, beaucoup de plumes. Velent a un plan, il se forge en secret une paire d'ailes mécaniques (un "habit de plumes") qui lui permettront de s'envoler loin d'ici. Et comme il entend mettre ça en scène de manière habile, il compte faire croire à Nidung qu'il périt dans sa fuite. Lorsque tous les éléments sont prêts, il se présente avec son appareil sur le dos, et le roi est très étonné. "Tu es un oiseau maintenant, tu fais bien des merveilles". Là-dessus, Velent vide son sac et révèle l'odieuse vérité de ses méfaits au roi : leur meurtre des princes, la taxidermie dorée façon psychopathe, le viol de la princesse. Nidung, mortifié, le voit décoller et ordonne qu'on l'abatte. C'est là qu'Egil entre en jeu : il décoche une flèche sûre et transperce une vessie de porc remplie de sang, lequel tombe du ciel à bouillon et convainc le roi que cette blessure doit être mortelle.

Ah, je ne l'ai pas précisé, mais c'est le sang de ses trois fils que Velent avait mis de côté au frigo pour l'occasion.

Velent rejoint alors la ferme de feu son père Vadi, en Zélande (Danemark). Quand Nidung meurt peu après, son fils adulte Otvin, se réconcilie avec Velent, qui épouse la princesse comme on l'a dit, lui permettant d'être réuni avec leur fils de trois ans, Vidga/Witege.

Happy End, qui l'eût cru ?

Clairement, l'évasion par les airs est ce qui marque le plus fortement l'imaginaire, plus que le U-Boot de bois ou les vengeances cruelles. D'ailleurs, le coup des crânes des fils changés en coupes n'est pas exclusif à Velent/Völund, puisque dans les sources scandinaves ont retrouve ce motif associé à Gudrun lorsqu'elle se venge de manière similaire du roi Atli. Le Lai de Völund ajoute des détails "créatifs" au Dit de Velent, histoire d'enfoncer le clou, puisque les yeux des enfants sont changés en gemmes qu'il offre à la reine (qui n'existe pas dans le Dit) et des dents il fabrique des broches pour Bödvilar. La reine du lai est présentée comme la vraie méchante, c'est elle qui remarque que Völund risque de se venger pour son enlèvement et peut-être même de s'échapper, et suggère en conséquence qu'on le mutile préventivement. Nidung dans le Dit est entièrement responsable. Dans l'Edda Poétique, Egil n'intervient pas dans ce récit, Völund se débrouille tout seul pour construire ses ailes et s'enfuir : le forgeron s'élève triomphalement dans le ciel après la révélation. On ignore ce qu'il advient du roi et de la reine, de la princesse et de leur fille, Otvin n'existe pas non plus, pas de réconciliation donc, pas de joyeuse petite famille basée sur un viol, non, Völund se venge, se vante, se barre, FIN. 

Ce bijou est aujourd'hui exposé à Lund.
Une autre grosse différence entre les deux versions principales qu'il nous reste concerne le début de l'histoire. Dans l'Edda Poétique, oubliez tout jusqu'à la capture du forgeron : ça ne s'y trouve pas. Au lieu de cela, Völund vit dans la pampa avec ses frères, Slagfildr et Egill, au bord du lac Ulfriar. Tous trois sont les fils du roi des Finnois, cela dit en passant, offrant une toute autre généalogie au personnage (bien qu'Egil existe bien dans cette version!) Il y a toute une intro sur la manière dont ils surprennent des femmes cygnes et leurs volent leur plumage, leur "forme de cygne", pour les forcer à les épouser, un épisode qui pourrait sembler déconnecté et inutile, mais offre un parallèle avec l'habit de plumes que Völund fabriquera plus tard pour s'échapper, peut-être-même qui explique d'où lui vient l'idée. Lorsqu'elles finissent par s'enfuir et que ses deux frères partent à leur poursuite, Völund reste seul, et c'est là qu'en profite Nidung, ici Nidudr, pour le faire kidnapper. A partir de là, les deux histoires se recoupent.

Wieland, Velent, Völund... peu importe le nom où l'aire géographique, ce n'est jamais son caractère qui est loué, mais son talent. On peut dire ce qu'on veut du bonhomme, aussi ignoble qu'il soit, son talent dans la forge est indéniable. Ses lames sont incomparables, ses bijoux irrésistibles. Il est l'artisan avec un grand A, et c'est pour cela que dans la littérature médiévale germanique, son nom deviendra synonyme de forgeron exceptionnel. Lire dans une saga "Il était völund, c'était un völund" équivaut à dire d'un athlète qu'il est Carl Lewis ou Usain Bolt. Tout le monde comprend les qualités qu'on vante sans avoir à expliquer. On ne se posait pas encore la question de la nécessité ou non de séparer l’œuvre de l'artiste : certes c'est un enfoiré de première, mais matte le hanap ! 

Après, il est vrai que le droit de se venger d'un tort est, pour les contemporains, un vrai droit au sens juridique du terme, mais les actes commis par Velent/Völund sont absolument atroces, même pour les standards de ce temps. La Þidrekssaga le fait au moins essayer de tuer Nidung avant d'être capturé et de passer à un plan B bien plus cruel impliquant plein d'innocents, certains très jeunes. L'Edda Poétique ne s'embarrasse pas de cette nuance : Völund part direct en mode psychopathe.

Mais hej, matte le hanap ! 

La figure de Wieland a tellement marqué l'imaginaire de son temps qu'elle a fini par traverser les genres et les frontières. Le forgeron rejoindra la matière de France sous le nom de Galant, où on lui prêtera la paternité d'épées légendaires telles que Durandal, l'arme de Roland, ou Joyeuse, celle de Charlemagne. Ironiquement, il retournera dans la littérature scandinave sous son nouveau nom de Galant quand sera composée la Karlamagnús Saga, adaptation de la matière de France, de Charlemagne et ses pairs, au public scandinave comme la Þidrekssaga le fit avec le cycle de Dietrich.  La boucle est bouclée.

D'ailleurs, un autre forgeron bien connu de nos histoires, Alberich, aura droit à un succès similaire, et même plus encore, sous le nom d'Aubéron. Mais nous verrons cela une autre fois.

Ah, et du coup maintenant vous comprenez tous les éléments de la statue ! 

 

BONUS : WIELAND EN VILLAND !


Les armoiries de Witege, devenues blason du Villand 

Le document affiché dans le couloir du Tingsrätt que j'ai eu le droit de prendre en photo.