Il y a huit ans déjà je visitais la Norvège pour la première fois, et par là même, brièvement Oslo, et malgré un plan de visites chargé, il restait un musée sur ma liste que je n'avais pas pu voir. Après ma tournée des pierres de Sigurd, l'été dernier, je savais que je devais y remédier, et vous allez vite comprendre pourquoi. Bref, il y a deux mois je suis retourné à Oslo et j'ai enfin visité le Musée national d'Histoire. Pourquoi ? Que s'y trouve-t-il qui mérite un pareil détour ? C'est très simple :
Sigurd.
(Quelle question)
Et pour être plus précis, Sigurd sculpté dans le bois de panneaux d'églises en bois debout. Si le concept ne vous dit rien, j'ai longuement parlé des églises en bois debout sur mon blog de voyage après ma première visite en Norvège. Pour faire simple c'est un type d'église en bois (Non?! Si.) qu'on retrouvait autrefois en Norvège et un peu en Suède, mais dont les dernières survivantes (on pourrait dire.... encore debout ! Haha, je suis hilarant, ce n'est pas discutable) sont toutes situées en Norvège.
En effet, remplacée par des constructions plus modernes, ou irrémédiablement endommagée par le temps et le manque d'entretien, la majeur partie a aujourd'hui disparu, parfois à moitié, ne laissant que des chapelles tronquées, mais plus souvent complètement. Et puis parfois il reste des bouts. Des fragments sauvegardés du néant pour leur importance artistiques, sculptés avec un art maîtrisé, généralement des panneaux des portails, quand le reste de l'édifice n'a pas eu ce privilège. Entrelacs, motifs floraux et animaliers, mais surtout figures religieuses, historiques et légendaires, voilà ce qui leur valut de passer à la postérité dans un musée.
Et parmi ces figures, il y en a plusieurs qui devraient vous être très familières : Sigurd, Regin, Gunnar, Högni, Atli, Grani... dans des mises en scène qui ne peuvent que rappeler les pierres de Sigurd ! Je vais donc présenter ces panneaux norvégiens, et les mettrait en parallèle avec les pierres suédoises.
Les pierres de Sigurd datent de la période Viking, et précèdent donc les églises dont proviennent les panneaux suivants de plusieurs siècles. Il n'a donc aucun doute : les gravures sur rochers et pierres dressées sont arrivées d'abord. Et parfois on pourrait se demander s'il elles n'ont pas servi d'inspiration. Cinq églises en bois debout représentant des éléments de la Völsunga Saga sont répertoriées, les panneaux de deux d'entre elles sont à Oslo : les églises de Hylestad et d'Austad.
Hylestad est la plus célèbre, et on comprend vite pourquoi : les sculptures sont bien mieux préservées, plus détaillées, et offrent de bien meilleurs profils que celles des panneaux d'Austad. Si vous avez des bouquins anglophones sur la saga des Völsungen, il y a des chances que vous ayez déjà vu certaines scénettes sur leurs couvertures (c'est par exemple le cas de mon édition de The Saga of the Völsungs chez Penguin Classics). Mais justement, gardons le meilleur pour la fin et commençons par Austad, qui mérite tout de même qu'on s'attarde dessus !

Les panneaux datent du XIIIè siècle environ, ce qui signifie qu'on a sculpté ces scènes en même temps que les clercs mettaient ces légendes sur vélin, aussi bien dans la Saint Empire pour la tradition continentale qu'en Scandinavie (Norvège, Islande). Ce n'est pas une mode provoqué par la diffusion lente et progressive des manuscrits, c'est une culture populaire extrêmement vivace qui a perduré depuis au moins la période Viking. C'est un témoignage de l'importance de ces histoires pour les peuples germaniques, et leur prégnance dans leur imaginaire populaire, malgré la conversion au christianisme et le gavage par les élites lettrées d'un nouvel imaginaire, biblique celui-ci. Les deux cohabitent d'ailleurs, comme en témoigne la présence du héros Sigurd, descendant d'Odin inhumé sur un bûcher, en roi païen, sur des portails d'églises, deux siècle après la conversation de la Norvège.
Mais revenons au panneau d'Austad. On peut y voir Gunnar, mains liés dans la fosse au serpents, charmant les reptiles en jouant de la lyre avec ses pieds, tandis qu'Atli le domine pour exiger d'obtenir l'emplacement du trésor, tandis qu'à côté Högni se fait arracher le cœur sans non plus révéler l'emplacement de l'or à jamais perdu. C'est une version plus détaillées de la scène déjà représentée sur la pierre de l'église de Västerljung, où Gunnar jouant déjà de son instrument comme un avec ses pieds, même si le lichen dû à l'exposition de cette face de la pierre, orientée plein vent et pleine pluie, avait rendu l'identification de la scène difficile pour mes yeux de noob. Ici, nous avons la mort des deux burgondes refusant de dévoiler leur secret et respectant leur serment l'un envers l'autre. Atli semble associé à une horrible tête d'ogre monstrueuse qui le surmonte, ce qui correspond bien à la manière peu flatteuse dont il était perçu dans la tradition scandinave, contrairement à son équivalent Etzel dans la tradition continentale.
D'ailleurs, une figure féminine est également présente, tenant un genre de récipient, et même si le musée ne s'aventure pas en conjecture, on peut supposer qu'il s'agit de Gudrun, mais rien n'est moins sûr. Sa présence auprès d'un Högni mis à mort, tenant le plat qui recueillera probablement le cœur, aurait énormément plus de sens dans la tradition continentale, où Etzel, au-delà de vouloir obtenir le trésor, permet à Kriemhilde d'obtenir sa vengeance contre Hagen pour le meurtre de Siegfried. Une influence de la tradition continentale via la Thidrekssaga norvégienne, peut-être ? Ou peut-être ne s'agit-il donc que d'une servante, mais cela paraît curieux de figurer une no-name au milieu des stars de la saga... mais d'un autre côté, le bourreau n'est pas non plus un personnage très importante. Bref, on ne sait pas, mais perso je pense qu'il s'agit de Gudrun.
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Gunnar supplicié dans la fosse aux serpents joue de la lyre avec ses pieds. |
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"La preuve que même Högni a un cœur." |
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Détails des entrelacs. |
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Détail de l'opération à cœur ouvert. |
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Détail des orteils pinçant les cordes de la lyre, avec une très belle tête de serpent également. |
Bon, ça, c'était les amuse-bouche, là on va passer au plat principal : les panneaux de Hylestad. Datant de la fin du XIIIè, début du XIVè siècle, l'église a été démolie au XVIIè mais les sculptures exceptionnelles ont été préservées. Comme on va le voir, les scénettes représentées fonctionnent un peu comme une BD racontant l'histoire simplifiée de la Völsunga Saga.
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Sigurd assiste Regin tandis qu'il reforge l'épée brisée des Völsungs, Gram. |
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Sigurd trucide le dragon Fafnir en l'empalant de l'épée Gram, par-dessous. |
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Sigurd se brûle le pouce en rôtissant le cœur de Fafnir et comprend le
langage des oiseaux qui l'avertissent de la trahison imminente de Regin depuis les branchages. |
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En haut : Grosse éllipse puisqu'ici on a Gunnar dans la fosse aux serpents (oui ça se lit de bas en haut en fait) refusant de révéler l'emplacement du trésor qu'il a obtenu en faisant/laissant assassiner Sigurd. Au milieu : Sigurd assassine Regin avant que celui-ci ne le trahisse. En bas : Grani, le cheval de Sigurd, porte le trésor sur son dos. |
Alors voici quelques photos d'un peu plus près, mais comprenez qu'au téléphone, sans avoir droit au flash, et avec les alarmes de proximité du musée qui empêchaient de se rapprocher de très près du panneau, bah la qualité est un peu pourrave. Pour le dire gentiment. Si vous voulez les voir en HD, allez à Oslo. Je vais y associer des images des pierres de Sigurd afin que vous puissiez comparer la proximité (malgré les siècles d'écart) mais aussi l'énorme différence de style. Il y a une filiation certaine, et il est extrêmement satisfaisant pour moi d'avoir pu le ressentir en personne. J'espère parvenir à vous transmettre de ne serait-ce qu'un soupçon de mon excitation en partageant ces visites. Mais assez divagué, allons-y pour les détails :
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Sur la pierre de Ramsund, le corps décapité de Regin est identifié par ses outils de forgeron : pinces, marteau, enclume, soufflet. Tous sont également présent dans le panneau de Hylestad. |
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La même scène sur la pierre de Ramsund. On sent que c'est plus facile à sculpter dans le bois qu'à graver dans la pierre. Juste un peu. |
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La version de la pierre de Gök, inspirée de celle de Rasmund. |
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La version sur la pierre de Drävle. |
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Matez-moi ce détail des cheveux et barbe de Regin ! |
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La pierre de Ramsund (encore). Notez que, casque mis à part, les deux Sigurd semblent avoir la même coupe de cheveux. |
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Perso j'apprécie que les rênes de Grani soit décorées de petites boucles, car ça colle avec la description de du Tháttr de Norna Gest, auquel Sigurd offre un fragment de ces boucles dorées lorsque Grani les rompt pour se dégager de la boue dans laquelle il s'enlise. Ce fragment permet à Gest de gagner un pari qui lance l'intrigue. |
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Si l'interprétation de ce détail de la pierre de Rasmund comme "Grani
porte le trésor sur son dos" vous paraissait tirée par le cheveux, la
sculpture de Hylestad nous éclaire tout même beaucoup. Notez qu'ici déjà, les oiseaux dans les branchages sont très proches de Grani portant le trésor, quasiment dans la même scénette. |
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Pas sûr que ça soit suffisant pour vous aider à le voir sur la pierre de Gök, cela dit... Sur place, de mes propres yeux, c'était déjà pas évident, mais à prendre en photo de manière à ce qu'on voit un minimum, c'était l'enfer. |
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Détail des oiseaux sur la pierre de Gök. |
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Pas de décapitation comme sur les pierres de Sigurd ! Mais du gore, ça spritz ! |
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Il est intéressant de noter que la torture de Gunnar, et même de Högni, ait pris autant d'importance dans la représentation visuelle de la saga, là où les gravures sur pierre sont clairement plus orientées sur l'exploit de Sigurd. |
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Il y a tout de même la pierre de l'église de Västerljung et sa version de Gunnar charmant les serpents, poings liés, en jouant de la lyre avec ses pieds. Un baptistère du XIIè siècle représentant cette scène existe également, mais je n'ai pas encore eu l'opportunité de l'observer en personne (parce que le musée était fermé précisément le jour ou j'ai pu me promener à Stockholm cet été. C'était bien frustrant après avoir réussi à voir les quatre pierres dans la pampa et manquer celle en principe la plus accessible. Mais bon, c'est la vie). |
Voilà pour cette visite à Oslo afin de retrouver ce bon vieux Sigurd ! Je suis tellement ravi d'avoir enfin pu me promener dans ce musée et voir ces panneaux légendaires (dans tous les sens du terme). Sur ce, je retourne à mon manuscrit, j'ai du pain sur la planche (ou beaucoup de fer dans le feu, comme on dit ici).
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