Deux adaptations indirectes, cependant, car chacune prend le parti de tacler le poème par des chemins de traverses. L'une (prétend) transpose(r) le poème dans un contexte post-apocalyptique fauché, l'autre adapte non pas la source, mais le livre de Michael Crichton (auteur de Jurassic Park, Sphere, Westworld, etc.) Les mangeurs de morts aka Le Treizième Guerrier, qui lui même réimagine l'histoire de Beowulf comme une continuation du récit (historique) du voyageur arabe médiéval Ibn Fadlan. L'une capitalise sur Christophe Lambert, l'autre sur Antonio Banderas. L'une est un nanar intersidéral, l'autre pas.
Aujourd'hui on parle du nanar intersidéral.
*Cette fois on lance la techno, woooooOOOO*
Et croyez-le ou non, mais pas simplement pour le plaisir de se moquer (même si oui, on va se moquer, hein). En effet, cette adaptation signée Graham Baker, un réalisateur à la filmographie bien pauvre dont je n'ai vu que son troisième opus de la saga La Malédiction, film dont je n'ai au demeurant que peu de souvenirs mémorables en dépit de la présence du toujours excellent Sam Neill et d'une musique incroyable signée Jerry Goldmsith, qui justement en 1999 revient avec deux scores fantastiques pour Le Treizième Guerrier et La Momie, mais ça commence à se sentir que je trouve n'importe quelle excuse pour ne pas parler de Beowulf), là, non ?
Bref, cette adaptation, qui n'en est une pratiquement que de nom, a laissé une trace derrière elle, et pas seulement freinage numérique. L'association de Beowulf avec les arbalètes reviendra dans le téléfilm Grendel, tandis que le traitement de Grendel et la mère de Grendel sera grandement repompé dans le Beowulf de Zemeckis. Le Treizième Guerrier n'a pas vraiment été vu comme une réinterpétation de Beowulf, mais comme encore une adaptation d'un bouquin de Crichton (et a subi la déchéance de son réalisateur en temps réel, mais on y reviendra dans l'article dédié). Or, contrairement aux Nibelungen, Beowulf n'avait pas d'opéra célèbre ou d'adaptation en noir et blanc prestigieuse par Fritz Lang pour poser les bases de ce qu'est Beowulf dans l'esprit du grand public, qui l'immense majorité du temps n'aura pas lu le poème non plus. Non, pour l'immense majorité des gens, la première adaptation de Beowulf, celle qui va poser les bases et marquer les esprits, c'est le film avec Cristophe Lambert.
Alors, heureusement que Beowulf (1999) est une bonne adaptation de sa source, hein !
Les sources d'inspiration
D'après Christophe Lambert, le budget ridicule du film est loin de celui initialement promis, et ça, je veux bien le croire. Tourné en Roumanie, le film fait cheap sous tous ses aspects, malgré la présence de "gueules" cinématographiques (Lambert, bien sûr, mais aussi Götz Otto, et un petit rôle pour Patricia Velasquez, qui la même année interpréta Anck Su-Namun dans la Momie !). Tout est au rabais ! Heureusement, le film a une astuce pour faire en sorte que ça passe : le contexte est transposé de l'Âge de Vendel à... un futur post-apocalyptique. Les costumes ne sont pas histo ? C'est normal, c'est le F U T U R !! Mais un un futur cradingue technomédiéval ! Et en vrai... sans budget, c'est malin.
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Beowulf (Cristophe Lambert) et ses gadget, retenez l'arbalète, ça nous servira pour un autre film. |
Tenter du médiéval sans moyens, c'est casse-gueule, alors que là on insiste sur des éléments modernes (haut-parleurs, ascenseurs, chaînes de tronçonneuse sur les armes) qui annoncent la couleur au public : c'est du technomédiévalisme avec un mélange de technologie et d'armures etc. qui n'est pas sans rappeler les premiers Mad Max, notamment du côté de leurs méchants flamboyants comme Humungus. Certains costumes sont même franchement cool, je pense par exemple à celui de la troupaille ou l'armure badass de Hrothgar, même si on ne le voit pas beaucoup la porter. Une fois accepté ce postulat post-apo, y a plein choses qui fonctionnent, même cette forteresse de Pas-Heorot avec sa tour surmontée de lance-flammes. Bon, y en a encore plus qui ne fonctionnent pas, comme cette guillotine ridicule qui n'est qu'un rasoir coupe choux géant. C'est tellement grotesque qu'on ne peut que rire en la voyant.
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Dans une autre vie, un autre film, ce mec chevauche aux côtés de Tulsa Doom. |
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Hrothgar et ses gardes sont bien stylés, notez à gauche l'inspiration Warhammer 40K avec cette guisarme-tronçonneuse. |
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Quand ça touche à ce point au débile et puéril, ça frôle le génie. |
L'autre inspiration évidente, c'est Mortal Kombat. Entre la présence de Christophe Lambert, les chorégraphies à base de trampolines, de pirouettes de cirque et d'effets de mauvais goûts typique des années 90, ses effets spéciaux numériques abominables et cette techno qui va et vient de nulle part et mixé beaucoup trop fort par rapport aux, euh... "dialogues"... si vous avez vu le premier film adapté de la série de jeux vidéos Mortal Kombat, vous êtes en terrain connu. Le truc c'est que les gens se sont infligés les films Mortal Kombat parce que... ils aimaient les jeux Mortal Kombat, comme moi je me suis infligé de Rise of Skywalker, quelque part (la musique était bien, au moins).
Y avait-il vraiment beaucoup de fans de Beowulf en 1999, et si oui, est-ce que ces perles rares étaient vraiment du genre à se farcir gaiement un nanar pareil ?
Non parce que je vous parle des sources d'inspiration évidente, mais quid du poème ? Je veux dire, "Anonyme" est crédité à l'écriture du scénario, pour le poète original. C'est bien qu'on se base sur la source, non ? Sur le DVD suédois, l'accroche de la jaquette c'est carrément un mini topo sur le poème (avec un scan d'une page originale en vieil anglais et tout !) en mode "Non mais mais c'est sérieux, on adapte un manuscrit millénaire qui se trouve au British Museum, OK ? C'EST DU CINÉMA DE HAUTE VOLÉE POUR GENS QUI LISENT DES VIEUX TRUCS INTELLECTUELS !"
Et bien écoutez, c'est très simple, le film reprend du poème, en tout et pour tout... trois noms : Beowulf, Hrothgar et Grendel. Et voilà, c'est tout, merci bonsoir. En étant généreux on peut trouver quelques rares points d'intrigue qui semblent presque être des coïncidences, mais sérieusement, je suis persuadé que le film a été écrit sans aucun lien avec la légende et qu'on a collé le nom vite fait dessus parce que ça collait à peu près et que c'était dans le domaine public.
Un résumé vite fait
Le contexte post-apo, en vérité, est explicité par les résumés officiels des films, mais comme on l'a dit, le mélange de technologies implique un futur dystopique cradingue. Toutefois, jamais le pourquoi du comment ne sera suggéré de quelque manière que ce soit, il faut simplement l'accepter. Sommes-nous au Danemark ? Peut-être, peut-être pas, on s'en fout. Le seul élément "géopolitique" si on peut dire est donné au détour d'une phrase où ça a bien castagné en "Underland". J'ai envie d'une voir une référence à l'histoire de Finn le Frisien et du massacre à Finnsburg, sachant que la Frise c'est aujourd'hui une province des Pays-Pas, d'où peut-être ce Underland, mais vu le reste du script, je crois que je prête (beaucoup) trop de qualités à ses auteurs.
Dans ce monde crado, une forteresse (un "Outpost" comme il en existe d'autres, jamais nommé alors qu'il aurait été facile de glisser le nom d'Heorot au moins une fois pour faire genre) est visitée chaque soir par un mal terrible qui décime ses habitants : Grendel (jusque là, tout va bien). Alors un seigneur local concurrent (??) tient un siège de la forteresse et tue quiconque s'en échappe avec son armée du Chaos et sa, euh... guillotine-rasoir... afin d'éviter de laisser se répandre le mal. Oui je sais, on déjà commencé une sortie de route, mais ne vous inquiétez pas car voici venir Beowulf et ses preux gue... ah, au temps pour moi, voici venir Beowulf... tout seul.
Alors que les assiégeants s'apprêtent à tuer Pendra (Patricia Velasquez, justement) qui est parvenu à fuir la forteresse maudite, Beowulf vient la sauver sur fond d'électroboomboom avec des armes dépliantes et rétractiles plus grotesques les unes que les autres qui sentent bon des temps plus simples. Il parvient à l'arracher à ses bourreaux mais comme il décide de chevaucher vers le château, elle préfère sauter du cheval et se faire trucider par eux que de retourner là-bas. Toute cette scène d'action n'a donc servi à R I E N. Enfin presque, on a failli voir les nibards de Patricia Velasquez, le public est certainement hyper attentif désormais, prêt à ne rien rater du chef-d’œuvre qu'on lui propose.
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The Outpost, aka Pas-Heorot, forteresse qui très Mad Max / Waterworld. |
Beowulf arrive donc à la cour de Hrothgar (oh ! oh ! un nom tiré du poème) et y rencontre le roi, sa femm... ah, non, elle est morte, ses jeunes fils... pardon, sa fille unique et pulpeuse (j'insiste dessus parce que c'est clairement pourquoi on l'a embauchée : l'actrice qui l'interprète, Rhona Mitra venait de servir de modèle à Lara Croft, c'est même un argument de vente sur la jaquette de mon DVD....), et s'y fait alpaguer par un guerrier antagoniste qui ne croit pas à ses histoires ni en son palmarès mais qui finira par reconnaître sa valeur après un combat badass... hé ! Mais c'est Hunferth ! C'est carrément Hunferth ! Ah bah non, c'est... Roland, bien sûr. ROLAND, SÉRIEUX ! C'était là, sous vos yeux, il suffisait de le ramasser ! Même dans l'hypothèse où on aurait collé un filtre Beowulf sur un script de Fantasy lambda, vous aviez l'opportunité de donner un peu l'illusion que vous aviez lu le poème ne serait-ce qu'en diagonale par un petit name-drop de rien du tout, mais nooooon, faudrait pas faire trop d'efforts, ça risquerait de se voir, hein? Et le nom de la princesse ? C'est la fête du slip. La princesse s'appelle Kyra, quoi. Princesse de Fantasy Générique n°427 : Kyra...
Bref.
Le dérapage incontrôlé
Pendant qu'ils font connaissance et affrontent Grendel deux trois fois, on apprend que Beowulf ne connaît pas Hrothgar, n'est jamais venu à Pas-Heorot, voyage seul, donc. Autant dire que ça commence mal : pas de Gauts, pas de Hygelac, pas de lien entre les deux protagonistes dans leur passé. Ah, et il se trouve aussi que Beowulf est seulement à demi-humain, outre ses cheveux peroxydés, il guérit de manière surnaturelle, a une force surhumaine et une sorte de connexion psychique avec les démons. Il doit aussi réfréner ses pulsions meurtrières de demi-démon, cela va de soit. Respect de l’œuvre 9000.
Notez que dans les sources médiévales, on au moins un exemple d'un héros un quart ondine qui a des cheveux blancs à cause de ce pédigrée, à savoir Vidga (Witege) dans la Thidreksaga. Oui bon écoutez je fais ce que peux.
Ah et inutile de préciser qu'à ce stade, la distance entre la Terre et son satellite est inférieure à celle entre ce script et le concept de Beowulf. Mais rassurez-vous, il y a pire.
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Kyra (Rhona Mitra) et |
Tout ça place désormais le script et le concept original de Beowulf à une distance proche de celle qui nous sépare de Mars, environ. Attention, ce n'est pas une mauvaise idée en soit, ce démon tentateur dont le rejeton hante ce père, seigneur d'un royaume maudit pour sa transgression (qui a aussi coûté la vie de son épouse, fallait bien faire de la place pour la nouvelle maman). Mais ce n'est pas du tout l'histoire de Beowulf. (Zemeckis reprendra l'idée et s'en sortira un peu mieux) Alors oui, le héros finit par tuer Grendel en lui arrachant le bras et expose celui-ci aux murailles (pour faire lever le siège aux assaillants), mais ces petites touches esthétiques et superficielles ne suffisent pas à compenser le reste.
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Grendel, moins fantomatique que la version de 98. |
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Sinon y a sa version cinématique de Playstation. C'est normal que ça pique. La Mère de Grendel a marché pour que le Roi Scorpion du Retour de la Momie puisse courir. |
Finalement la Mère de Grendel se révèle avoir du sang inflammable et Beowulf la fait exploser (à ce stade je ne lève même plus un sourcil), détruisant tout Pas-Heorot. Tout le monde meurt sauf Beowulf et Kyra qui décida d'accompagner le demi-démon, en dépit de ses avertissements, et on oublie tout le dernier tiers de l'histoire avec le dragon, parce qu'on n'a pas le budget. Totalement comme dans le poème, donc. (Non.)
Conclusion
Je ne souhaite pas étirer cet article plus que nécessaire, même pour ricaner, car une fois ce postulat fait, il n'y a pas grand chose à dire de ce film en tant qu'adaptation. Il y a écrit "Beowulf" sur la jaquette du DVD, on lâche trois noms tirés de la source dans les dialogues, mais même des noms comme Hunferth ou Heorot, qui aurait très aisément pu s'y trouver, sont abandonnés, et je ne parle là que d'un petit effort superficiel qui aurait pu faire illusion, pas du scénario qui trahit la source dès qu'il ne l'occasion. Non, là, y avait rien à faire pour empêcher le naufrage. Niveau adaptation, j'insiste donc, on est donc sur du zéro effort. Ce n'est pas Beowulf mal raconté, non, ce n'est juste... pas Beowulf du tout.
D'un point de vue purement cinématographique, à part quelques costumes bien cool et deux trois plans débullés pour faire style "on fait un film de genre", c'est fauché et peu inspiré. Il y a des plans je peux quasiment voir la machine à fumée s'allumer puis s'éteindre à la lisière du hors champs. Et les effets spéciaux numériques sont d'un laid... ce qui est dommage car Grendel a une version "mec dans un costume" et qu'elle n'est pas trop mal... enfin toutes proportions gardées, hein, on est l'année de sortie de Matrix et La Momie, pour rappel. Mais c'est pas les mêmes budgets non plus.
Faut-il le voir ?
Avez-vous bien rigolé entre amis devant des nanars des années 90 ? Aimez-vous les scènes d'actions surjouées où l'on mélange combats à l'épée et Cirque du Soleil commandé sur Wish ? Pouffez-vous à l'écoute de dialogues de collégiens essayant désespérément d'être sombres et profonds ? Êtes-vous sensibles au rire de Christophe Lambert ? Mortal Kombat vous a-t-il fait rire par la nullité de ses CGI et de ses acteurs et de sa musique et de ses costumes et... ? Alors oui, Beowulf (1999) vaut le visionnage, avec des bières, des chips et des potes. Seulement a priori, si vous appréciez les nanars, vous l'avez déjà vu. Si ce type de visionnage ironique de mauvais films n'est pas votre tasse de thé, fuyez. Vite.
Mais s'il le faut, je ne suis pas comme ça. Cadeau :
Le point Bande-Originale
Non, j'ai pas envie.
Bon, OK, elle est composée par Ben Watkins, à qui l'on doit également......
Mortal Kombat et Mortal Kombat : Destruction Finale.
Voilà, haha, LOL, c'était facile. En vrai c'est apparemment une compilation de différents artistes. D'ailleurs le crédit du film c'est "Ben Watkins for Juno Reactor".
Je me dois donc de préciser que Watkins a fondé Juno Reactor pour collaborer avec d'autres artistes et que je ne suis moi-même pas mauvais client de Juno Reactor, que j'avais découvert grâce à leur collaboration avec Don Davis sur Matrix Reloaded et Matrix Revolutions. Autant dire que je suis plutôt amateur de leurs productions post années 2000 et moins de leurs, euh, chef d’œuvres des années 90. Disons-le comme ça.
Cependant, par acquis de conscience, la BO de Beowulf (1999), c'est (entre autres) ça :
Si c'est votre style, il y a toute la playlist sur Youtube pour vous faire plaisir.