On pouvait espérer qu'en attaquant sur un nanar dès 1999, on n'aurait plus besoin de s'infliger une autre adaptation fauchée, que c'était rayé de la liste. Mais c'était sans compter sur la règle du téléfilm ! Vous savez, il arrive après des grosses productions à acteurs prestigieux, il n'a pas le budget de ses ambitions, mais au final il s'en sort pas si mal, en tout cas mieux que ce qu'on croirait au premier abord. Les Nibelungen ont eu le très honnête et sympathique Curse of the Ring, le guerrier Gaut aura lui son Beowulf et la colère des dieux. Le miracle télévisuel se reproduira-t-il ? Voyons cela ensemble.
Bon, d'abord, taclons l'évidence : cette affiche pue du cul, mais elle est trompeuse sous bien des aspects. Déjà le logo Universal en bas : c'est simplement que Universal distribue les DVD/Blurays, ils n'ont pas produit le film, non non, bien que ça ne se voit pas sur la jaquette (tiens, pourquoi??) c'est une production Sci Fi (Aujourd'hui SyFy). Tout de suite, ça calme, hein.
Ensuite, le costume ridicule. Je vous rassure, Beowulf n'est jamais torse poil dans la neige avec une cape directement brochée à ses pecs, il porte une armure - Fantasy, certes, mais une armure tout de même ! À l'évidence, le graphiste a reçu pour consigne d'ajouter une touche "This is Sparta" afin de tromper appâter le chaland. Ironiquement, c'est probablement l'un des seuls héros à se mettre nu pour un combat dans sa source, mais ils ne saisissent pas l'occasion de montre des abdos huilés...
Comment ? Le casque à cornes de carnaval ? Je... eh bien... hum...
Oui, malheureusement c'est dans film... beaucoup, en plus, avec plusieurs variantes plus ridicules les unes que les autres, qui n'ont l'air ni cool, ni pratiques... c'est d'ailleurs presque choquant de voir ce genre de design ringard utilisé au premier degré en 2007, quatre ans seulement avant que la série Vikings ne redéfinisse le cliché du viking dans la culture pop. Un véritable chant du cygne des bottes fourrée et casques wagnériens à l'ancienne, en somme, l'ultime coup d'éclat du kitch d'autrefois.
Allez, je sais bien que vous êtes venus pour cela alors :
"Dovahkiin ! Dovahkiin ! Straight from the garbage bin !"
"Bad horns, bad horns, whatcha donna do ? Whatcha gonna do when the gang goes Moo ?"
L'histoire
On commence par une introduction au personnage de Beowulf grâce à une voix off qui vante le bonhomme tel qu'on le raconte : géant, fort comme dix hommes, valeureux, etc. Dès la première minute on nous dit aussi que c'est un guerrier viking, et la pression artérielle monte déjà, on respire, on respire. Allez, disons que c'est une manière pour le film d'assumer un glissement chronologique, comme l'avait fait le Treizième Guerrier. Admettons. Je suis d'autant plus enclin à fermer les yeux que la voix off nous le présente également comme : fils d'Ecgtheow (je suis ultra impressionné, premier degré), au service de Hygelac, le roi des Gauts.
Ah ça rigole moins, hein ? J'ai dit "production Sci Fi" et vous pensiez déjà que ce serait la fête du slip en peau de bête ! Moi aussi, alors que non. (spoiler : si, si si...)
Oui, sauf que ce que j'ai omis de préciser, c'est que Hygelac (Harry Anichkin) ressemble à ça :
"Pense à tes impôts Harry ! Tu es content d'être là, pense à tes impôts !"
La scène d'introduction c'est Beowulf qui va poutrer une horrible bestiole dans une (très chouette) caverne, un serpent géant, non sans enlever son casque ridicule parce qu'il n'en aura pas besoin (tu m'étonnes). Le héros décapite la créature en CGI qui piquer les yeux et tout le monde le célèbre. On réalise vite que le téléfilm fait un choix similaire au chef-d’œuvre de Christophe Lambert, à savoir faire de Beowulf un tueur de monstre quasi professionnel. De retour auprès d'Hygelac il est envoyé dans sa mission contre Grendel. Il est intéressant de noter qu'ici c'est Hygelac qui donne l'ordre d'y aller, alors que dans le poème Beowulf doit le convaincre d'accepter de le laisser partir.
Dans cette version, Beowulf est accompagné d'un certain Finn, qui n'est pas le Frison du poème mais un prince, le neveu d'Hygelac, jeune et aventureux (dont les parents ont été trahis et assassiné, donc on garde un hommage au Finn de la source) qui insiste pour accompagner le tueur de monstres (vous connaissez l'archétype, je ne vous fais pas un dessin). Beowulf jure au roi qu'il n'arrivera rien à son neveu... si tu vois c'que j'veux dire. Hygelac accepte et offre un petit cadeau au héros, une arme. Alors le film a déjà le très bon goût de nommer l'épée de Beowulg, Naegling (sauf que c'est l'épée qu'il utilise à la fin contre le dragon, pas contre Grendel, mais un sticker en forme d'étoile pour l'effort), tout ce name-dropping laissant penser que les scénaristes ont au moins feuilleté la source et ça, ça fait plaisir. Bref, Hygelac lui offre "plus qu'une épée", il lui refile...
Une arbalète.
Une arbalète... à carreaux explosifs.
Il y a même une lunette de visée ! Tactical Beowulf, fuck yeah !
Et c'est là que l'influence du nanar de 99 ressurgit comme un pied d'athlète. RIEN ne connecte arbalète et armes gadgets avec Beowulf, c'est totalement anachronique et aucune adaptation n'a fait le lien... aucune SAUF celle avec Christophe Lambert, la première grosse adaptation grand public. Quand je vous disais qu'elle avait marqué les esprits comme un pet foireux une culotte propre, je ne plaisantais pas.
Mais revenons au téléfilm. La Team Beowulf traverse la mer sur un, eu... une caravelle de la renaissance... ? Un navire pseudo-antique...? Tout sauf scandinave Vendel/Viking quoi. J'imagine qu'ils ont recyclé un décor + modèle 3D et que modéliser un langskip aurait coûté trop cher.
Rien ne va.
Mon intuition se confirme quand Beowulf raconte en flashback à son équipage l'histoire du roi Hrothgar, qu'ils partent délivrer de son monstre, et que la grande halle des Danois du haut moyen-âge ressemble à... Rome. Non, je ne plaisante pas, ce sont des décors de film antique, même pas maquillés pour passer pour du scandinave. Heorot est donc tout en pierre et colonnades, avec des frontons à chapiteaux. Et c'est élaboré, hein ! Décors intérieurs, extérieurs, et en 3D !
Là c'est moi qui frime devant une halle danoise (reconstituée) correspondant à l'époque choisie par le film. C'est bon, vous l'avez ?
Et maintenant Heorot Invictus :
Chris Bruno (Beowulf), Ben Cross (Hrothgar) et Marina Sirtis (Onela) regrettent leurs choix de carrière.
Le jeu sortira sur Playstation il y a vingt ans.
Recycler les décors c'est bon pour les finances du studio.
Le top du top, c'est les Pyrénées de chaque côté. C'est tellement l'Anti-Danermark cette image.
Hrothgar fut un grand guerrier, nous dit-on, qui a forgé son royaume par la violence et construit Heorot pour célébrer son triomphe et... oui. C'est exactement Hrothgar dans le poème, un destructeurs de petits royaumes qui a su rouler sur tout le monde pour finir au-dessus de la pile. Parfait, film, parfait. Il est l'époux de la belle Onela et
*pouffe* Pardon. Onela... *pouffe* Onela est bien un nom tiré du poème, mais... c'est un roi Suédois. L'épouse de Hrothgar c'est Wealhtheow, mais j'imagine que Onela c'est plus facile. Les scénaristes ont donc bien feuilleté la source, mais vite fait, quoi, en diagonale. Ils reprennent également le nom de Sigmund qui apparaît dans la source dans un récit enchâssé (l'histoire de Sigmund, le papa de Sigurd / Siegfried) et le donnent à un compagnon de Beowulf. Au moins c'est un nom masculin.
Le flashback continue et nous donne Hunferth comme fils de Hrothgar, un choix similaire au Treizième Guerrier, et une simplification astucieuse, je ne vais pas me plaindre. On a droit au récit de la première attaque de Grendel, décrit comme un fils des géants descendant de Cain dans la Bible, hantant les marais et tourbières, on le voit sortant de la brume, il "détesterait le son des chants et des rires" : oui, c'est Grendel, 100%. Le design est... vidéoludique, on va dire, mais pourquoi pas. Alors jusqu'ici, ça va encore. Mais.
On finit par : Hrothgar abandonnant son palais romain sa halle pour un village cracra, le jeune prince meurt durant une traque de Grendel à cause de l'aîné, Hunferth, qui le trahit, et la reine est devenue folle (vous le comprendrez grâce au jeu si subtil de l'actrice) avec des visions. Bon, j'avoue, juste pour les regards WTF que Hrothgar lui lance quand elle s'emballe, c'est rigolo. Néanmoins, on vient de sacrément faire un pas de côté alors que ça commençait bien. Mais ce n'est pas tout ! La Team Beowulf croise Grendel dans le bois, en plein jour, comme ça... ils lui tirent un carreau d'arbalète explosif qui manque le monstre mais le feu l'effraie. Hunferth débarque pour reproduire la scène de l'émissaire dans le poème, check, et ils se rendent dans le village fortifié, où tout le monde a peur et est sale. Hrothgar les accueille et, bon point, on établit qu'ils se connaissent depuis la jeunesse de Beowulf. Check ! Et que Grendel refuse d'attaquer le trône par peur du jugement divin ! Check ! Eh, c'est pas si mal !
Le n'importe quoi sorti d'un chapeau (à cornes)
Alors je passe sur le fait que Finn rencontre la jeune Ingrid et tombe sous son charme, et que ça rend Hunferth jaloux, tout ce qui a trait à Finn dans ce film sort d'un chapeau. En revanche, Hunferth chafouin et alcoolisé qui raconte l'incident avec Brecca pour embarrasser ses hôtes, c'est dans la source, ça vous commencez à le savoir. La première attaque de Grendel s'en suit, une embuscade sophistiquée mais mal ficelée qui échoue lamentablement et voit Finn blessé (évidemment), c'est à dire... l'inverse du poème, où on n'applique aucune stratégie, on attend le monstre et on lui arrache le bras.
Je sais ce que vous pensez, sauf que ce n'est pas Ingrid que Finn regarde comme cela, mais Beowulf.
Vous voyez, d'un point de vue adaptation, ce film c'est des montagnes russes dignes d'un sketch des Inconnus :
Et la grande descente arrive car le téléfilm nous balance une bombe, une révélation sur l'origine du mal qui ronge le pays des Danois... et accrochez-vous car ça n'a rien à voir avec le poème. Alors on sort notre chapeau à bullshit et on en tire... ceci : En fait, à la base le monstre qui posait problème c'était la mère de Grendel, et pour l'apaiser car elle causait des malheurs, Hrothgar lui offrait des... sacrifices humains lors des pleines lunes ! Des enfants ! Ah, ça vous la coupe, hein ! En plus ce n'est pas une créature aquatique, comme dans la source et tel que le Beowulf & Grendel l'avait respecté, mais un monstre ailé comme... comme... le nanar avec Christophe Lambert, et oui ! Toujours là, cette fistule !
Blague à part, l'idée n'est pas totalement absurde : Grendel et sa mère vivent dans les tourbières danoises où l'ont a découvert plusieurs victimes de sacrifices humains, comme le célèbre Homme de Tollund. Donc lier les deux, ce n'est pas complètement farfelu, mais comme on montre le sacrifice ayant lieu dans une grande grotte (probablement la même que celle de l'intro, parce que 0 budget) et que la mère de Grendel est juste une harpie... bah ça casse un peu le truc.
Grendel sous son meilleur jour.
Cette créature est totalement intégrée à son environnement, on croirait un effet pratique, c'est bluffant.
Bref, ce système fonctionne un temps jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans la forêt (pas les marais...) après avoir enfanté de Grendel, qui en grandissant tue de plus en plus, au point que le roi a repris le rituel. DARK SECRETS REVEALED !! Mais il y a encore mieux au fond du chapeau : ils reprennent l'offensive et chasse Grendel hors des bois en... catapultant des barils d'huile explosive ! Tellement ViIiIkKkKIiiIiNnG (non). Finalement, on arrache le bras de Grendel qui meurt de sa blessure, on fête la victoire, check. Mais Une fois la Team Beowulf repartie, la Mère des CGI Honteux passe à l'attaque et kidnappe Ingrid.Hunferth part la sauver et meurt comme une merdeconclue un arc de rédemption que personne n'avait vu venir du tout non pas du tout trouve une mort héroïque.
En vrai, c'est cool de donner à Hunferth un rôle au delà de "je ne te crois pas capable Beowulf, tu es un menteur... ah bah en fait non, tu es un preux et je te respecte". C'est pas hyper bien fait, mais la volonté est louable. Finalement, ce ne sera donc pas Hunferth qui sauvera la demoiselle en détresse mais BeowNANje déconne, c'est Finn, évidemment. Bon, au prix de sa propre capture, mais tout de même, la tâche est accomplie.
La Mère de Grendel. Je suis sûr qu'ils ont fait de leur mieux.
Ne reste plus qu'à sauver Finn, et on a toujours pas raccroché les wagons avec la source, hein, je dis ça. Le roi Hrothgar révèle à Beowulf l'existence d'une épée prophétisée comme capable de tuer la Mère des Horreurs Numériques, Aeltes apparemment, ça ne me dit rien du tout mais soit. Elle est ridiculement énorme, mais ça après ça suit la source où il s'agit d'une épée de géant. Cela dit on s'en fout puisque Beowulf préfère son arbalète piou piou boum crash piou piou oh pardon j'imaginais juste ce qu'avait donné la réunion préparatoire pour diriger la scène. Finalement ce sont les efforts combinés de Beowulf et Finn qui permettent au héros de décapiter le monstre, et c'est une victoire à l'arrachée pour la Team Beowulf. Finn finit avec Ingrid avec laquelle il fonde une famille et Beowulf reprend ses aventures et, comme dans Beowulf & Grendel, rien d'affreux ne lui arrivera jamais plus après cela, surtout pas avec un dragon... Happy End !
Conclusion
Vous l'aurez compris, ce téléfilm se dandine tantôt sur le pied de la fidélité, une volonté évidente de revenir à la source et de ne pas complètement tout réinventer, comme l'a fait le nanar de 99, tantôt sur celui de la, euh, créativité. Certains changements sont tout à fait pertinents, d'autres très curieux, mais en dehors des contraintes budgétaires évidentes (réutilisations de décors pour Heorot, la même caverne en permanence) et les moments WTF très américains comme Beowulf canardant les monstres d'explosifs avec son arbalète sponsorisée par la NRA (on sent que sans armes à feu, les scénaristes avaient du mal à concevoir un combat contre une créature énorme), en dehors de cela, donc, on a peu de trahisons totales des personnages. Sauf ce délire de Hrothgar sacrifiant des enfants, ça, c'est vraiment n'imp', tout l'arc autour de Finn sort de nulle part et en vrai osef... non, vraiment c'est pas bon, et on sent toujours l'ombre du nanar de 99 planer !
Même Hunferth, amoureux éconduit d'Ingrid qui meurt en se sacrifiant pour elle et accepte qu'elle en aime en autre... c'est le personnage de Roland du film avec Lambert ! L'ADN de cette purge continue de couler dans le sang des adaptations de Beowulf, c'est terrible... et ce n'est pas fini, comme vous le verrez dans la prochain article sur une autre adaptation, sortie elle aussi en 2007, mais avec du budget et des vrais enfin bons enfin, des acteurs.
Bref, ce n'est pas la catastrophe industrielle à laquelle on pouvait s'attendre, mais c'est pas terrible non plus, mais attention ! Là je ne parle qu'en tant qu'adaptation !
En tant que film, c'est :
Les acteurs savent très bien dans quoi ils jouent et ne font aucun effort, sauf la reine qui en fait beaucoup trop pour interpréter la FoLiE. Les costumes sont abominables et puent le recyclage, les casques à cornes désamorcent toute tentative du téléfilm de créer de la tension dramatique. Les effets numériques sont remarquables, au sens où on les remarque aisément, pas qu'ils soient bons.
"Et l'oscar de la meilleure actrice dans un rôle frapadingue est attribué à..."
Le moment où tu te demandes si c'est la réaction du personnage de Hrothgar ou si celle de l'acteur face à sa collègue. En tout cas ce sera souvent la vôtre devant ce téléfilm.
Faut-il le voir ?
Non. Ce n'est pas assez drôle pour une soirée nanar (vous allez regretter Christophe Lambert), ce n'est pas assez bien pour y prendre plaisir au premier degré comme l'est Curse of the Ring, et si vous voulez regarder une adaptation de Beowulf, il y a bien mieux ailleurs, y compris une sortie la même année, avec un bon réalisateur et de bons acteurs, qui souffre malheureusement de son audace technique, mais j'y reviendrais très bientôt. Quant à ce Beowulf et la colère des dieux, c'est juste nul, et devant pareil massacre, moi aussi je suis en colère maintenant.
Le point bande-originale
ZZZzzzzzZZZ Hein ? Quoi Musique composé par Nathan Furst, vétéran des compositions pour téléfilms. C'est générique au possible, soporifique. OSEF 9000.
En 2005, six ans après la débâcle avec Christophe Lambert (le temps d'encaisser le choc, j'imagine), une nouvelle adaptation voit jour, et cette fois, il est évident que le réalisateur veut faire les choses bien, l'opposé du spectacle outrancier du film de 99 et plus respectueux surtout. Ce film, c'est Beowulf & Grendel, et on trouve sur le net un avis assez largement partagé selon lequel il s'agirait de la meilleure adaptation, la plus fidèle, la plus authentique.
Pourtant des efforts sont fait, non des moindres dans les costumes (gros point fort du film... parfois... occasionnellement), les décors (tournés en Islande, ça a de la gueule, forcément, avec des bâtiments bien reconstitués), la musique composée par Hilmar Örn Hilmarsson, musicien islandais renommé mais également grand gódi (prêtre si vous voulez) des Ásatru islandais, qualité en laquelle on lui a demandé de bénir le tournage, et surtout un homme d'une gentillesse incroyable dont je chéris la rencontre, mais ce n'est pas le sujet.
Tout cela donne une impression d'être plus authentique que le film à techno ou le Treizième Guerrieret ses hommes préhistoriques anachroniques, mais est-ce vraiment le cas ? (Oui, la provoc', direct.)
Si d'innombrables sagas nous sont parvenues de manuscrits Islandais, comme la Völsunga Saga qu'on ne présente plus, ce n'est pas le cas de Beowulf. En fait, Beowulf n'a aucun lien avec l'Islande. S'il a été mis à l'écrit au milieu de la période viking (Xe siècle), le poète était Anglo-saxon, et la composition et le contexte du récit datent de l'âge de Vendel (Ve / VIe siècles). Sa langue est le vieil anglais, pas le vieux norrois. Son intrigue se déroule au Danemark, en Suède et en Frise, à une époque où les Norvégiens n'ont même pas encore colonisé l'Islande. Et si vous n'avez pas eu la chance de comparer vous-même, croyez-moi sur parole : le Danemark ne ressemble pas à l'Islande. Du tout.
Bref, associer Islande et Beowulf est une fausse bonne idée. Parce qu'on associe (trop) aisément Beowulf et vikings, à tort, et qui dit vikings dit Islande, mais c'est une grossière erreur. D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si le titre français, c'est "Beowulf, la légende viking", bien que ce ne soit ni une légende de vikings, ni au sujet de vikings. Arrêtez avec les vikings bon sang !
Alors oui, c'est superbe à l'écran, là-bas, tu poses ta caméra n'importe où, c'est magnifique. Néanmoins, filmer en Islande, ce n'est finalement pas plus authentique que de tourner en Roumanie comme le film de 99, c'est juste plus joli. Et en vrai, je suis partagé à ce sujet, car bien que je trouve tout ça charmant et louable, c'est comme si je voyais un artisan s'appliquer à poser un beau vernis d'authenticité avec les meilleures intentions du monde, sans se rendre compte qu'il badigeonne la mauvaise couleur.
Vous me direz : "Mais Florent, tu t'arrêtes sur l'esthétique, là, les gens trouvent sans doute l'histoire fidèle à la source et authentique !"
Bah non, le script fait pareil, il souffle le chaud et le froid entre les moments brillants et les trahisons complètes. Il y a d'ailleurs une image qui cristallise très bien le film à elle seule, et c'est le costume de Beowulf : un casque magnifique qui reproduit superbement un objet de fouille archéologique... et une armure de fantasy cloutée dégueulasse avec un patch de poitrine en lamelles de cuir honteux, digne de la séries Vikings (ce n'est pas un compliment).
Vous voyez le contraste ? Et bien voilà le film résumé en une image.
Ce qui va
Après, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, ce n'est pas pire que Beowulf (1999). Mais pour une version soit disant "la plus fidèle", on est en droit d'attendre mieux que la barre bien basse posée par un nanar qui a cru bon d'adapter un poème de 1000 ans comme on adapte un jeu vidéo (par-dessus la jambe, donc), il me semble. On est en droit d'attendre, a minima, une version sans grandes trahisons comme la version de 98. Or, ce n'est pas le cas.
Pourtant, dans les grandes lignes ça va : Hrothgar est emmerdé par un monstre appelé Grendel, après avoir demandé la permission à son suzerain (pas nommé mais c'est Hygelac) Beowulf navigue depuis le Gautland avec sa troupe de guerriers pour l'en débarrasser, car ils se connaissent bien lui et Hrothgar, et il veut rendre service. Ils finissent par tuer Grendel, la mère de Grendel vient se venger, on plonge das son antre pour s'en débarrasser également et on rentre au pays. C'est déjà beaucoup mieux que Cristophe Lambert, et au niveau d'un Treizième Guerrier, voire mieux !
Mais ne vous emballez pas, c'est dans les initiatives que ça se gâte. Reprenons depuis le début.
L'intrigue du film
On commence par une carte ancienne qui a le bon goût de replacer la géographie de Beowulf dans son contexte, avec les Danois au Sud et les Gauts en Scandinavie centrale, et même les Wulfings (qui sont, genre, mentionné une fois en tout et pour tout dans le film, donc là on est sur de l’œuf de Pâques) ! Turbo-fidélité dès les premières minutes, quels bons augures ! Bon, elle place aussi un volcan dans les montagnes scandinaves mais soit, hein, c'est une "carte ancienne", si les monstres marins ça passe, pourquoi pas les volcans norvégiens. Et Oh la la ! On affiche la phrase d'introduction du poème ! Là on sait que ça va être authentique. Mais alors de quoi je me plains, me direz-vous ?
Il se trouve qu'on enchaîne sur l'origine de Grendel, comment les Danois l'on traqué lui et son papa (non, pas sa mère), on apprendra plus tard par Hrothgar que le Père de Grendel avait simplement "croisé notre chemin, volé un poisson". Le papa planque son fils lorsqu'ils sont acculés à une falaise et les Danois, menés par un jeune Hrothgar, le tuent. Hrothgar voit le petit Grendel caché mais la vue d'un bambin lui faire légèrement redescendre son niveau de connarditude et il le laisse vivre. Grendel ne pouvait déplacer le corps de son père, trop grand, trop lourd, décide de n'emporter que sa tête dans la grotte où ils vivent.
Tout comme le film de 99, le film décide de créer une connexion personnelle entre Hrothgar et Grendel, mais en plus, elle offre à Grendel une motivation plus profonde que "il ne supporte pas les réjouissances des Hommes". Maintenant, il attaque par vengeance contre les Danois. Quand Hrothgar ouvre les portes d'Heorot, Grendel n'est plus seulement un spectre venue de la brume, haïssant les hommes, il est un esprit vengeur (dans son bon droit) ne haïssant que les Danois. C'est un sacré changement apporté à l'antagoniste. Je n'ai rien contre présenter son point de vue et l'humaniser, mais si pour ça il faut inventer un crime à Hrothgar, c'est que l'idée n'est peut-être pas déjà en germe dans le poème, non ?
Beowulf (Gerard "This is Sparta" Butler) et Hrothgar (Stellan "I share my dreams with ghosts" Skarsgård)
Le film passe ensuite au héros, Beowulf, qui s'échoue sur une plage près d'un village de pêcheur. Il révèle qu'il était parti chasser le morse avec un certain Brecca lorsqu'une tempête fit chavirer leur navire, l'obligeant à nager en pleine mer. C'est évidemment une référence à l'histoire que Hunferth raconte dans le poème pour discréditer Beowulf, à savoir une course à la nage qu'il aurait perdu contre Brecca, et dont le Gaut se justifie par le fait qu'il ait été pris dans une tempête, ah et aussi il y avait évidemment des monstres marins. Cette version retire le côté "combo arrogance + prise de risque inconsciente enfinjeveuxdire héroïque" de l'anecdote du poème, c'est dommage... D'ailleurs, non content de retirer la rivalité entre les deux, le film fait de Brecca un compagnon de Beowulf qui l'accompagnera dans l'aventure en pays Danois (il est incarné par Rory McCann, aka Sandor The Hound Clegane lui-même).
Après un conseil tenu par son roi (Hygelac, confirmé par les crédits bien que pas nommé dans les dialogues), Beowulf monte une expédition pour secourir Hrothgar. Superbes plan du navire naviguant entre les icebergs danois..... bref, et là, Beowulf manque de se faire agripper par une main pâle et monstrueuse jaillie des flots tandis qu'il se tient au bastingage. On peut l'interpréter comme un hommage aux monstres marins que le héros combat lors de son duel de nage dans le poème, mais c'est en réalité plus profond (padam tschii) que cela.
Hrothgar de con côté commence à perdre la tête, enfin, ses hommes surtout, et ça lui pèse sur le moral. Il essaie bien de provoquer le "troll" en duel mais celui-ci s'y refuse, tuant ses hommes. C'est assez proche de la source, où Grendel affronte tout le monde sauf le roi, mais c'est là à cause du statut divin du souverain que même lui n'ose profaner (ça sent le retcon chrétien tardif, mais c'est comme ça). Lorsque la Team Beowulf débarque, on a droit à l'échange sur la plage avec le héraut de Hrothgar, comme dans le poème, et à ce moment du film, au premier visionnage, j'étais vraiment confiant...
...et là Beowulf aperçoit un personnage complètement sorti du chapeau, Selma, la "sorcière du coin", après qu'on nous ait introduit un autre personnage inventé, le prêtre Thorkel, et là tu sais que les ennuis commencent. Pourtant, la réunion entre le roi Danois et le guerrier Gaut est parfaite : elle établit leur relation passée, lorsque Beowulf était petit et qu'il résidait à sa cour. C'est un lien essentiel entre les deux hommes que trop d'adaptations négligent. On fête les retrouvailles, les Gauts jurent de liquider Grendel, et si on suit le poème le combat qui s'en suit devrait être celui où Beowulf arrache le bras du monstre qui fuit et meurt dans sa tanière.
Mais non. Grendel se contente de pisser sur la porte et en plus, hé, hé, ça pue, haha hoho lol... (sérieusement, film?) lorsque les preux sortent s'en occuper, il a disparu. Seul témoin, le prêtre Thorkel que le monstre a ignoré pendant qu'il priait pour sa vie, raison pour laquelle il essaie de convaincre le roi de se convertir pour se débarrasser du fléau.
Et puisque le premier affrontement n'a pas eu lieu, nous sommes entrés dans la
P A R E N T H E S E B U L L S H I T
C'est l'insert totalement sorti du chapeau, lui-aussi, que le film glisse au milieu de l'intrigue pour forcer ses nouvelles idées au chausse-pied.
Après la survie "miraculeuse" de Thorkel, Hrothgar et une partie des hommes de Beowulf se
laisseront baptiser aux pieds d'une des immenses chutes d'eau du Danemark.... bref. Tout ça, c'est un ajout : le poème contient un fort
sous-texte de transition entre le paganisme et le christianisme, on l'a
souvent vu à présent, mais ce n'est pas dans le texte. Pas de prêtre,
pas de conversions, on dit seulement que les sacrifices aux dieux de
l'ancienne coutume n'ont pas résolu le problème. Thématiquement, je ne
dis pas, c'est cohérent pour incarner ce sous-texte, ce basculement
entre deux périodes, mais c'est une interprétation tout à fait moderne,
il faut le garder en tête.
Ingvar Sigurdsson joue Grendel (adulte).
Les Gauts traquent Grendel jusqu'à son repaire, défendu par un piège de Maman j'ai raté l'avion, ou le Retour du Jedi,
selon. Ils ne l'y trouvent pas car Grendel est occupé à jouer aux
quilles avec les têtes des Danois (même s'il a une taille adulte il
garde un comportement enfantin). Ayant fait chou blanc, Beowulf rend visite à Selma la sorcière. Au fil des échanges, elle confirme que les Danois reçoivent la punition pour leur méfait et que la mort du troll leur coûtera cher "comme il se doit". Grendel est donc confirmé dans son bon droit. Beowulf la croit et confronte Hrothgar qui refuse d'admettre toute responsabilité. Selma lui fera aussi la bonne aventure en jetant des os, parce que pourquoi pas, et tentera de le décourager dans sa quête de Grendel, tissant lentement un lien avec le guerrier qui offre un pendant plus honorable et respectable aux Danois et en particulier Hrothgar. Et quand Beowulf aperçoit finalement Grendel il le prend en chasse et... il va vraiment falloir qu'on discute.
Imaginez la scène : Grendel en haut d'une pente très raide, et Beowulf en bas. Grendel qui dit des trucs incompréhensibles, probablement "It's over Beowulf, I have the High Ground", et Selma qui arrive pour faire la traduction. Grendel troll (hihi) le Gaut, lui jette des cailloux et se fout de sa gueule, tandis que le guerrier... s'énerve, ne comprend pas ce qui se passe, et subit. A quel moment les gens se sont dit, ça, c'est une super scène à rajouter à Beowulf. Et comprenez-moi moi bien, il y a plein de sources qui ont des moments humoristiques comme celui-ci, mais 1) pas Beowulf, un poème qui prend son héros très au sérieux, et 2) pas Beowulf, un poème qui prend son monstre très au sérieux. Cette scène est à deux doigt de mettre le pied dans la parodie façon Monty Python. Et elle le fait pour humaniser toujours plus Grendel, lui donnant même la parole ! (Le film avec Cristophe Lambert avait bien fait dire "Pas toi" à son Grendel, mais pas des dialogues pour expliquer qu'il ne souhaitait pas faire de mal aux Gauts car ils ne lui ont rien fait.
Et puis le top du top, c'est l'explication du nom de Grendel, en anglais moderne Grinder, donc Broyeur. Selma nous révèle qu'il ne broie pas des hommes, comme le pense Beowulf... mais des dents (grincer des dents se construit aussi avec le verbe to grind), car il faisait des cauchemars étant enfant. Tout aspect négatif de Grendel est systématiquement effacé ou policé pour le ramener à cette victime enfantine et innocente. Narrativement, ça fonctionne dans le film, mais vis à vis de la source ? Ce n'est pas une réinterprétation, c’est une trahison complète.
Rien, dans le poème, ne dépeint Grendel autrement qu'une entité primordiale avec laquelle il n'est nulle raison et qui trucide les Danois par douzaines non sans emporter leurs têtes avant de partir. Pour que Gentil Grendel fonctionne, le film doit constamment inventer des éléments ou en détourner : haha, c’est rigolo, il joue aux quilles avec les têtes comme un petit garçon. Et quand c'est DAESH, ça vous donne envie de relativiser et d'infantiliser, vous ? Moi pas. Alors oui, la comparaison est extrême, mais c'est parce que Grendel est extrême.
"Pappe" dit-il avant de se venger de bon droit.
Finalement, un local les guide vers le repaire secret de Grendel et les Gauts y trouvent la tête momifiée du Père de Grendel, que l'un d'eux détruit de colère. Enragé, Grendel découvre le méfait dans une scène déchirante et décide que les Gauts sont désormais sur la liste des enfants pas sages et retourne à la halle faire un carnage (dans son bon droit toujours, la tête de feu son père a été profanée), et c'est là qu'on raccroche les wagons avec le poème. Fin de la parenthèse Bullshit. Notons seulement qu'en chemin, sur leur bateau, les hommes de Beowulf se font à nouveau brièvement attaquer par ce bras pâle et monstrueux d'une créature aquatique... tiens, tiens, on se demande qui cela pourrait être...
Ah oui, c'est vrai, mince ! On adapte Beowulf !
Grendel attaque de nuit, tue plein de gens, mais surtout le guerrier qui (il le reconnaît à l'odeur) à fracasser le crâne de son père et il le fait en nommant clairement son papa, encore une fois, justifiant le massacre. Il veut s'enfuir mais son bras reste accroché à une poulie. Le troll prend alors la décision de se trancher lui-même le bras afin de déguerpir et de ne pas tomber entre les mains danoises. Ce n'est donc plus Beowulf qui triomphe de Grendel en lui arrachant le bras, c'est Grendel qui fait un choix et assume son destin. Beowulf n'est plus que spectateur. Reste le bras suspendu, comme dans le poème, mais le sens est totalement inversé. Grendel meurt libre, ayant accompli sa vengeance, et tandis qu'il se laisse aller dans les vagues de la mer, un bras pâle l'emporte...
La mère de Grendel (Elva Ósk Ólafsdóttir)
La célébration victorieuse tourne mal quand un nouveau massacre est perpétré, cette fois par... bah aucun suspense, vous le savez très bien : la Mère de Grendel, donc le bras a surgi ici et là tout le long du film (ce qui, je trouve, est assez malin pour éviter le côté "nouvel ennemi qui arrive comme un cheveu sur la soupe"). Il faut donc traquer la Mère de Grendel et le film reprend la nage sous-marine pour rejoindre la grotte, et ça c'est cool. Très chouette aussi l'utilisation de Brecca, qui n'a en principe rien à faire là, et qui se propose de plonger vers le repaire, et Beowulf qui rétorque à son ami "tu nages comme une brique", excellente allusion à leur compétition de natation dans le poème (que Beowulf perd, je rappelle, c'est d'autant plus ironique).
Voilà, c'est malin, ça fait plaisir.
Arrivé de l'autre côté, Beowulf émerge dans une caverne avec un tas de trésor et le corps de Grendel, se fait attaquer par la Mère, perd son épée et en ramasse une autre, énorme et plus ancienne, et la trucide avec : turbo-fidèle, excellent !
Ce plan est tellement parfait.
Bon la lame ne fond pas mais on va pas trop en demander non plus. Et là, il tombe sur le fils de Grendel.
Ah pardon, je vous avais pas dit ?
Selma s'est faite violer par Grendel ! Et juste après avoir entendu cette histoire, que fait Beowulf ? Il couche avec Selma. Bravo, le scénariste (oui, c'est un mec, quelle surprise), on est sur du niveau Quantum of Solace, là, j'applaudis très lentement.
Mais bref, de cette unique union naîtra un demi-troll, que Beowulf a entraperçu plus tôt dans le film et dont il faut maintenant déterminer le sort dans cette grotte où gisent les cadavres du père ET de la grand-mère du petit. Le Gaut décide de le laisser vivre, comme Hrothgar autrefois, en compagnie de sa mère, laissant ainsi incertain le succès de cette expédition. Et si le petit grandissait comme un vengeur à son tour ? C'est une thématique omniprésente des sources scandinaves et germaniques en général, mais la fin du poème ne souffre d'aucune ambiguïté vis à vis des monstres des tourbières. Le danger viendra des Hommes.
En signe de respect et pour montrer au rejeton de Grendel qu'il veut faire la paix, Beowulf construit pour le troll un monument funéraire au bord de la mer, ce qui n'est pas sans évoquer le souhait du héros mourant, dans la source, qu'on lui construise un monument en haut des falaise pour guider les navigateurs. Encore une fois, le film inverse le sens de l'imagerie du poème. Non seulement Beowulf ne tue plus Grendel, mais il lui organise des funérailles.
Selma (Sarah Polley) et son fils (Benedikt Clausen) observent le départ de Beowulf.
Le film se conclue sur la troupe repartant sur les flots pour regagner le Gautland, un homme parlant de Grendel comme d'un géant descendant de Cain (un lignage directement tiré du poème, bien que probablement collé dessus par le clerc qui coucha le texte par écrit, mais hej ! Fidélité à la source !) Et Beowulf de conclure "par la volonté d'Odin, que nous trouvions le chemin de notre pays", toujours dans cette ambivalence ancienne coutume / christianisme qui habite tout le film.
Évidemment, tout ce qui arrive après dans le poème, le dragon, tout ça, vous oubliez, ce n'est pas le propos du film qui s'appelle, très justement, Beowulf & Grendel.
Conclusion
On l'a vu, derrière une fidélité apparente se cache un très gros problème, à mon sens, et il se glisse dans tous les espaces en creux laissés par les points d'intrigue "obligatoires". Ce problème, c'est l'humanisation de Grendel. Je ne suis pas contre un peu d'empathie, ni contre l'idée de montrer le point de vue du monstre, mais contrairement à d'autre créatures malfaisantes comme Fafnir, par exemple, voire à des connards finis comme Hagen, Grendel n'a pas de backstory tragique ou de famille déglinguée qui peuvent expliquer un basculement vers l'avarice, la violence, la cupidité, le meurtre... Grendel est une entité des temps anciens, une créature des marais qui vient massacrer des gens par dégoût pour leurs rires et leur musique, qui boit leur sang et arrache leurs têtes... Pour parvenir à l'humaniser, il faut tellement réécrire, ajouter, retirer que... ce n'est tout simplement plus Grendel.
Toutes les charges sont inversées : c'est lui la victime, il est dans son droit, il est innocent, il ne tue que ceux qui sont méchants. Les Danois ont commis une faute, ils doivent l'expier. Beowulf ne triomphe même plus de Grendel, il le respecte, épargne sa descendance et lui bâtit une tombe. Ce n'est plus Grendel !
Beowulf se recueille devant le mémorial qu'il a construit pour Grendel.
Contresens total. (Dans le poème, après avoir trucidé la mère, il coupe
la tête du cadavre de Grendel, pour être sûr que le job soit fait. Voilà
voilà.)
Je comprends totalement qu'on veuille présenter l'histoire sous cet angle-là, c'est très à la mode (je n'ai pas lu le roman de John Gardner, qui s'en sort peut-être mieux à cet exercice). Notre époque veut, à raison, s'intéresser au point de vue des rejetés, des minorités, des marginaux, y compris dans de vieux récits ultra-balisés (cf. la mode des films Disney ayant pour protagonistes leurs méchantes ignobles et iconiques pour en faire des anti-héroïnes tragiques ou incomprises). Et franchement, ça peut fonctionner. Mais pas avec Grendel.
Grendel n'est pas un personnage, c'est un cauchemar de l'âge de Vendel, un monstre du placard, et pas du genre Monstres et Compagnie. C'est une terreur nocturne, une menace existentielle. Le poème Beowulf regorge d'antagonistes, déclarés ou potentiels, et de menaces très concrètes présentées par des Hommes cupides, fourbes, faux. Eux, on pourrait creuser leur backstory et en faire des anti-héros. Pas Grendel, du moins, pas sans tout réécrire et réinventer.
La conséquence de cette réécriture c'est d'avoir perdu le caractère de Beowulf, sûr de lui, bravache et fanfaron, arrogant parfois, mais qui produit les résultats qu'il promet. Ici, le héros ne fait presque plus rien et n'a plus du tout la même personnalité. Si vous vouliez écrire sur un héros et un monstre qui n'étaient ni vraiment Beowulf, ni vraiment Grendel, je me demande... pourquoi avoir réalisé Beowulf & Grendel ?
Faut-il le voir ?
De ce fait, le film Beowulf & Grendel est un film correct, avec de très beaux paysages, de bons acteurs, des costumes et décors, euh, 50/50, une intrigue qui fonctionne et des personnages tragiquement humains qu'on comprend, qu'ils soient Danois, Gauts, ou trolls. Mais c'est une mauvaise adaptation de Beowulf. Pas pire que le nanar de 99, qui n'essaye même pas vraiment, mais qui donne une très mauvaise (et fausse) idée de ce dont parle le poème. Si on a lu celui-ci, on appréciera les références et le retournement complet des valeurs narratives, comme un exercice de style amusant. Malheureusement, la plupart des gens n'auront pas lu le poème et repartiront de leur visionnage avec une interprétation retournée comme un gant. Et ça, c'est triste.
Alors, faut-il le voir ? Oui... mais en connaissance de cause. Ce n'est pas du tout une adaptation de Beowulf, mais une proposition "Et si... Grendel était une victime innocente". Si cette proposition titille votre curiosité, foncez.
Le Point bande-originale
La musique de Hilmar Örn Hilmarsson est très classique pour ce genre de film, ne prend jamais trop de place mais bénéficie de quelques moments remarquables bien sympathiques avec chorale et tout, malheureusement elle n'a jamais été publiée sur quelque support que ce soit, donc... Voici la seule piste qu'on ait, en qualité à peu près correcte, le End Title :
La même année où Christophe Lambert faisait du trampoline sur fond de musique électronique, une autre adaptation de Beowulf sortait sur grand écran, un film qui a fait un flop à sa sortie mais développa au fil des ans un statut de film culte, réalisé par l'un des maîtres de l'action des années 90 : John McTiernan, à qui on devait déjà A la poursuite d'Octobre Rouge, Piège de Cristal, et tant d'autres. Ce film, c'est le Treizième Guerrier.
Là on touche à un de mes chouchous, je préfère être honnête d'emblée, mais je vais essayer de rester objectif. On a là un des derniers films d'aventure à l'ancienne, sans effets numériques, plein de cascadeurs, notamment une horde de cavaliers pour le final, plein de décors construits en dur dans des paysages dépeuplées, ça sent bon les 90's d'avant la révolution technologique que fut Jurassic Park, un véritable chant du cygne. Et je ne dis pas a en l'air : tout cela a l'apparat du compliment dans ma bouche, mais pour les studio, le film fut un désastre, un gouffre financier qui a souffert de ses ambitions et d'un remontage à la dernière minute pour "sauver" ce qui pouvait l'être. Les entrées n'ont pas validé cette prise de risque et ça a affecté tout le monde : McTiernan s'est enfoncé dans la disgrâce et Antonio Banderas a admis que ça avait négativement impacté sa carrière, lui qui avait accepté le rôle pour prendre un risque, justement, et sortir de son type-cast habituel de beau gosse latino.
Les scènes d'action ont de la gueule.
Certains trouveront de fait l'image datée et vieillotte, d'autres comme moi y trouveront un charme désormais perdu à Hollywood, avec des cascadeurs sans fonds verts et une sensation de vrai, même quand c'est du toc. Il est évident que Le Treizième Guerrier est d'un autre temps... je veux dire, y a Omar Sharifn en invité de luxe au début du métrage. Omar Sharif ! Est-ce que les moins de vingt ans savent encore qui c'est ? Je suis vieux.
Un concept original de Double Feature littéraire
Si je vais en parler ici comme d'une adaptation de Beowulf, il ne s'agit pas pour autant d'une adaptation directe. En effet, elle porte à l'écran un roman de Michael Crichton, qui a aussi écrit... ah bah tiens, Jurassic Park ! Son livre, Le Treizième Guerrier (traduit d'abord Le Royaume de Rothgar ou encore Les Mangeurs de Morts avant la sortie du film, la titre a été ensuite retraduit plus fidèlement pour que les gens captent que c'est la même chose que le film) est un concept intéressant, et des plus originaux !
Le postulat est simple : il va prendre un voyageur arabe du Xème siècle tout à fait authentique, Ibn Fadlân (de son p'tit nom Ahmad ibn-al-'Abbas ibn Rashid ibn-Hammad ibn-Fadlan, oui bon Ibn Fadlân pour les fainéants intimes ), dont un récit célèbre raconte sa rencontre avec des "norrois" ou Rus, sur la Volga. Crichton va imiter son style et reprendre le début de son récit très connu... avant de le prolonger, comme s'il nous révélait l'intégralité du récit de voyage d'Ibn Fadlân, un voyage dont nous n'aurions pas entendu parler jusqu'ici et qui l'entraînerait dans le grand nord scandinave en compagnie d'un certain Buliwyf...
Le roman fonctionne parfaitement, car Crichton parvient à opérer la transition entre son imitation du récit de voyage et sa propre aventure sans accroc, même lorsqu'on a déjà lu Ibn Fadlân, on se laisse porter sans souci et on suit les tribulations de cet émissaire de Bagdad parmi les vikings jusqu'au Danemark où les Danois sont harcelés par une étrange créature dont Buliwyf jure de les débarrasser. Le grand héros est alors un personnage secondaire, et le protagoniste est... le témoin des événements, étranger en terre lointaine. Les éléments de l'intrigue du poème médiéval seront ainsi réinterprétés à une sauce plus """réaliste""", grâce notamment au style très "factuel" et descriptif d'Ibn Fadlân, néanmoins, il ne sera pas compliqué de repérer tous ces éléments pour ce qu'ils sont et constater que, malgré son postulat plutôt original, le Treizième Guerrier est bel et bien une adaptation de Beowulf.
Melchisidek (Omar Sharif) et Ahmed Ibn Fadlân (Antonio Banderas)
Après, en tant qu'histoire véritable qui aurait inspiré la légende, ça marche moyen, puisque faire du récit celui d'Ibn Fadlân et de Rûs place l'intrigue plus ou moins à l'époque où la légende sera mise sur papier... et des siècles après le contexte développé par le poème. Mais ne soyons pas chagrins et acceptons ce postulat !
L'histoire : on commence par adapter Ibn Fadlân
Le film commence par une introduction de notre protagoniste, Ahmed Ibn Fadlân, émissaire arabe envoyé loin de Bagdad pour s'être intéressé d'un peu trop près à l'épouse d'un autre, et qui n'est pas exactement satisfait de sa nouvelle fiche de poste dans ce qui, du point du vue arabe, est le "nord lointain", à l'opposé du raffinement et de la civilisation. Il tombe sur un groupe de Rûs (dans le récit de voyage original, sous la plume d'un lettré arabe, ça peut désigner tout un tas de peuples d'Europe du Nord et de l'Est comme un terme générique, bien que le nom soit à l'origine celui des Varègues, des vikings ayant pris la route de l'Est) alors qu'on est au pays des Bulgares (encore une fois un terme générique et pas identique aux Bulgares d'aujourd'hui). Bref, il veut faire son boulot d'émissaire et parler au roi, mais le roi est, euh... indisponible. Il est mort.
On a droit à une scène de funérailles "vikings" directement tirée du récit de voyage authentique, y compris la soit disant "Ange de la Mort" et la servante volontaire pour mourir dans le processus afin d'accompagner son maître en récitant un genre de prière que le film va iconiser plus tard. Cette prière est (en grande partie) directement citée du récit de voyage (en ajoutant la partie sur Valhalla), mais aucune autre source médiévale, aucune saga, aucune chronique n'a gardé la trace d'une prière similaire, même de loin. Il est possible que cette prière soit celle d'un peuple non-scandinave, ou qu'Ibn Fadlân l'ait inventée, sachant qu'il y a d'autres éléments qu'il décrit qu'on ne retrouve nulle part ailleurs, mais que le film adapte fidèlement : les vikings qui se lavent avec la même bassine de flotte dans laquelle ils se mouchent avant de la passer au suivant, ou les tatouages "de la tête aux pieds". Ibn Fadlân les décrit comme couverts de tatouages, même sur le visage, et c'est adapté par un des personnages qui a un motif d'entrelacs sur ses joues. Tous ces éléments sont historiquement douteux car n'apparaissant dans aucune autre source (y compris dans les autres récits de voyageurs arabes ayant également rencontré des Rûs), mais fidèles à la source ! D'ailleurs, si tout ça vous rappelle la saison 1 de la série Vikings, c'est parce que celle-ci repompe également Ibn Fadlân sans recul.
Après les funérailles, un bateau arrive et un petit garçon vient appeler le nouveau roi, Buliwyf, à l'aide. Le garçon s'appelle Wulfgar, il est le fils du roi Hrothgar, et son père a besoin d'aide pour repousser l'attaque d'une créature qu'aucun viking n'ose nommer. La prophétesse du coin annonce que 13 guerriers doivent répondre à l'appel, nos nouveaux protagonistes barbus se portent volontaires l'un après l'autre, sauf que... le treizième guerrier ne peut être un homme du nord. Boom, Ahmed est recruté plus ou moins contre son gré, son mentor joué par Omar Sharif lui transmet sa passion de gagner, sans pousser le vice jusqu'à l'accompagner, faut pas déconner, et l'équipe de Buliwyf se met en route pour un voyage jusqu'au Danemark. C'est à ce moment-là qu'on passe d'une adaptation du récit de voyage d'Ibn Fadlân à une adaptation de Beowulf.
Buliwyf (Vladimir Kulich) et son armure du Xe siècle (pas du tout) option "épée dans le dos pour faire cool mais impossible à tirer du fourreau" pour un maximum de cringe (on reviendra sur les costumes à la fin).
Beowulf entre légende, histoire... et préhistoire
Bon, ça y est, on est de plein pied dans Beowulf, d'ailleurs, dans le poème, Wulgar est un émissaire de Hrothgar (mais pas son fils), donc c'est cohérent. Durant le long voyage jusqu'à la halle de Hrothgar, Ahmed apprend la langue norroise en... écoutant... si seulement c'était si simple, mais je m'égare. Ils arrivent en groupe et Buliwyf promet au roi de le débarrasser de ce qui massacre ses gens. On apprend qu'il ne s'agit pas d'une seule créature mais d'une meute, les Wendols, qui laissent des tracent de pas d'ours et des marques de griffes, et emportent les têtes de leurs victimes... comme Grendel dans le poème. Après la première attaque subie par nos héros, ils réalisent que ce ne sont que des hommes, et que leurs pattes d'ours sont des armes tenues à la main, offrant l'imagerie du bras monstrueux "arraché" de Grendel. C'est typique de la manière qu'a le film (et le roman de Crichton à la base) d'adapter Beowulf à ce contexte plus, euh... "réaliste".
Par exemple, la prophétesse annonce que pour chasser les Wendols, il faudra tuer la Mère des Wendols, qu'ils vénèrent, et le chef des guerriers. Bref, Grendel et la Mère de Grendel. Détail amusant, les Wendols colportent des petites statuettes représentant la Mère des Wendols et qui sont des "Vénus" paléolithiques, ce qui donne un gros indice sur leur nature réelle. La traque des vikings les mènent jusqu'au repaire des Wendols, un réseau de cavernes qu'ils infiltrent en toute discrétion, suspendez votre incrédulité bien haut s'il vous plaît. On y voit d'ailleurs une version énorme de cette Vénus qu'ils trimballent avec eux, indiquant un culte ancien. Quand les choses dégénèrent inévitablement en bagarre, Buliwyf se charge de liquider l'incarnation de la Mère des Wendols, qui à l'origine devait avoir un look similaire aux Vénus paléolitiques, corps obèse, forte poitrine, larges cuisses (bref un icône de fertilité), mais le film préfère lui donner un look, euh... sorcière sexy ? Buliwyf finit par la décapiter, toutefois il n'y parvient pas avant qu'elle ne le blesse avec une griffe plongée dans du poison.
Comment les Wendols représentent leur Mère depuis des siècles.
Comment la Mère des Wendols est incarnée.
La troupe de vikings est coincée sous terre mais Ahmed se souvient d'un détail de l'intrigue et devine que la rivière souterraine qui s'arrête abruptement face à eux doit ressurgir en cascade non loin de là : ils plongent donc et, effectivement, trouvent ainsi une sortie au prix d'une longue nage sous-marine qui vous fera retenir votre souffle comme si vous y étiez. Moi ça me le fait à chaque fois.
Tout le monde est ravi que la Mère des Wendols soit enfin sans sa tête, mais ils savent que n'ayant pas tué le chef des guerriers, les Wendols vont revenir pour se venger, et ça ne loupe pas : le soir même on a droit à la confrontation finale. Buliwyf, mourant sort sous la pluie pour se préparer à son dernier combat, les vikings récitent leur prière iconique du début du film, rejoints par Ahmed qui a pourtant également prié son Dieu, car après tout, on ne sait jamais. Grosse bataille épique, Buliwyf trucide enfin le chef des guerriers Wendols et ceux-ci déguerpissent aussitôt pour s'évanouir dans la brume qu'ils ont toujours hanté. Mais les réjouissances sont de courtes durées : Buliwyf succombe au poison, assis sur un genre de trône.
Pseudo Grendel.
Finalement, Ahmed retourne en son pays, saluant ses amis païens une dernière fois en les recommandant à la merci de son Dieu.
L'ADN de Beowulf toujours bien présent
A première vue, cette histoire de vikings affrontant une tribu d'homme des cavernes ayant survécu à la domination totale de Homo Sapiens ne semble pas avoir de lien avec Beowulf, à part le nom du guerrier Buliwyf, mais comme j'ai déjà commencé à le montrer, il y a plein de références et de points d'intrigue qui ont survécu à cette transposition : certes, il n'y a pas deux créatures, mais un peuple, mais ils sortent de la brume, comme Grendel, et on a bien deux figures qui représentent Grendel et sa Mère, la différence majeure étant qu'ici, Buliwyf tue "Grendel" après sa mère. Celle-ci est également fusionnée avec le dragon. Il y a bien un "ver de feu", mais celui-ci s'avère être l'armée Wendols portant des torches dans le brouillard, et bien que Buliwyf et ses hommes se battent contre l'host Wendol, ce n'est pas vraiment un parallèle avec le combat en solo de Beowulf contre le dragon. Sa confrontation avec la Mère des Wendols, en revanche, remplit ce rôle : elle l'empoisonne avec une griffe, tout comme le dragon empoisonne le héros d'une morsure dans le poème. Et comme dans le poème, Buliwyf ne meurt pas immédiatement, il a le temps de mettre ses affaires en ordre et... de s'asseoir sur un trône ! Sous le tertre dans le poème, à l'extérieur dans le film.
Au final, on a Buliwyf naviguant de loin pour sauver le royaume de Hrothgar d'une créature qui sort de la brume pour massacrer les Danois et emporte leurs têtes en trophée, se bat plusieurs fois pour abattre la brute et sa mère, est blessé et périt du poison de son ennemi. Franchement, pour un film qui n'adapte pas directement le poème, c'est pas mal ! On a même un pseudo-Hunferth qui doute de Buliwyf à son arrivée, dans cette version c'est un fils du roi mais ça ne va pas très loin, l'intrigue est presque bâclée et vite oubliée au profit des Wendols. Cela dit, ça permet de montrer que Buliwyf n'est pas du tout intéressé par le trône de Hrothgar, seulement par le bénéfice pour sa réputation, ce qui est tout à fait fidèle aux ambitions du Beowulf original.
D'autres détails accentuent l'hommage : l'évasion de la grotte par une nage souterraine, qui est exactement comment Beowulf atteint le repaire de la Mère de Grendel, puis s'en échappe, la patte d'ours en parallèle du bras arraché de Grendel... Il y a même une réplique tout droit tirée du poème : "Souvent la Destinée sauve d'une mort certaine celui qui fait preuve de vaillance." (trad. André Crépin). On ne lui en demandait pas tant, et on ne va pas s'en plaindre !
Franchement, pour une adaptation d'un roman seulement inspiré de Beowulf... c'est vraiment pas mal du tout !
Les côtés honteux
Alors l'honnêteté m'oblige à préciser deux trois choses au sujet du film. Comme je l'ai déjà dit, si l'idée de faire promettre Ahmed à Buliwyf d'écrire son histoire afin qu'on se souvienne de lui est excellente d'un point de vue dramaturgique ET thématique (puisque dans la mentalité scandinave de l'époque, la mémoire que l'on laisse derrière soit après sa mort, sa réputation, est tout), malheureusement ça ne tient pas car Beowulf est un héros de l'âge de Vendel (Vendel, Wendol, bien joué M. Crichton), plusieurs siècles avant l'âge viking et surtout le Xe siècle d'Ibn Fadlân, aucune chance que son récit ait pu inspirer le poème que nus connaissons, et si ce genre de chose vous chiffonne, et bien ça ne fonctionnera pas. Cela étant dit, je m'en fous complètement, c'est une excellente aventure, un hommage plus qu'honnête à Beowulf, et pour cela je veux bien mettre de côté l'Histoire avec un grand H...
...NÉANMOINS, pour l'amour des dieux qu'est-ce que c'est que ces costumes immondes ? Les armures de cuir dégueulasses qui annoncent les abominations de Vikings et Last Kingdom, des casques et cuirasses de toutes les périodes mélangées dans un joyeux bazar : des siècles avant, des siècles après, osef ! Halga porte un casque de gladiateur romain, bordel ! Florilège :
Ce casque est une honte, digne d'un magasin de farce et attrapes.
Armure en cuir en premier plan, casque de gladiateur antique au second : COMBO !!
Mention spéciale au casque dit Tête de Bite et de l'armure renaissance qui va avec.
Bon, OK, celui-là c'était un piège, mais franchement, je vous ne l'aurais dit, vous auriez pu y croire.
Bref, c'est la fête du slip en peau de fourrure, quelle tristesse ! On sent que le département costume à pioché dans les réserves du studio et équipé les acteurs d'éléments créés pour d'autres films pour faire des économies. Quelque part, on a déjà abandonné les vikings à casques à cornes, mais on n'a pas encore complètement embrassé le style Bikings, nous laissant quelque part au milieu avec le style "on se déguise avec ce qu'on trouve dans nos placards pour la fête des enfants". Quand je disais "même quand ça fait toc", je pensais surtout à ça.
Il y a aussi le coup d'Ibn Fadlân qui trouve l'épée viking trop lourde (alors que s'il sait manier un sabre - et il prouve que c'est le cas - il devrait même pas tiquer, une épée ça ne pèse pas 10 kilos, même quand elle est ViKiNgGgGBleuahBoUrRiN.) et donc, pour résoudre ce problème, il la... retaille..?... en forme de sabre...
...avec une meule.
Autant je suis près à accepter la survivance d'Homo Neanderthalensis pour les besoins de l'intrigue, autant ça, je suis désolé, c'est non. En plus, tout ça pour faire un sabre bien courbe pour faire plus musulman, alors que c'était pas encore la mode à cette époque là, Ibn Fadlân devrait être tout à fait habitué à se servir d'une épée droite, donc bon, ça vaut rien. Zéro. Nada.
Faut-il le voir ?
Absolument, quelle question ! C'est un excellent film d'aventure à l'ancienne, avec des effets pratiques, une musique épique (je vais y revenir), et, en fin de compte, une adaptation respectueuse de Beowulf, à défaut de lui être fidèle. Les dialogues fleurent bon les 90's et on se laisse porter par l'ambiance. Je n'ai pas tout décrit pour garder de la fraîcheur à ceux et celles d'entre vous qui ne l'auraient pas encore vu, notamment un personnage hyper charismatique et sympathique qui ajoute une grosse touche de coolitude au film, et si vous l'avez déjà regardé, visionnez-le encore : il vieillit comme un bon vin.
Le point bande-originale
Composée par le regretté Jerry Goldsmith, la musique est épique à souhait. Elle met en équilibre les parties à gros cuivres et chœurs représentant les vikings, et les percussions, oud et flûtes arabisantes représentant Ibn Fadlân, les deux styles s'entremêlant durant l'aventure alors que les deux cultures apprennent à coopérer, puis s'apprécier et se respecter mutuellement, autour d'un thème principal solide, qui vous restera longtemps en tête. Goldsmith a composé Le Treizième Guerrier en même temps que La Momie, sortie en 1999 également, et on sent qu'il était bien immergé dans la composition de musique orientaliste. Les deux BO sont en quelque sorte jumelles, et même si je trouve La Momie plus riche et plus aboutie (c'est d'ailleurs ma composition préférée de Goldsmith), Le Treizième Guerrier profite véritablement de la synergie des deux projets dans la tête du compositeur.
À noter qu'il a probablement eu moins de temps pour travailler sa copie que pour la Momie, puisqu'il remplaça un autre compositeur sur le projet, Graeme Revell (connu pour ses compositions sur les deux premiers The Crow ou la trilogie des Riddick, et dont le travail n'a pas convaincu, il faisait apparemment partie du "problème" pour le studio au moment de trancher dans le lard à la dernière minute), ce qui explique sans doute que Le Treizième Guerrier soit un peu plus... simple, droit au but, moins riche en thèmes et leitmotifs.
À noter également que durant le discours badass de Balian face à Jérusalem, dans Kingdom of Heaven, ce n'est pas la musique de Harry-Gregson Williams, pourtant en charge de la BO du film, que l'on entend, mais le thème du Treizième Guerrier par Jerry Goldsmith. Ce thème est épique je vous dis.
Une petite suite medley qui va bien :
La fameuse prière sur fond de musique badass :
Et si vous êtes curieux de ce que pouvait donner le score rejeté de Graeme Revell, il se trouve sur Youtube. Un extrait :