jeudi 6 novembre 2025

Beowulf et Grendel (2005) : Le héros et l'imposteur

En 2005, six ans après la débâcle avec Christophe Lambert (le temps d'encaisser le choc, j'imagine), une nouvelle adaptation voit jour, et cette fois, il est évident que le réalisateur veut faire les choses bien, l'opposé du spectacle outrancier du film de 99 et plus respectueux surtout. Ce film, c'est Beowulf & Grendel, et on trouve sur le net un avis assez largement partagé selon lequel il s'agirait de la meilleure adaptation, la plus fidèle, la plus authentique.

Je ne suis pas du tout d'accord.

(Quoi ? SCANDALE ! imposteur ! Escroc ! Bruits de vaisselle brisée.)

Pourtant des efforts sont fait, non des moindres dans les costumes (gros point fort du film... parfois... occasionnellement), les décors (tournés en Islande, ça a de la gueule, forcément, avec des bâtiments bien reconstitués), la musique composée par Hilmar Örn Hilmarsson, musicien islandais renommé mais également grand gódi (prêtre si vous voulez) des Ásatru islandais, qualité en laquelle on lui a demandé de bénir le tournage, et surtout un homme d'une gentillesse incroyable dont je chéris la rencontre, mais ce n'est pas le sujet.

Tout cela donne une impression d'être plus authentique que le film à techno ou le Treizième Guerrier et ses hommes préhistoriques anachroniques, mais est-ce vraiment le cas ? (Oui, la provoc', direct.)

Si d'innombrables sagas nous sont parvenues de manuscrits Islandais, comme la Völsunga Saga qu'on ne présente plus, ce n'est pas le cas de Beowulf. En fait, Beowulf n'a aucun lien avec l'Islande. S'il a été mis à l'écrit au milieu de la période viking (Xe siècle), le poète était Anglo-saxon, et la composition et le contexte du récit datent de l'âge de Vendel (Ve / VIe siècles). Sa langue est le vieil anglais, pas le vieux norrois. Son intrigue se déroule au Danemark, en Suède et en Frise, à une époque où les Norvégiens n'ont même pas encore colonisé l'Islande. Et si vous n'avez pas eu la chance de comparer vous-même, croyez-moi sur parole : le Danemark ne ressemble pas à l'Islande. Du tout.

Bref, associer Islande et Beowulf est une fausse bonne idée. Parce qu'on associe (trop) aisément Beowulf et vikings, à tort, et qui dit vikings dit Islande, mais c'est une grossière erreur. D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si le titre français, c'est "Beowulf, la légende viking", bien que ce ne soit ni une légende de vikings, ni au sujet de vikings. Arrêtez avec les vikings bon sang !

Alors oui, c'est superbe à l'écran, là-bas, tu poses ta caméra n'importe où, c'est magnifique. Néanmoins, filmer en Islande, ce n'est finalement pas plus authentique que de tourner en Roumanie comme le film de 99, c'est juste plus joli. Et en vrai, je suis partagé à ce sujet, car bien que je trouve tout ça charmant et louable, c'est comme si je voyais un artisan s'appliquer à poser un beau vernis d'authenticité avec les meilleures intentions du monde, sans se rendre compte qu'il badigeonne la mauvaise couleur.

Vous me direz : "Mais Florent, tu t'arrêtes sur l'esthétique, là, les gens trouvent sans doute l'histoire fidèle à la source et authentique !"

Bah non, le script fait pareil, il souffle le chaud et le froid entre les moments brillants et les trahisons complètes. Il y a d'ailleurs une image qui cristallise très bien le film à elle seule, et c'est le costume de Beowulf : un casque magnifique qui reproduit superbement un objet de fouille archéologique... et une armure de fantasy cloutée dégueulasse avec un patch de poitrine en lamelles de cuir honteux, digne de la séries Vikings (ce n'est pas un compliment).

Vous voyez le contraste ? Et bien voilà le film résumé en une image.

Ce qui va

Après, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, ce n'est pas pire que Beowulf (1999). Mais pour une version soit disant "la plus fidèle", on est en droit d'attendre mieux que la barre bien basse posée par un nanar qui a cru bon d'adapter un poème de 1000 ans comme on adapte un jeu vidéo (par-dessus la jambe, donc), il me semble. On est en droit d'attendre, a minima, une version sans grandes trahisons comme la version de 98. Or, ce n'est pas le cas.

Pourtant, dans les grandes lignes ça va : Hrothgar est emmerdé par un monstre appelé Grendel, après avoir demandé la permission à son suzerain (pas nommé mais c'est Hygelac) Beowulf navigue depuis le Gautland avec sa troupe de guerriers pour l'en débarrasser, car ils se connaissent bien lui et Hrothgar, et il veut rendre service. Ils finissent par tuer Grendel, la mère de Grendel vient se venger, on plonge das son antre pour s'en débarrasser également et on rentre au pays. C'est déjà beaucoup mieux que Cristophe Lambert, et au niveau d'un Treizième Guerrier, voire mieux !

Mais ne vous emballez pas, c'est dans les initiatives que ça se gâte. Reprenons depuis le début.

L'intrigue du film

On commence par une carte ancienne qui a le bon goût de replacer la géographie de Beowulf dans son contexte, avec les Danois au Sud et les Gauts en Scandinavie centrale, et même les Wulfings (qui sont, genre, mentionné une fois en tout et pour tout dans le film, donc là on est sur de l’œuf de Pâques) ! Turbo-fidélité dès les premières minutes, quels bons augures ! Bon, elle place aussi un volcan dans les montagnes scandinaves mais soit, hein, c'est une "carte ancienne", si les monstres marins ça passe, pourquoi pas les volcans norvégiens. Et Oh la la ! On affiche la phrase d'introduction du poème ! Là on sait que ça va être authentique. Mais alors de quoi je me plains, me direz-vous ?

Il se trouve qu'on enchaîne sur l'origine de Grendel, comment les Danois l'on traqué lui et son papa (non, pas sa mère), on apprendra plus tard par Hrothgar que le Père de Grendel avait simplement "croisé notre chemin, volé un poisson". Le papa planque son fils lorsqu'ils sont acculés à une falaise et les Danois, menés par un jeune Hrothgar, le tuent. Hrothgar voit le petit Grendel caché mais la vue d'un bambin lui faire légèrement redescendre son niveau de connarditude et il le laisse vivre. Grendel ne pouvait déplacer le corps de son père, trop grand, trop lourd, décide de n'emporter que sa tête dans la grotte où ils vivent.

Tout comme le film de 99, le film décide de créer une connexion personnelle entre Hrothgar et Grendel, mais en plus, elle offre à Grendel une motivation plus profonde que "il ne supporte pas les réjouissances des Hommes". Maintenant, il attaque par vengeance contre les Danois. Quand Hrothgar ouvre les portes d'Heorot, Grendel n'est plus seulement un spectre venue de la brume, haïssant les hommes, il est un esprit vengeur (dans son bon droit) ne haïssant que les Danois. C'est un sacré changement apporté à l'antagoniste. Je n'ai rien contre présenter son point de vue et l'humaniser, mais si pour ça il faut inventer un crime à Hrothgar, c'est que l'idée n'est peut-être pas déjà en germe dans le poème, non ?

Beowulf (Gerard "This is Sparta" Butler) et Hrothgar (Stellan "I share my dreams with ghosts" Skarsgård)

 Le film passe ensuite au héros, Beowulf, qui s'échoue sur une plage près d'un village de pêcheur. Il révèle qu'il était parti chasser le morse avec un certain Brecca lorsqu'une tempête fit chavirer leur navire, l'obligeant à nager en pleine mer. C'est évidemment une référence à l'histoire que Hunferth raconte dans le poème pour discréditer Beowulf, à savoir une course à la nage qu'il aurait perdu contre Brecca, et dont le Gaut se justifie par le fait qu'il ait été pris dans une tempête, ah et aussi il y avait évidemment des monstres marins. Cette version retire le côté "combo arrogance + prise de risque inconsciente enfinjeveuxdire héroïque" de l'anecdote du poème, c'est dommage... D'ailleurs, non content de retirer la rivalité entre les deux, le film fait de Brecca un compagnon de Beowulf qui l'accompagnera dans l'aventure en pays Danois (il est incarné par Rory McCann, aka Sandor The Hound Clegane lui-même).

Après un conseil tenu par son roi (Hygelac, confirmé par les crédits bien que pas nommé dans les dialogues), Beowulf monte une expédition pour secourir Hrothgar. Superbes plan du navire naviguant entre les icebergs danois..... bref, et là, Beowulf manque de se faire agripper par une main pâle et monstrueuse jaillie des flots tandis qu'il se tient au bastingage. On peut l'interpréter comme un hommage aux monstres marins que le héros combat lors de son duel de nage dans le poème, mais c'est en réalité plus profond (padam tschii) que cela.

Hrothgar de con côté commence à perdre la tête, enfin, ses hommes surtout, et ça lui pèse sur le moral. Il essaie bien de provoquer le "troll" en duel mais celui-ci s'y refuse, tuant ses hommes. C'est assez proche de la source, où Grendel affronte tout le monde sauf le roi, mais c'est là à cause du statut divin du souverain que même lui n'ose profaner (ça sent le retcon chrétien tardif, mais c'est comme ça).  Lorsque la Team Beowulf débarque, on a droit à l'échange sur la plage avec le héraut de Hrothgar, comme dans le poème, et à ce moment du film, au premier visionnage, j'étais vraiment confiant...

...et là Beowulf aperçoit un personnage complètement sorti du chapeau, Selma, la "sorcière du coin", après qu'on nous ait introduit un autre personnage inventé, le prêtre Thorkel, et là tu sais que les ennuis commencent. Pourtant, la réunion entre le roi Danois et le guerrier Gaut est parfaite : elle établit leur relation passée, lorsque Beowulf était petit et qu'il résidait à sa cour. C'est un lien essentiel entre les deux hommes que trop d'adaptations négligent. On fête les retrouvailles, les Gauts jurent de liquider Grendel, et si on suit le poème le combat qui s'en suit devrait être celui où Beowulf arrache le bras du monstre qui fuit et meurt dans sa tanière.

Mais non. Grendel se contente de pisser sur la porte et en plus, hé, hé, ça pue, haha hoho lol... (sérieusement, film?) lorsque les preux sortent s'en occuper, il a disparu. Seul témoin, le prêtre Thorkel que le monstre a ignoré pendant qu'il priait pour sa vie, raison pour laquelle il essaie de convaincre le roi de se convertir pour se débarrasser du fléau. 

Et puisque le premier affrontement n'a pas eu lieu, nous sommes entrés dans la

P A R E N T H E S E   B U L L S H I T

C'est l'insert totalement sorti du chapeau, lui-aussi, que le film glisse au milieu de l'intrigue pour forcer ses nouvelles idées au chausse-pied. 

Après la survie "miraculeuse" de Thorkel, Hrothgar et une partie des hommes de Beowulf se laisseront baptiser aux pieds d'une des immenses chutes d'eau du Danemark.... bref. Tout ça, c'est un ajout : le poème contient un fort sous-texte de transition entre le paganisme et le christianisme, on l'a souvent vu à présent, mais ce n'est pas dans le texte. Pas de prêtre, pas de conversions, on dit seulement que les sacrifices aux dieux de l'ancienne coutume n'ont pas résolu le problème. Thématiquement, je ne dis pas, c'est cohérent pour incarner ce sous-texte, ce basculement entre deux périodes, mais c'est une interprétation tout à fait moderne, il faut le garder en tête.

Ingvar Sigurdsson joue Grendel (adulte).

 Les Gauts traquent Grendel jusqu'à son repaire, défendu par un piège de Maman j'ai raté l'avion, ou le Retour du Jedi, selon. Ils ne l'y trouvent pas car Grendel est occupé à jouer aux quilles avec les têtes des Danois (même s'il a une taille adulte il garde un comportement enfantin). Ayant fait chou blanc, Beowulf rend visite à Selma la sorcière. Au fil des échanges, elle confirme que les Danois reçoivent la punition pour leur méfait et que la mort du troll leur coûtera cher "comme il se doit". Grendel est donc confirmé dans son bon droit. Beowulf la croit et confronte Hrothgar qui refuse d'admettre toute responsabilité. Selma lui fera aussi la bonne aventure en jetant des os, parce que pourquoi pas, et tentera de le décourager dans sa quête de Grendel, tissant lentement un lien avec le guerrier qui offre un pendant plus honorable et respectable aux Danois et en particulier Hrothgar. Et quand Beowulf aperçoit finalement Grendel il le prend en chasse et... il va vraiment falloir qu'on discute.

Imaginez la scène : Grendel en haut d'une pente très raide, et Beowulf en bas. Grendel qui dit des trucs incompréhensibles, probablement "It's over Beowulf, I have the High Ground", et Selma qui arrive pour faire la traduction. Grendel troll (hihi) le Gaut, lui jette des cailloux et se fout de sa gueule, tandis que le guerrier... s'énerve, ne comprend pas ce qui se passe, et subit. A quel moment les gens se sont dit, ça, c'est une super scène à rajouter à Beowulf. Et comprenez-moi moi bien, il y a plein de sources qui ont des moments humoristiques comme celui-ci, mais 1) pas Beowulf, un poème qui prend son héros très au sérieux, et 2) pas Beowulf, un poème qui prend son monstre très au sérieux. Cette scène est à deux doigt de mettre le pied dans la parodie façon Monty Python. Et elle le fait pour humaniser toujours plus Grendel, lui donnant même la parole ! (Le film avec Cristophe Lambert avait bien fait dire "Pas toi" à son Grendel, mais pas des dialogues pour expliquer qu'il ne souhaitait pas faire de mal aux Gauts car ils ne lui ont rien fait.

Et puis le top du top, c'est l'explication du nom de Grendel, en anglais moderne Grinder, donc Broyeur. Selma nous révèle qu'il ne broie pas des hommes, comme le pense Beowulf... mais des dents (grincer des dents se construit aussi avec le verbe to grind), car il faisait des cauchemars étant enfant. Tout aspect négatif de Grendel est systématiquement effacé ou policé pour le ramener à cette victime enfantine et innocente. Narrativement, ça fonctionne dans le film, mais vis à vis de la source ? Ce n'est pas une réinterprétation, c’est une trahison complète. 

Rien, dans le poème, ne dépeint Grendel autrement qu'une entité primordiale avec laquelle il n'est nulle raison et qui trucide les Danois par douzaines non sans emporter leurs têtes avant de partir. Pour que Gentil Grendel fonctionne, le film doit constamment inventer des éléments ou en détourner : haha, c’est rigolo, il joue aux quilles avec les têtes comme un petit garçon. Et quand c'est DAESH, ça vous donne envie de relativiser et d'infantiliser, vous ? Moi pas. Alors oui, la comparaison est extrême, mais c'est parce que Grendel est extrême.

"Pappe" dit-il avant de se venger de bon droit.

 Finalement, un local les guide vers le repaire secret de Grendel et les Gauts y trouvent la tête momifiée du Père de Grendel, que l'un d'eux détruit de colère. Enragé, Grendel découvre le méfait dans une scène déchirante et décide que les Gauts sont désormais sur la liste des enfants pas sages et retourne à la halle faire un carnage (dans son bon droit toujours, la tête de feu son père a été profanée), et c'est là qu'on raccroche les wagons avec le poème. Fin de la parenthèse Bullshit. Notons seulement qu'en chemin, sur leur bateau, les hommes de Beowulf se font à nouveau brièvement attaquer par ce bras pâle et monstrueux d'une créature aquatique... tiens, tiens, on se demande qui cela pourrait être...

Ah oui, c'est vrai, mince ! On adapte Beowulf

 Grendel attaque de nuit, tue plein de gens, mais surtout le guerrier qui (il le reconnaît à l'odeur) à fracasser le crâne de son père et il le fait en nommant clairement son papa, encore une fois, justifiant le massacre. Il veut s'enfuir mais son bras reste accroché à une poulie. Le troll prend alors la décision de se trancher lui-même le bras afin de déguerpir et de ne pas tomber entre les mains danoises. Ce n'est donc plus Beowulf qui triomphe de Grendel en lui arrachant le bras, c'est Grendel qui fait un choix et assume son destin. Beowulf n'est plus que spectateur. Reste le bras suspendu, comme dans le poème, mais le sens est totalement inversé. Grendel meurt libre, ayant accompli sa vengeance, et tandis qu'il se laisse aller dans les vagues de la mer, un bras pâle l'emporte...

La mère de Grendel (Elva Ósk Ólafsdóttir)

La célébration victorieuse tourne mal quand un nouveau massacre est perpétré, cette fois par... bah aucun suspense, vous le savez très bien : la Mère de Grendel, donc le bras a surgi ici et là tout le long du film (ce qui, je trouve, est assez malin pour éviter le côté "nouvel ennemi qui arrive comme un cheveu sur la soupe"). Il faut donc traquer la Mère de Grendel et le film reprend la nage sous-marine pour rejoindre la grotte, et ça c'est cool. Très chouette aussi l'utilisation de Brecca, qui n'a en principe rien à faire là, et qui se propose de plonger vers le repaire, et Beowulf qui rétorque à son ami "tu nages comme une brique", excellente allusion à leur compétition de natation dans le poème (que Beowulf perd, je rappelle, c'est d'autant plus ironique). 

Voilà, c'est malin, ça fait plaisir.

Arrivé de l'autre côté, Beowulf émerge dans une caverne avec un tas de trésor et le corps de Grendel, se fait attaquer par la Mère, perd son épée et en ramasse une autre, énorme et plus ancienne, et la trucide avec : turbo-fidèle, excellent ! 

Ce plan est tellement parfait.

Bon la lame ne fond pas mais on va pas trop en demander non plus. Et là, il tombe sur le fils de Grendel.

Ah pardon, je vous avais pas dit ? 

Selma s'est faite violer par Grendel ! Et juste après avoir entendu cette histoire, que fait Beowulf ? Il couche avec Selma. Bravo, le scénariste (oui, c'est un mec, quelle surprise), on est sur du niveau Quantum of Solace, là, j'applaudis très lentement. 

Mais bref, de cette unique union naîtra un demi-troll, que Beowulf a entraperçu plus tôt dans le film et dont il faut maintenant déterminer le sort dans cette grotte où gisent les cadavres du père ET de la grand-mère du petit. Le Gaut décide de le laisser vivre, comme Hrothgar autrefois, en compagnie de sa mère, laissant ainsi incertain le succès de cette expédition. Et si le petit grandissait comme un vengeur à son tour ? C'est une thématique omniprésente des sources scandinaves et germaniques en général, mais la fin du poème ne souffre d'aucune ambiguïté vis à vis des monstres des tourbières. Le danger viendra des Hommes.

En signe de respect et pour montrer au rejeton de Grendel qu'il veut faire la paix, Beowulf construit pour le troll un monument funéraire au bord de la mer, ce qui n'est pas sans évoquer le souhait du héros mourant, dans la source, qu'on lui construise un monument en haut des falaise pour guider les navigateurs. Encore une fois, le film inverse le sens de l'imagerie du poème. Non seulement Beowulf ne tue plus Grendel, mais il lui organise des funérailles. 

Selma (Sarah Polley) et son fils (Benedikt Clausen) observent le départ de Beowulf.

Le film se conclue sur la troupe repartant sur les flots pour regagner le Gautland, un homme parlant de Grendel comme d'un géant descendant de Cain (un lignage directement tiré du poème, bien que probablement collé dessus par le clerc qui coucha le texte par écrit, mais hej ! Fidélité à la source !) Et Beowulf de conclure "par la volonté d'Odin, que nous trouvions le chemin de notre pays", toujours dans cette ambivalence ancienne coutume / christianisme qui habite tout le film.

Évidemment, tout ce qui arrive après dans le poème, le dragon, tout ça, vous oubliez, ce n'est pas le propos du film qui s'appelle, très justement, Beowulf & Grendel

Conclusion

On l'a vu, derrière une fidélité apparente se cache un très gros problème, à mon sens, et il se glisse dans tous les espaces en creux laissés par les points d'intrigue "obligatoires". Ce problème, c'est l'humanisation de Grendel. Je ne suis pas contre un peu d'empathie, ni contre l'idée de montrer le point de vue du monstre, mais contrairement à d'autre créatures malfaisantes comme Fafnir, par exemple, voire à des connards finis comme Hagen, Grendel n'a pas de backstory tragique ou de famille déglinguée qui peuvent expliquer un basculement vers l'avarice, la violence, la cupidité, le meurtre... Grendel est une entité des temps anciens, une créature des marais qui vient massacrer des gens par dégoût pour leurs rires et leur musique, qui boit leur sang et arrache leurs têtes... Pour parvenir à l'humaniser, il faut tellement réécrire, ajouter, retirer que... ce n'est tout simplement plus Grendel. 

Toutes les charges sont inversées : c'est lui la victime, il est dans son droit, il est innocent, il ne tue que ceux qui sont méchants. Les Danois ont commis une faute, ils doivent l'expier. Beowulf ne triomphe même plus de Grendel, il le respecte, épargne sa descendance et lui bâtit une tombe. Ce n'est plus Grendel !

Beowulf se recueille devant le mémorial qu'il a construit pour Grendel. Contresens total. (Dans le poème, après avoir trucidé la mère, il coupe la tête du cadavre de Grendel, pour être sûr que le job soit fait. Voilà voilà.)

 Je comprends totalement qu'on veuille présenter l'histoire sous cet angle-là, c'est très à la mode (je n'ai pas lu le roman de John Gardner, qui s'en sort peut-être mieux à cet exercice). Notre époque veut, à raison, s'intéresser au point de vue des rejetés, des minorités, des marginaux, y compris dans de vieux récits ultra-balisés (cf. la mode des films Disney ayant pour protagonistes leurs méchantes ignobles et iconiques pour en faire des anti-héroïnes tragiques ou incomprises). Et franchement, ça peut fonctionner. Mais pas avec Grendel. 

Grendel n'est pas un personnage, c'est un cauchemar de l'âge de Vendel, un monstre du placard, et pas du genre Monstres et Compagnie. C'est une terreur nocturne, une menace existentielle. Le poème Beowulf regorge d'antagonistes, déclarés ou potentiels, et de menaces très concrètes présentées par des Hommes cupides, fourbes, faux. Eux, on pourrait creuser leur backstory et en faire des anti-héros. Pas Grendel, du moins, pas sans tout réécrire et réinventer.

La conséquence de cette réécriture c'est d'avoir perdu le caractère de Beowulf, sûr de lui, bravache et fanfaron, arrogant parfois, mais qui produit les résultats qu'il promet. Ici, le héros ne fait presque plus rien et n'a plus du tout la même personnalité. Si vous vouliez écrire sur un héros et un monstre qui n'étaient ni vraiment Beowulf, ni vraiment Grendel, je me demande... pourquoi avoir réalisé Beowulf & Grendel


 Faut-il le voir ? 

De ce fait, le film Beowulf & Grendel est un film correct, avec de très beaux paysages, de bons acteurs, des costumes et décors, euh, 50/50, une intrigue qui fonctionne et des personnages tragiquement humains qu'on comprend, qu'ils soient Danois, Gauts, ou trolls. Mais c'est une mauvaise adaptation de Beowulf. Pas pire que le nanar de 99, qui n'essaye même pas vraiment, mais qui donne une très mauvaise (et fausse) idée de ce dont parle le poème. Si on a lu celui-ci, on appréciera les références et le retournement complet des valeurs narratives, comme un exercice de style amusant. Malheureusement, la plupart des gens n'auront pas lu le poème et repartiront de leur visionnage avec une interprétation retournée comme un gant. Et ça, c'est triste.

Alors, faut-il le voir ? Oui... mais en connaissance de cause. Ce n'est pas du tout une adaptation de Beowulf, mais une proposition "Et si... Grendel était une victime innocente". Si cette proposition titille votre curiosité, foncez.


 Le Point bande-originale

La musique de Hilmar Örn Hilmarsson est très classique pour ce genre de film, ne prend jamais trop de place mais bénéficie de quelques moments remarquables bien sympathiques avec chorale et tout, malheureusement elle n'a jamais été publiée sur quelque support que ce soit, donc... Voici la seule piste qu'on ait, en qualité à peu près correcte, le End Title :

vendredi 31 octobre 2025

Le Treizième Guerrier : Deux adaptations pour le prix d'une !

La même année où Christophe Lambert faisait du trampoline sur fond de musique électronique, une autre adaptation de Beowulf sortait sur grand écran, un film qui a fait un flop à sa sortie mais développa au fil des ans un statut de film culte, réalisé par l'un des maîtres de l'action des années 90 : John McTiernan, à qui on devait déjà A la poursuite d'Octobre Rouge, Piège de Cristal, et tant d'autres. Ce film, c'est le Treizième Guerrier.

Là on touche à un de mes chouchous, je préfère être honnête d'emblée, mais je vais essayer de rester objectif. On a là un des derniers films d'aventure à l'ancienne, sans effets numériques, plein de cascadeurs, notamment une horde de cavaliers pour le final, plein de décors construits en dur dans des paysages dépeuplées, ça sent bon les 90's d'avant la révolution technologique que fut Jurassic Park, un véritable chant du cygne. Et je ne dis pas a en l'air : tout cela a l'apparat du compliment dans ma bouche, mais pour les studio, le film fut un désastre, un gouffre financier qui a souffert de ses ambitions et d'un remontage à la dernière minute pour "sauver" ce qui pouvait l'être. Les entrées n'ont pas validé cette prise de risque et ça a affecté tout le monde : McTiernan s'est enfoncé dans la disgrâce et Antonio Banderas a admis que ça avait négativement impacté sa carrière, lui qui avait accepté le rôle pour prendre un risque, justement, et sortir de son type-cast habituel de beau gosse latino.  

Les scènes d'action ont de la gueule.

Certains trouveront de fait l'image datée et vieillotte, d'autres comme moi y trouveront un charme désormais perdu à Hollywood, avec des cascadeurs sans fonds verts et une sensation de vrai, même quand c'est du toc. Il est évident que Le Treizième Guerrier est d'un autre temps... je veux dire, y a Omar Sharifn en invité de luxe au début du métrage. Omar Sharif ! Est-ce que les moins de vingt ans savent encore qui c'est ? Je suis vieux.

Un concept original de Double Feature littéraire

Si je vais en parler ici comme d'une adaptation de Beowulf, il ne s'agit pas pour autant d'une adaptation directe. En effet, elle porte à l'écran un roman de Michael Crichton, qui a aussi écrit... ah bah tiens, Jurassic Park ! Son livre, Le Treizième Guerrier (traduit d'abord Le Royaume de Rothgar ou encore Les Mangeurs de Morts avant la sortie du film, la titre a été ensuite retraduit plus fidèlement pour que les gens captent que c'est la même chose que le film) est un concept intéressant, et des plus originaux !

Le postulat est simple : il va prendre un voyageur arabe du Xème siècle tout à fait authentique, Ibn Fadlân (de son p'tit nom Ahmad ibn-al-'Abbas ibn Rashid ibn-Hammad ibn-Fadlan, oui bon Ibn Fadlân pour les fainéants intimes ), dont un récit célèbre raconte sa rencontre avec des "norrois" ou Rus, sur la Volga. Crichton va imiter son style et reprendre le début de son récit très connu... avant de le prolonger, comme s'il nous révélait l'intégralité du récit de voyage d'Ibn Fadlân, un voyage dont nous n'aurions pas entendu parler jusqu'ici et qui l'entraînerait dans le grand nord scandinave en compagnie d'un certain Buliwyf...

Le roman fonctionne parfaitement, car Crichton parvient à opérer la transition entre son imitation du récit de voyage et sa propre aventure sans accroc, même lorsqu'on a déjà lu Ibn Fadlân, on se laisse porter sans souci et on suit les tribulations de cet émissaire de Bagdad parmi les vikings jusqu'au Danemark où les Danois sont harcelés par une étrange créature dont Buliwyf jure de les débarrasser. Le grand héros est alors un personnage secondaire, et le protagoniste est... le témoin des événements, étranger en terre lointaine. Les éléments de l'intrigue du poème médiéval seront ainsi réinterprétés à une sauce plus """réaliste""", grâce notamment au style très "factuel" et descriptif d'Ibn Fadlân, néanmoins, il ne sera pas compliqué de repérer tous ces éléments pour ce qu'ils sont et constater que, malgré son postulat plutôt original, le Treizième Guerrier est bel et bien une adaptation de Beowulf.

Melchisidek (Omar Sharif) et Ahmed Ibn Fadlân (Antonio Banderas)

Après, en tant qu'histoire véritable qui aurait inspiré la légende, ça marche moyen, puisque faire du récit celui d'Ibn Fadlân et de Rûs place l'intrigue plus ou moins à l'époque où la légende sera mise sur papier... et des siècles après le contexte développé par le poème. Mais ne soyons pas chagrins et acceptons ce postulat ! 

L'histoire : on commence par adapter Ibn Fadlân

Le film commence par une introduction de notre protagoniste, Ahmed Ibn Fadlân, émissaire arabe envoyé loin de Bagdad pour s'être intéressé d'un peu trop près à l'épouse d'un autre, et qui n'est pas exactement satisfait de sa nouvelle fiche de poste dans ce qui, du point du vue arabe, est le "nord lointain", à l'opposé du raffinement et de la civilisation. Il tombe sur un groupe de Rûs (dans le récit de voyage original, sous la plume d'un lettré arabe, ça peut désigner tout un tas de peuples d'Europe du Nord et de l'Est comme un terme générique, bien que le nom soit à l'origine celui des Varègues, des vikings ayant pris la route de l'Est) alors qu'on est au pays des Bulgares (encore une fois un terme générique et pas identique aux Bulgares d'aujourd'hui). Bref, il veut faire son boulot d'émissaire et parler au roi, mais le roi est, euh... indisponible. Il est mort.

On a droit à une scène de funérailles "vikings" directement tirée du récit de voyage authentique, y compris la soit disant "Ange de la Mort" et la servante volontaire pour mourir dans le processus afin d'accompagner son maître en récitant un genre de prière que le film va iconiser plus tard. Cette prière est (en grande partie) directement citée du récit de voyage (en ajoutant la partie sur Valhalla), mais aucune autre source médiévale, aucune saga, aucune chronique n'a gardé la trace d'une prière similaire, même de loin. Il est possible que cette prière soit celle d'un peuple non-scandinave, ou qu'Ibn Fadlân l'ait inventée, sachant qu'il y a d'autres éléments qu'il décrit qu'on ne retrouve nulle part ailleurs, mais que le film adapte fidèlement : les vikings qui se lavent avec la même bassine de flotte dans laquelle ils se mouchent avant de la passer au suivant, ou les tatouages "de la tête aux pieds". Ibn Fadlân les décrit comme couverts de tatouages, même sur le visage, et c'est adapté par un des personnages qui a un motif d'entrelacs sur ses joues. Tous ces éléments sont historiquement douteux car n'apparaissant dans aucune autre source (y compris dans les autres récits de voyageurs arabes ayant également rencontré des Rûs), mais fidèles à la source ! D'ailleurs, si tout ça vous rappelle la saison 1 de la série Vikings, c'est parce que celle-ci repompe également Ibn Fadlân sans recul.

Après les funérailles, un bateau arrive et un petit garçon vient appeler le nouveau roi, Buliwyf, à l'aide. Le garçon s'appelle Wulfgar, il est le fils du roi Hrothgar, et son père a besoin d'aide pour repousser l'attaque d'une créature qu'aucun viking n'ose nommer. La prophétesse du coin annonce que 13 guerriers doivent répondre à l'appel, nos nouveaux protagonistes barbus se portent volontaires l'un après l'autre, sauf que... le treizième guerrier ne peut être un homme du nord. Boom, Ahmed est recruté plus ou moins contre son gré, son mentor joué par Omar Sharif lui transmet sa passion de gagner, sans pousser le vice jusqu'à l'accompagner, faut pas déconner, et l'équipe de Buliwyf se met en route pour un voyage jusqu'au Danemark. C'est à ce moment-là qu'on passe d'une adaptation du récit de voyage d'Ibn Fadlân à une adaptation de Beowulf.

Buliwyf (Vladimir Kulich) et son armure du Xe siècle (pas du tout) option "épée dans le dos pour faire cool mais impossible à tirer du fourreau" pour un maximum de cringe (on reviendra sur les costumes à la fin).

Beowulf entre légende, histoire... et préhistoire 

Bon, ça y est, on est de plein pied dans Beowulf, d'ailleurs, dans le poème, Wulgar est un émissaire de Hrothgar (mais pas son fils), donc c'est cohérent. Durant le long voyage jusqu'à la halle de Hrothgar, Ahmed apprend la langue norroise en... écoutant... si seulement c'était si simple, mais je m'égare. Ils arrivent en groupe et Buliwyf promet au roi de le débarrasser de ce qui massacre ses gens. On apprend qu'il ne s'agit pas d'une seule créature mais d'une meute, les Wendols, qui laissent des tracent de pas d'ours et des marques de griffes, et emportent les têtes de leurs victimes... comme Grendel dans le poème. Après la première attaque subie par nos héros, ils réalisent que ce ne sont que des hommes, et que leurs pattes d'ours sont des armes tenues à la main, offrant l'imagerie du bras monstrueux "arraché" de Grendel. C'est typique de la manière qu'a le film (et le roman de Crichton à la base) d'adapter Beowulf à ce contexte plus, euh... "réaliste".

Par exemple, la prophétesse annonce que pour chasser les Wendols, il faudra tuer la Mère des Wendols, qu'ils vénèrent, et le chef des guerriers. Bref, Grendel et la Mère de Grendel. Détail amusant, les Wendols colportent des petites statuettes représentant la Mère des Wendols et qui sont des "Vénus" paléolithiques, ce qui donne un gros indice sur leur nature réelle. La traque des vikings les mènent jusqu'au repaire des Wendols, un réseau de cavernes qu'ils infiltrent en toute discrétion, suspendez votre incrédulité bien haut s'il vous plaît. On y voit d'ailleurs une version énorme de cette Vénus qu'ils trimballent avec eux, indiquant un culte ancien. Quand les choses dégénèrent inévitablement en bagarre, Buliwyf se charge de liquider l'incarnation de la Mère des Wendols, qui à l'origine devait avoir un look similaire aux Vénus paléolitiques, corps obèse, forte poitrine, larges cuisses (bref un icône de fertilité), mais le film préfère lui donner un look, euh... sorcière sexy ? Buliwyf finit par la décapiter, toutefois il n'y parvient pas avant qu'elle ne le blesse avec une griffe plongée dans du poison.

Comment les Wendols représentent leur Mère depuis des siècles.

Comment la Mère des Wendols est incarnée.
 

La troupe de vikings est coincée sous terre mais Ahmed se souvient d'un détail de l'intrigue et devine que la rivière souterraine qui s'arrête abruptement face à eux doit ressurgir en cascade non loin de là : ils plongent donc et, effectivement, trouvent ainsi une sortie au prix d'une longue nage sous-marine qui vous fera retenir votre souffle comme si vous y étiez. Moi ça me le fait à chaque fois.

Tout le monde est ravi que la Mère des Wendols soit enfin sans sa tête, mais ils savent que n'ayant pas tué le chef des guerriers, les Wendols vont revenir pour se venger, et ça ne loupe pas : le soir même on a droit à la confrontation finale. Buliwyf, mourant sort sous la pluie pour se préparer à son dernier combat, les vikings récitent leur prière iconique du début du film, rejoints par Ahmed qui a pourtant également prié son Dieu, car après tout, on ne sait jamais. Grosse bataille épique, Buliwyf trucide enfin le chef des guerriers Wendols et ceux-ci déguerpissent aussitôt pour s'évanouir dans la brume qu'ils ont toujours hanté. Mais les réjouissances sont de courtes durées : Buliwyf succombe au poison, assis sur un genre de trône.

Pseudo Grendel.
 

Finalement, Ahmed retourne en son pays, saluant ses amis païens une dernière fois en les recommandant à la merci de son Dieu.

L'ADN de Beowulf toujours bien présent 

A première vue, cette histoire de vikings affrontant une tribu d'homme des cavernes ayant survécu à la domination totale de Homo Sapiens ne semble pas avoir de lien avec Beowulf, à part le nom du guerrier Buliwyf, mais comme j'ai déjà commencé à le montrer, il y a plein de références et de points d'intrigue qui ont survécu à cette transposition : certes, il n'y a pas deux créatures, mais un peuple, mais ils sortent de la brume, comme Grendel, et on a bien deux figures qui représentent Grendel et sa Mère, la différence majeure étant qu'ici, Buliwyf tue "Grendel" après sa mère. Celle-ci est également fusionnée avec le dragon. Il y a bien un "ver de feu", mais celui-ci s'avère être l'armée Wendols portant des torches dans le brouillard, et bien que Buliwyf et ses hommes se battent contre l'host Wendol, ce n'est pas vraiment un parallèle avec le combat en solo de Beowulf contre le dragon. Sa confrontation avec la Mère des Wendols, en revanche, remplit ce rôle : elle l'empoisonne avec une griffe, tout comme le dragon empoisonne le héros d'une morsure dans le poème. Et comme dans le poème, Buliwyf ne meurt pas immédiatement, il a le temps de mettre ses affaires en ordre et... de s'asseoir sur un trône ! Sous le tertre dans le poème, à l'extérieur dans le film.


Au final, on a Buliwyf naviguant de loin pour sauver le royaume de Hrothgar d'une créature qui sort de la brume pour massacrer les Danois et emporte leurs têtes en trophée, se bat plusieurs fois pour abattre la brute et sa mère, est blessé et périt du poison de son ennemi. Franchement, pour un film qui n'adapte pas directement le poème, c'est pas mal ! On a même un pseudo-Hunferth qui doute de Buliwyf à son arrivée, dans cette version c'est un fils du roi mais ça ne va pas très loin, l'intrigue est presque bâclée et vite oubliée au profit des Wendols.  Cela dit, ça permet de montrer que Buliwyf n'est pas du tout intéressé par le trône de Hrothgar, seulement par le bénéfice pour sa réputation, ce qui est tout à fait fidèle aux ambitions du Beowulf original.

D'autres détails accentuent l'hommage : l'évasion de la grotte par une nage souterraine, qui est exactement comment Beowulf atteint le repaire de la Mère de Grendel, puis s'en échappe, la patte d'ours en parallèle du bras arraché de Grendel... Il y a même une réplique tout droit tirée du poème : "Souvent la Destinée sauve d'une mort certaine celui qui fait preuve de vaillance." (trad. André Crépin). On ne lui en demandait pas tant, et on ne va pas s'en plaindre !

Franchement, pour une adaptation d'un roman seulement inspiré de Beowulf... c'est vraiment pas mal du tout !

Les côtés honteux

Alors l'honnêteté m'oblige à préciser deux trois choses au sujet du film. Comme je l'ai déjà dit, si l'idée de faire promettre Ahmed à Buliwyf d'écrire son histoire afin qu'on se souvienne de lui est excellente d'un point de vue dramaturgique ET thématique (puisque dans la mentalité scandinave de l'époque, la mémoire que l'on laisse derrière soit après sa mort, sa réputation, est tout), malheureusement ça ne tient pas car Beowulf est un héros de l'âge de Vendel (Vendel, Wendol, bien joué M. Crichton), plusieurs siècles avant l'âge viking et surtout le Xe siècle d'Ibn Fadlân, aucune chance que son récit ait pu inspirer le poème que nus connaissons, et si ce genre de chose vous chiffonne, et bien ça ne fonctionnera pas. Cela étant dit, je m'en fous complètement, c'est une excellente aventure, un hommage plus qu'honnête à Beowulf, et pour cela je veux bien mettre de côté l'Histoire avec un grand H...

...NÉANMOINS, pour l'amour des dieux qu'est-ce que c'est que ces costumes immondes ? Les armures de cuir dégueulasses qui annoncent les abominations de Vikings et Last Kingdom, des casques et cuirasses de toutes les périodes mélangées dans un joyeux bazar : des siècles avant, des siècles après, osef ! Halga porte un casque de gladiateur romain, bordel ! Florilège :

Ce casque est une honte, digne d'un magasin de farce et attrapes.
Armure en cuir en premier plan, casque de gladiateur antique au second : COMBO !!

Mention spéciale au casque dit Tête de Bite et de l'armure renaissance qui va avec.
Bon, OK, celui-là c'était un piège, mais franchement, je vous ne l'aurais dit, vous auriez pu y croire.

Bref, c'est la fête du slip en peau de fourrure, quelle tristesse ! On sent que le département costume à pioché dans les réserves du studio et équipé les acteurs d'éléments créés pour d'autres films pour faire des économies. Quelque part, on a déjà abandonné les vikings à casques à cornes, mais on n'a pas encore complètement embrassé le style Bikings, nous laissant quelque part au milieu avec le style "on se déguise avec ce qu'on trouve dans nos placards pour la fête des enfants". Quand je disais "même quand ça fait toc", je pensais surtout à ça.

Il y a aussi le coup d'Ibn Fadlân qui trouve l'épée viking trop lourde (alors que s'il sait manier un sabre - et il prouve que c'est le cas - il devrait même pas tiquer, une épée ça ne pèse pas 10 kilos, même quand elle est ViKiNgGgGBleuahBoUrRiN.) et donc, pour résoudre ce problème, il la... retaille..?... en forme de sabre...

...avec une meule. 

Autant je suis près à accepter la survivance d'Homo Neanderthalensis pour les besoins de l'intrigue, autant ça, je suis désolé, c'est non. En plus, tout ça pour faire un sabre bien courbe pour faire plus musulman, alors que c'était pas encore la mode à cette époque là, Ibn Fadlân devrait être tout à fait habitué à se servir d'une épée droite, donc bon, ça vaut rien. Zéro. Nada.

Faut-il le voir ?

Absolument, quelle question ! C'est un excellent film d'aventure à l'ancienne, avec des effets pratiques, une musique épique (je vais y revenir), et, en fin de compte, une adaptation respectueuse de Beowulf, à défaut de lui être fidèle. Les dialogues fleurent bon les 90's et on se laisse porter par l'ambiance. Je n'ai pas tout décrit pour garder de la fraîcheur à ceux et celles d'entre vous qui ne l'auraient pas encore vu, notamment un personnage hyper charismatique et sympathique qui ajoute une grosse touche de coolitude au film, et si vous l'avez déjà regardé, visionnez-le encore : il vieillit comme un bon vin.

Le point bande-originale

Composée par le regretté Jerry Goldsmith, la musique est épique à souhait. Elle met en équilibre les parties à gros cuivres et chœurs représentant les vikings, et les percussions, oud et flûtes arabisantes représentant Ibn Fadlân, les deux styles s'entremêlant durant l'aventure alors que les deux cultures apprennent à coopérer, puis s'apprécier et se respecter mutuellement, autour d'un thème principal solide, qui vous restera longtemps en tête. Goldsmith a composé Le Treizième Guerrier en même temps que La Momie, sortie en 1999 également, et on sent qu'il était bien immergé dans la composition de musique orientaliste. Les deux BO sont en quelque sorte jumelles, et même si je trouve La Momie plus riche et plus aboutie (c'est d'ailleurs ma composition préférée de Goldsmith), Le Treizième Guerrier profite véritablement de la synergie des deux projets dans la tête du compositeur.

À noter qu'il a probablement eu moins de temps pour travailler sa copie que pour la Momie, puisqu'il remplaça un autre compositeur sur le projet, Graeme Revell (connu pour ses compositions sur les deux premiers The Crow ou la trilogie des Riddick, et dont le travail n'a pas convaincu, il faisait apparemment partie du "problème" pour le studio au moment de trancher dans le lard à la dernière minute), ce qui explique sans doute que Le Treizième Guerrier soit un peu plus... simple, droit au but, moins riche en thèmes et leitmotifs.

À noter également que durant le discours badass de Balian face à Jérusalem, dans Kingdom of Heaven, ce n'est pas la musique de Harry-Gregson Williams, pourtant en charge de la BO du film, que l'on entend, mais le thème du Treizième Guerrier par Jerry Goldsmith. Ce thème est épique je vous dis.

Une petite suite medley qui va bien :


La fameuse prière sur fond de musique badass :


Et si vous êtes curieux de ce que pouvait donner le score rejeté de Graeme Revell, il se trouve sur Youtube. Un extrait :

vendredi 17 octobre 2025

Technowulf : le Post-Apo avec Christophe Lambert (Beowulf, 1999)

1999 fut un millésime incroyable point de vue cinéma. La même année nous avons eu droit à une palanquée de films qui ont marqué leur temps, pour le meilleur comme le pire, y compris pour ma part de nombreux favoris comme Star Wars : La Menace Fantôme, La MomieMatrix, Le Géant de Fer, La Neuvième Porte, Sleepy Hollow... (et en vrai plein d'autres, faites une recherche c'est fou.) Mais 1999 c'est également non pas une, mais deux adaptations de Beowulf au cinéma.

Deux adaptations indirectes, cependant, car chacune prend le parti de tacler le poème par des chemins de traverses. L'une (prétend) transpose(r) le poème dans un contexte post-apocalyptique fauché, l'autre adapte non pas la source, mais le livre de Michael Crichton (auteur de Jurassic Park, Sphere, Westworld, etc.) Les mangeurs de morts aka Le Treizième Guerrier, qui lui même réimagine l'histoire de Beowulf comme une continuation du récit (historique) du voyageur arabe médiéval Ibn Fadlan. L'une capitalise sur Christophe Lambert, l'autre sur Antonio Banderas. L'une est un nanar intersidéral, l'autre pas.

Aujourd'hui on parle du nanar intersidéral.

*Cette fois on lance la techno, woooooOOOO* 

Et croyez-le ou non, mais pas simplement pour le plaisir de se moquer (même si oui, on va se moquer, hein). En effet, cette adaptation signée Graham Baker, un réalisateur à la filmographie bien pauvre dont je n'ai vu que son troisième opus de la saga La Malédiction, film dont je n'ai au demeurant que peu de souvenirs mémorables en dépit de la présence du toujours excellent Sam Neill et d'une musique incroyable signée Jerry Goldmsith, qui justement en 1999 revient avec deux scores fantastiques pour Le Treizième Guerrier et La Momie, mais ça commence à se sentir que je trouve n'importe quelle excuse pour ne pas parler de Beowulf), là, non ? 

Bref, cette adaptation, qui n'en est une pratiquement que de nom, a laissé une trace derrière elle, et pas seulement freinage numérique. L'association de Beowulf avec les arbalètes reviendra dans le téléfilm Grendel, tandis que le traitement de Grendel et la mère de Grendel sera grandement repompé dans le Beowulf de Zemeckis. Le Treizième Guerrier n'a pas vraiment été vu comme une réinterpétation de Beowulf, mais comme encore une adaptation d'un bouquin de Crichton (et a subi la déchéance de son réalisateur en temps réel, mais on y reviendra dans l'article dédié). Or, contrairement aux Nibelungen, Beowulf n'avait pas d'opéra célèbre ou d'adaptation en noir et blanc prestigieuse par Fritz Lang pour poser les bases de ce qu'est Beowulf dans l'esprit du grand public, qui l'immense majorité du temps n'aura pas lu le poème non plus. Non, pour l'immense majorité des gens, la première adaptation de Beowulf, celle qui va poser les bases et marquer les esprits, c'est le film avec Cristophe Lambert. 

Alors, heureusement que Beowulf (1999) est une bonne adaptation de sa source, hein !


Les sources d'inspiration

D'après Christophe Lambert, le budget ridicule du film est loin de celui initialement promis, et ça, je veux bien le croire. Tourné en Roumanie, le film fait cheap sous tous ses aspects, malgré la présence de "gueules" cinématographiques (Lambert, bien sûr, mais aussi Götz Otto, et un petit rôle pour Patricia Velasquez, qui la même année interpréta Anck Su-Namun dans la Momie !). Tout est au rabais ! Heureusement, le film a une astuce pour faire en sorte que ça passe : le contexte est transposé de l'Âge de Vendel à... un futur post-apocalyptique. Les costumes ne sont pas histo ? C'est normal, c'est le F U T U R !! Mais un futur cradingue technomédiéval ! Et en vrai... sans budget, c'est malin. 

Beowulf (Cristophe Lambert) et ses gadget, retenez l'arbalète, ça nous servira pour un autre film.
 

Tenter du médiéval sans moyens, c'est casse-gueule, alors que là on insiste sur des éléments modernes (haut-parleurs, ascenseurs, chaînes de tronçonneuse sur les armes) qui annoncent la couleur au public : c'est du technomédiévalisme avec un mélange de technologie et d'armures etc. qui n'est pas sans rappeler les premiers Mad Max, notamment du côté de leurs méchants flamboyants comme Humungus. Certains costumes sont même franchement cool, je pense par exemple à celui de la troupaille ou l'armure badass de Hrothgar, même si on ne le voit pas beaucoup la porter. Une fois accepté ce postulat post-apo, y a plein choses qui fonctionnent, même cette forteresse de Pas-Heorot avec sa tour surmontée de lance-flammes. Bon, y en a encore plus qui ne fonctionnent pas, comme cette guillotine ridicule qui n'est qu'un rasoir coupe choux géant. C'est tellement grotesque qu'on ne peut que rire en la voyant.

Dans une autre vie, un autre film, ce mec chevauche aux côtés de Tulsa Doom.
   

Hrothgar et ses gardes sont bien stylés, notez à gauche l'inspiration Warhammer 40K avec cette guisarme-tronçonneuse.

Quand ça touche à ce point au débile et puéril, ça frôle le génie.

L'autre inspiration évidente, c'est Mortal Kombat. Entre la présence de Christophe Lambert, les chorégraphies à base de trampolines, de pirouettes de cirque et d'effets de mauvais goûts typique des années 90, ses effets spéciaux numériques abominables et cette techno qui va et vient de nulle part et mixé beaucoup trop fort par rapport aux, euh... "dialogues"... si vous avez vu le premier film adapté de la série de jeux vidéos Mortal Kombat, vous êtes en terrain connu. Le truc c'est que les gens se sont infligés les films Mortal Kombat parce que... ils aimaient les jeux Mortal Kombat, comme moi je me suis infligé de Rise of Skywalker, quelque part (la musique était bien, au moins). 

Y avait-il vraiment beaucoup de fans de Beowulf en 1999, et si oui, est-ce que ces perles rares étaient vraiment du genre à se farcir gaiement un nanar pareil ?

Non parce que je vous parle des sources d'inspiration évidente, mais quid du poème ? Je veux dire, "Anonyme" est crédité à l'écriture du scénario, pour le poète original. C'est bien qu'on se base sur la source, non ? Sur le DVD suédois, l'accroche de la jaquette c'est carrément un mini topo sur le poème (avec un scan d'une page originale en vieil anglais et tout !) en mode "Non mais mais c'est sérieux, on adapte un manuscrit millénaire qui se trouve au British Museum, OK ? C'EST DU CINÉMA DE HAUTE VOLÉE POUR GENS QUI LISENT DES VIEUX TRUCS INTELLECTUELS !"

Bon après, à part la photo de Lambert obligatoire, les quatre autres images sont toutes les nanas du film, dont deux photos tirées de la même scène où on force le bustier de l'actrice pour mieux voir ses... enfin, pour l'aider à mieux respirer. Alors OK, oulala, poème millénaire manuscrit à Londres, oulala mais surtout MATTELESNIBARDSACHETECEDVD!!!

Et bien écoutez, c'est très simple, le film reprend du poème, en tout et pour tout... trois noms : Beowulf, Hrothgar et Grendel. Et voilà, c'est tout, merci bonsoir. En étant généreux on peut trouver quelques rares points d'intrigue qui semblent presque être des coïncidences, mais sérieusement, je suis persuadé que le film a été écrit sans aucun lien avec la légende et qu'on a collé le nom vite fait dessus parce que ça collait à peu près et que c'était dans le domaine public.

Un résumé vite fait

Le contexte post-apo, en vérité, est explicité par les résumés officiels des films, mais comme on l'a dit, le mélange de technologies implique un futur dystopique cradingue. Toutefois, jamais le pourquoi du comment ne sera suggéré de quelque manière que ce soit, il faut simplement l'accepter. Sommes-nous au Danemark ? Peut-être, peut-être pas, on s'en fout. Le seul élément "géopolitique" si on peut dire est donné au détour d'une phrase où ça a bien castagné en "Underland". J'ai envie d'une voir une référence à l'histoire de Finn le Frisien et du massacre à Finnsburg, sachant que la Frise c'est aujourd'hui une province des Pays-Pas, d'où peut-être ce Underland, mais vu le reste du script, je crois que je prête (beaucoup) trop de qualités à ses auteurs.

Dans ce monde crado, une forteresse (un "Outpost" comme il en existe d'autres, jamais nommé alors qu'il aurait été facile de glisser le nom d'Heorot au moins une fois pour faire genre) est visitée chaque soir par un mal terrible qui décime ses habitants : Grendel (jusque là, tout va bien). Alors un seigneur local concurrent (??) tient un siège de la forteresse et tue quiconque s'en échappe avec son armée du Chaos et sa, euh... guillotine-rasoir... afin d'éviter de laisser se répandre le mal. Oui je sais, on déjà commencé une sortie de route, mais ne vous inquiétez pas car voici venir Beowulf et ses preux gue... ah, au temps pour moi, voici venir Beowulf... tout seul. 

Alors que les assiégeants s'apprêtent à tuer Pendra (Patricia Velasquez, justement) qui est parvenu à fuir la forteresse maudite, Beowulf vient la sauver sur fond d'électroboomboom avec des armes dépliantes et rétractiles plus grotesques les unes que les autres qui sentent bon des temps plus simples. Il parvient à l'arracher à ses bourreaux mais comme il décide de chevaucher vers le château, elle préfère sauter du cheval et se faire trucider par eux que de retourner là-bas. Toute cette scène d'action n'a donc servi à R I E N. Enfin presque, on a failli voir les nibards de Patricia Velasquez, le public est certainement hyper attentif désormais, prêt à ne rien rater du chef-d’œuvre qu'on lui propose.

The Outpost, aka Pas-Heorot, forteresse qui très Mad Max / Waterworld.

Beowulf arrive donc à la cour de Hrothgar (oh ! oh ! un nom tiré du poème) et y rencontre le roi, sa femm... ah, non, elle est morte, ses jeunes fils... pardon, sa fille unique et pulpeuse (j'insiste dessus parce que c'est clairement pourquoi on l'a embauchée : l'actrice qui l'interprète, Rhona Mitra venait de servir de modèle à Lara Croft, c'est même un argument de vente sur la jaquette de mon DVD....), et s'y fait alpaguer par un guerrier antagoniste qui ne croit pas à ses histoires ni en son palmarès mais qui finira par reconnaître sa valeur après un combat badass... hé ! Mais c'est Hunferth ! C'est carrément Hunferth ! Ah bah non, c'est... Roland, bien sûr. ROLAND, SÉRIEUX ! C'était là, sous vos yeux, il suffisait de le ramasser ! Même dans l'hypothèse où on aurait collé un filtre Beowulf sur un script de Fantasy lambda, vous aviez l'opportunité de donner un peu l'illusion que vous aviez lu le poème ne serait-ce qu'en diagonale par un petit name-drop de rien du tout, mais nooooon, faudrait pas faire trop d'efforts, ça risquerait de se voir, hein? Et le nom de la princesse ? C'est la fête du slip. La princesse s'appelle Kyra, quoi. Princesse de Fantasy Générique n°427 : Kyra...

Bref.

Le dérapage incontrôlé  

Pendant qu'ils font connaissance et affrontent Grendel deux trois fois, on apprend que Beowulf ne connaît pas Hrothgar, n'est jamais venu à Pas-Heorot, voyage seul, donc. Autant dire que ça commence mal : pas de Gauts, pas de Hygelac, pas de lien entre les deux protagonistes dans leur passé. Ah, et il se trouve aussi que Beowulf est seulement à demi-humain, outre ses cheveux peroxydés, il guérit de manière surnaturelle, a une force surhumaine et une sorte de connexion psychique avec les démons. Il doit aussi réfréner ses pulsions meurtrières de demi-démon, cela va de soit. Respect de l’œuvre 9000.

Notez que dans les sources médiévales, on au moins un exemple d'un héros un quart ondine qui a des cheveux blancs à cause de ce pédigrée, à savoir Vidga (Witege) dans la Thidreksaga. Oui bon écoutez je fais ce que peux.

Ah et inutile de préciser qu'à ce stade, la distance entre la Terre et son satellite est inférieure à celle entre ce script et le concept de Beowulf. Mais rassurez-vous, il y a pire.

Kyra (Rhona Mitra) et Hunferth Roland (Götz Otto) et les gardes cool. Kyra porte une armure qui lui procure +10 en distraction. Roland a pour sa part choisi le col roulé.

 On finit également par découvrir que Grendel a une bonne raison de n'épargner que le roi. Dans le poème, c'est la fonction royale donnée par Dieu que même le monstre n'ose profaner. Ici, c'est plus personnel. "Pas toi" lui répond Grendel lorsque Hrothgar tente de l'affronter. Pourquoi ? Parce que Grendel est le fils de Hrothgar,  que celui-ci a eu avec la Mère de Grendel. Alors oui je sais ça a l'air dégueulasse comme ça, mais je rassure la grande majorité d'entre vous (quitte à en décevoir quelques autres), la Mère de Grendel n'apparaît pas sous la forme monstrueuse qui la décrit dans le poème, du moins, pas toujours. Elle sait prendre l'apparence d'une femme sexy et peu vêtue qui tient un rôle... vigoureux... dans les rêves mouillés de Horthgar au final du film, ne révélant sa forme dégueulasse (je parle ici de la qualité des effets numériques) qu'à la fin pour le boom boom.... enfin la bagarre quoi. Pas le... enfin, vous avez compris.

Tout ça place désormais le script et le concept original de Beowulf à une distance proche de celle qui nous sépare de Mars, environ. Attention, ce n'est pas une mauvaise idée en soit, ce démon tentateur dont le rejeton hante ce père, seigneur d'un royaume maudit pour sa transgression (qui a aussi coûté la vie de son épouse, fallait bien faire de la place pour la nouvelle maman). Mais ce n'est pas du tout l'histoire de Beowulf. (Zemeckis reprendra l'idée et s'en sortira un peu mieux) Alors oui, le héros finit par tuer Grendel en lui arrachant le bras et expose celui-ci aux murailles (pour faire lever le siège aux assaillants), mais ces petites touches esthétiques et superficielles ne suffisent pas à compenser le reste.

Grendel, moins fantomatique que la version de 98.

 Faire de Grendel et sa mère des démons qui hantent le château les arrache déjà à leur identité première d'esprits du terroir (en l’occurrence les tourbières), de même que de faire de la Mère de Grendel une entité aérienne (avec des ailes et tout), même si j'aime bien l'idée qu'elle a toujours été là, avant même l'établissement du fortin, et que Hrothgar la rencontra après qu'il conquit le fortin en question. Quant au triangle amoureux Beowulf - Kyra - Roland, voilà un ajout dont on se serait bien passé. D'autre changements sont relativement anecdotiques comparés à tout ça, comme faire mourir Hrothgar, ce qui n'est pas seulement con vis à vis du poème, mais vis à vis des règles instaurées par le film lui-même. Certaines choses sont intéressantes, comme montrer que les soldats sont épuisés et en état de siège, ce qui fonctionne bien avec le contexte du film, bien que là encore, dans le poème Hrothgar est déserté car les gens ne sont pas enfermé dans Heorot avec lui.

La Mère de Grendel. Disons qu'on est moins sur le poème Beowulf que sur The Long Swift Sword of Siegfried, si vous voyez c'que j'veux dire. L'actrice a d'ailleurs tourné dans une série érotique la même année où elle a joué dans Armageddon, un an avant ce Beowulf. Quelle carrière !

 
Sinon y a sa version cinématique de Playstation. C'est normal que ça pique. La Mère de Grendel a marché pour que le Roi Scorpion du Retour de la Momie puisse courir.
 

Finalement la Mère de Grendel se révèle avoir du sang inflammable et Beowulf la fait exploser (à ce stade je ne lève même plus un sourcil), détruisant tout Pas-Heorot. Tout le monde meurt sauf Beowulf et Kyra qui décida d'accompagner le demi-démon, en dépit de ses avertissements, et on oublie tout le dernier tiers de l'histoire avec le dragon, parce qu'on n'a pas le budget. Totalement comme dans le poème, donc. (Non.)

Conclusion

Je ne souhaite pas étirer cet article plus que nécessaire, même pour ricaner, car une fois ce postulat fait, il n'y a pas grand chose à dire de ce film en tant qu'adaptation. Il y a écrit "Beowulf" sur la jaquette du DVD, on lâche trois noms tirés de la source dans les dialogues, mais même des noms comme Hunferth ou Heorot, qui aurait très aisément pu s'y trouver, sont abandonnés, et je ne parle là que d'un petit effort superficiel qui aurait pu faire illusion, pas du scénario qui trahit la source dès qu'il ne l'occasion. Non, là, y avait rien à faire pour empêcher le naufrage. Niveau adaptation, j'insiste donc, on est donc sur du zéro effort. Ce n'est pas Beowulf mal raconté, non, ce n'est juste... pas Beowulf du tout.

D'un point de vue purement cinématographique, à part quelques costumes bien cool et deux trois plans débullés pour faire style "on fait un film de genre", c'est fauché et peu inspiré. Il y a des plans je peux quasiment voir la machine à fumée s'allumer puis s'éteindre à la lisière du hors champs. Et les effets spéciaux numériques sont d'un laid... ce qui est dommage car Grendel a une version "mec dans un costume" et qu'elle n'est pas trop mal... enfin toutes proportions gardées, hein, on est l'année de sortie de Matrix et La Momie, pour rappel. Mais c'est pas les mêmes budgets non plus.

Faut-il le voir ?

Avez-vous bien rigolé entre amis devant des nanars des années 90 ? Aimez-vous les scènes d'actions surjouées où l'on mélange combats à l'épée et Cirque du Soleil commandé sur Wish ? Pouffez-vous à l'écoute de dialogues de collégiens essayant désespérément d'être sombres et profonds ? Êtes-vous sensibles au rire de Christophe Lambert ? Mortal Kombat vous a-t-il fait rire par la nullité de ses CGI et de ses acteurs et de sa musique et de ses costumes et... ? Alors oui, Beowulf (1999) vaut le visionnage, avec des bières, des chips et des potes. Seulement a priori, si vous appréciez les nanars, vous l'avez déjà vu. Si ce type de visionnage ironique de mauvais films n'est pas votre tasse de thé, fuyez. Vite.

Mais s'il le faut, je ne suis pas comme ça. Cadeau : 


Le point Bande-Originale

Non, j'ai pas envie.

Bon, OK, elle est composée par Ben Watkins, à qui l'on doit également......


 Mortal Kombat et Mortal Kombat : Destruction Finale.

Voilà, haha, LOL, c'était facile. En vrai c'est apparemment une compilation de différents artistes. D'ailleurs le crédit du film c'est "Ben Watkins for Juno Reactor".

Je me dois donc de préciser que Watkins a fondé Juno Reactor pour collaborer avec d'autres artistes et que je ne suis moi-même pas mauvais client de Juno Reactor, que j'avais découvert grâce à leur collaboration avec Don Davis sur Matrix Reloaded et Matrix Revolutions. Autant dire que je suis plutôt amateur de leurs productions post années 2000 et moins de leurs, euh, chef d’œuvres des années 90. Disons-le comme ça.

Cependant, par acquis de conscience, la BO de Beowulf (1999), c'est (entre autres) ça :

 

Si c'est votre style, il y a toute la playlist sur Youtube pour vous faire plaisir.