jeudi 29 mai 2025

L'héritage des pierres de Sigurd est sculpté dans le bois

Il y a huit ans déjà je visitais la Norvège pour la première fois, et par là même, brièvement Oslo, et malgré un plan de visites chargé, il restait un musée sur ma liste que je n'avais pas pu voir. Après ma tournée des pierres de Sigurd, l'été dernier, je savais que je devais y remédier, et vous allez vite comprendre pourquoi. Bref, il y a deux mois je suis retourné à Oslo et j'ai enfin visité le Musée national d'Histoire. Pourquoi ? Que s'y trouve-t-il qui mérite un pareil détour ? C'est très simple : 

Sigurd.

(Quelle question)

Et pour être plus précis, Sigurd sculpté dans le bois de panneaux d'églises en bois debout. Si le concept ne vous dit rien, j'ai longuement parlé des églises en bois debout sur mon blog de voyage après ma première visite en Norvège. Pour faire simple c'est un type d'église en bois (Non?! Si.) qu'on retrouvait autrefois en Norvège et un peu en Suède, mais dont les dernières survivantes (on pourrait dire.... encore debout ! Haha, je suis hilarant, ce n'est pas discutable) sont toutes situées en Norvège. 

En effet, remplacée par des constructions plus modernes, ou irrémédiablement endommagée par le temps et le manque d'entretien, la majeur partie a aujourd'hui disparu, parfois à moitié, ne laissant que des chapelles tronquées, mais plus souvent complètement. Et puis parfois il reste des bouts. Des fragments sauvegardés du néant pour leur importance artistiques, sculptés avec un art maîtrisé, généralement des panneaux des portails, quand le reste de l'édifice n'a pas eu ce privilège. Entrelacs, motifs floraux et animaliers, mais surtout figures religieuses, historiques et légendaires, voilà ce qui leur valut de passer à la postérité dans un musée. 

Et parmi ces figures, il y en a plusieurs qui devraient vous être très familières : Sigurd, Regin, Gunnar, Högni, Atli, Grani... dans des mises en scène qui ne peuvent que rappeler les pierres de Sigurd ! Je vais donc présenter ces panneaux norvégiens, et les mettrait en parallèle avec les pierres suédoises.

Les pierres de Sigurd datent de la période Viking, et précèdent donc les églises dont proviennent les panneaux suivants de plusieurs siècles. Il n'a donc aucun doute : les gravures sur rochers et pierres dressées sont arrivées d'abord. Et parfois on pourrait se demander s'il elles n'ont pas servi d'inspiration. Cinq églises en bois debout représentant des éléments de la Völsunga Saga sont répertoriées, les panneaux de deux d'entre elles sont à Oslo : les églises de Hylestad et d'Austad.

Hylestad est la plus célèbre, et on comprend vite pourquoi : les sculptures sont bien mieux préservées, plus détaillées, et offrent de bien meilleurs profils que celles des panneaux d'Austad. Si vous avez des bouquins anglophones sur la saga des Völsungen, il y a des chances que vous ayez déjà vu certaines scénettes sur leurs couvertures (c'est par exemple le cas de mon édition de The Saga of the Völsungs chez Penguin Classics). Mais justement, gardons le meilleur pour la fin et commençons par Austad, qui mérite tout de même qu'on s'attarde dessus !

 

Les panneaux datent du XIIIè siècle environ, ce qui signifie qu'on a sculpté ces scènes en même temps que les clercs mettaient ces légendes sur vélin, aussi bien dans la Saint Empire pour la tradition continentale qu'en Scandinavie (Norvège, Islande). Ce n'est pas une mode provoqué par la diffusion lente et progressive des manuscrits, c'est une culture populaire extrêmement vivace qui a perduré depuis au moins la période Viking. C'est un témoignage de l'importance de ces histoires pour les peuples germaniques, et leur prégnance dans leur imaginaire populaire, malgré la conversion au christianisme et le gavage par les élites lettrées d'un nouvel imaginaire, biblique celui-ci. Les deux cohabitent d'ailleurs, comme en témoigne la présence du héros Sigurd, descendant d'Odin inhumé sur un bûcher, en roi païen, sur des portails d'églises, deux siècle après la conversation de la Norvège.

Mais revenons au panneau d'Austad. On peut y voir Gunnar, mains liés dans la fosse au serpents, charmant les reptiles en jouant de la lyre avec ses pieds, tandis qu'Atli le domine pour exiger d'obtenir l'emplacement du trésor, tandis qu'à côté Högni se fait arracher le cœur sans non plus révéler l'emplacement de l'or à jamais perdu. C'est une version plus détaillées de la scène déjà représentée sur la pierre de l'église de Västerljung, où Gunnar jouant déjà de son instrument comme un avec ses pieds, même si le lichen dû à l'exposition de cette face de la pierre, orientée plein vent et pleine pluie, avait rendu l'identification de la scène difficile pour mes yeux de noob. Ici, nous avons la mort des deux burgondes refusant de dévoiler leur secret et respectant leur serment l'un envers l'autre. Atli semble associé à une horrible tête d'ogre monstrueuse qui le surmonte, ce qui correspond bien à la manière peu flatteuse dont il était perçu dans la tradition scandinave, contrairement à son équivalent Etzel dans la tradition continentale.

D'ailleurs, une figure féminine est également présente, tenant un genre de récipient, et même si le musée ne s'aventure pas en conjecture, on peut supposer qu'il s'agit de Gudrun, mais rien n'est moins sûr. Sa présence auprès d'un Högni mis à mort, tenant le plat qui recueillera probablement le cœur, aurait énormément plus de sens dans la tradition continentale, où Etzel, au-delà de vouloir obtenir le trésor, permet à Kriemhilde d'obtenir sa vengeance contre Hagen pour le meurtre de Siegfried. Une influence de la tradition continentale via la Thidrekssaga norvégienne, peut-être ? Ou peut-être ne s'agit-il donc que d'une servante, mais cela paraît curieux de figurer une no-name au milieu des stars de la saga... mais d'un autre côté, le bourreau n'est pas non plus un personnage très importante. Bref, on ne sait pas, mais perso je pense qu'il s'agit de Gudrun.

Gunnar supplicié dans la fosse aux serpents joue de la lyre avec ses pieds.

"La preuve que même Högni a un cœur."

Détails des entrelacs.



Détail de l'opération à cœur ouvert.

Détail des orteils pinçant les cordes de la lyre, avec une très belle tête de serpent également.

Bon, ça, c'était les amuse-bouche, là on va passer au plat principal :  les panneaux de Hylestad. Datant de la fin du XIIIè, début du XIVè siècle, l'église a été démolie au XVIIè mais les sculptures exceptionnelles ont été préservées. Comme on va le voir, les scénettes représentées fonctionnent un peu comme une BD racontant l'histoire simplifiée de la Völsunga Saga.

Sigurd assiste Regin tandis qu'il reforge l'épée brisée des Völsungs, Gram.

Sigurd trucide le dragon Fafnir en l'empalant de l'épée Gram, par-dessous.
 
Sigurd se brûle le pouce en rôtissant le cœur de Fafnir et comprend le langage des oiseaux qui l'avertissent de la trahison imminente de Regin depuis les branchages.
 
En haut : Grosse éllipse puisqu'ici on a Gunnar dans la fosse aux serpents (oui ça se lit de bas en haut en fait) refusant de révéler l'emplacement du trésor qu'il a obtenu en faisant/laissant assassiner Sigurd. Au milieu : Sigurd assassine Regin avant que celui-ci ne le trahisse. En bas : Grani, le cheval de Sigurd, porte le trésor sur son dos.

Alors voici quelques photos d'un peu plus près, mais comprenez qu'au téléphone, sans avoir droit au flash, et avec les alarmes de proximité du musée qui empêchaient de se rapprocher de très près du panneau, bah la qualité est un peu pourrave. Pour le dire gentiment. Si vous voulez les voir en HD, allez à Oslo. Je vais y associer des images des pierres de Sigurd afin que vous puissiez comparer la proximité (malgré les siècles d'écart) mais aussi l'énorme différence de style. Il y a une filiation certaine, et il est extrêmement satisfaisant pour moi d'avoir pu le ressentir en personne. J'espère parvenir à vous transmettre de ne serait-ce qu'un soupçon de mon excitation en partageant ces visites. Mais assez divagué, allons-y pour les détails :

 
 
Sur la pierre de Ramsund, le corps décapité de Regin est identifié par ses outils de forgeron : pinces, marteau, enclume, soufflet. Tous sont également présent dans le panneau de Hylestad.
 
   


La même scène sur la pierre de Ramsund. On sent que c'est plus facile à sculpter dans le bois qu'à graver dans la pierre. Juste un peu.

La version de la pierre de Gök, inspirée de celle de Rasmund.

La version sur la pierre de Drävle.

Matez-moi ce détail des cheveux et barbe de Regin !

La pierre de Ramsund (encore). Notez que, casque mis à part, les deux Sigurd semblent avoir la même coupe de cheveux.

Perso j'apprécie que les rênes de Grani soit décorées de petites boucles, car ça colle avec la description de du Tháttr de Norna Gest, auquel Sigurd offre un fragment de ces boucles dorées lorsque Grani les rompt pour se dégager de la boue dans laquelle il s'enlise. Ce fragment permet à Gest de gagner un pari qui lance l'intrigue.

Si l'interprétation de ce détail de la pierre de Rasmund comme "Grani porte le trésor sur son dos" vous paraissait tirée par le cheveux, la sculpture de Hylestad nous éclaire tout même beaucoup. Notez qu'ici déjà, les oiseaux dans les branchages sont très proches de Grani portant le trésor, quasiment dans la même scénette.

Pas sûr que ça soit suffisant pour vous aider à le voir sur la pierre de Gök, cela dit... Sur place, de mes propres yeux, c'était déjà pas évident, mais à prendre en photo de manière à ce qu'on voit un minimum, c'était l'enfer.

Détail des oiseaux sur la pierre de Gök.

Pas de décapitation comme sur les pierres de Sigurd ! Mais du gore, ça spritz !

Il est intéressant de noter que la torture de Gunnar, et même de Högni, ait pris autant d'importance dans la représentation visuelle de la saga, là où les gravures sur pierre sont clairement plus orientées sur l'exploit de Sigurd.
Il y a tout de même la pierre de l'église de Västerljung et sa version de Gunnar charmant les serpents, poings liés, en jouant de la lyre avec ses pieds. Un baptistère du XIIè siècle représentant cette scène existe également, mais je n'ai pas encore eu l'opportunité de l'observer en personne (parce que le musée était fermé précisément le jour ou j'ai pu me promener à Stockholm cet été. C'était bien frustrant après avoir réussi à voir les quatre pierres dans la pampa et manquer celle en principe la plus accessible. Mais bon, c'est la vie).

Voilà pour cette visite à Oslo afin de retrouver ce bon vieux Sigurd ! Je suis tellement ravi d'avoir enfin pu me promener dans ce musée et voir ces panneaux légendaires (dans tous les sens du terme). Sur ce, je retourne à mon manuscrit, j'ai du pain sur la planche (ou beaucoup de fer dans le feu, comme on dit ici).

vendredi 16 mai 2025

On n'échappe pas à la Règle 34 : The Long Swift Sword of Siegfried (1971)

Si quelque chose existe, il y en a fatalement une version porno. C'est la Règle 34 d'Internet, et si vous avez lu mes articles sur les adaptations des Nibelungen au cinéma, vous savez déjà qu'en 1971 sortait la version érotique sans laquelle le tableau ne serait apparemment pas complet. Cinq ans seulement après le remake des films de Lang par Harald Reinl, le public se rua en salles (non) pour Siegfried und das sagenhafte Liebesleben der Nibelungen (soit Siegfried et la légendaire vie amoureuse des Nibelungen), ou Voluptés Nordiques en français, ou encore The Lustful Barbarian, mais le meilleur titre reste The Long Swift Sword of Siegfried. Subtil.

ACHTUNG : Cet article contient quelques images de seins nus mais surtout beaucoup trop de vannes et jeux de mots pourris dans le thème. Désolé, mais il fallait bien rendre ça un peu marrant à écrire, sinon quel calvaire.

Pochette totalement mensongère non contractuelle. Le film ne contient aucun des ces costumes, aucun château ressemblant à celui-ci, ah et détail de rien du tout : AUCUN DRAGON. Siegfried n'est pas non plus interprété par Tom Selleck. Ça sent l'IA cheapos pour élargir les marges de profit du bluray.

Version adulte, dites-vous, c'est à dire ? Porno ? Érotisme ? Touche-pipi ? Chiantise.

Alors à la base je ne pensais pas en faire un article à part, juste mentionner quelques références dans les autres billets, mais ce serait dommage de ne pas faire montre de vigueur rigueur et de compléter ce dossier. Aussi vais-je traiter du film avec le même sérieux (non), après tout, je me suis farci la "comédie" avec le cochon, je peux bien traiter de la "comédie" avec les nichons. 

Oui parce qu'il se trouve que ce film est censé être une "comédie érotique". Calmez toutefois vos ardeurs, car vous ne vous poilerez pas souvent (et quand ça arrivera, vous rirez du film, et non avec lui), quant à l'érotisme, bon... si vous avez déjà vu Rome ou Game of Thrones, ça vous en touchera une sans faire bouger l'autre. Oui, on voit plein de paires de nibards et de fesses, et occasionnellement une touffe, mais franchement, en 2025, on est limite blasé par tellement de films et de séries qui le font, et moins m'as-tu vu en plus. J'ai vu plus de pénis en frontal dans des séries récentes a priori pas érotiques que dans Voluptés Nordiques. On vous vend Chibre et Dragon, vous n'aurez ni l'un ni l'autre 

Tout comme on avait remarqué l'évolution des mœurs vis à vis de la représentation du sang, notamment le bain de sang de dragon par Siegfried, à travers les décennies, il est frappant de voir ce qui passait pour osé en 1971, et qui aujourd'hui est le minimum syndical pour maintenir l'attention du spectateur masculin de base sur HBO.

Donc voilà, je vais sans doute abuser d'un certain champ lexical pour varier un peu dans cette chronique, ce qui pourrait laisser entendre qu'on trouve dans ce film de l'action croustillante à ne pas mettre entre toutes les mains, mais sachez qu'en vrai, ce qu'on voit à l'écran est très, très soft, et je ne dis pas ça uniquement car il n'y a aucune érection, mais parce qu'en vrai, on se fait carrément chier. On est souvent embarrassés aussi, comme devant un ado vulgaire qui croit choquer, alors que pas du tout. Ce n'est même pas un nanar, hélas.

Le seul plan classe de tout le film, à partir de maintenant, accrochez vos ceintures (ou ouvrez-les, hein, mais croyez-moi, ça n'en vaut pas la peine), parce que ça ca vite partir en couille.

Derrière le LOL, une authentique adaptation, même si c'est dur à avaler

De toute façon, mes chroniques n'ont pas vocation à se focaliser sur le cul, malgré les efforts de Hagen - Im Tal der Nibelungen, qui bien qu'il n'offre que quelques courtes scènes seulement, est plus "réaliste" que l'intégralité de ce qu'on voit dans le film de 71. Non, moi, je m'intéresse au rapport aux sources des adaptations, notamment le Nibelungenlied, et étonnamment, on aurait pu croire que la version film de boules n'en aurait strictement rien à foutre carrer faire et serait complètement dénudé dénué de liens avec les sources, or que nenni ! Croyez-le ou non, cette version a plus de rapport avec le Nibelungenlied que la version ignoble avec ce cochon à la noix ! (Oui, plus le temps passe, et plus elle me gonfle la comédie de 2005). J'en suis le premier surpris, et je sens bien que vous êtes sceptiques. Alors allons-y pour une petite analyse comparative, comme pour les autres, il n'y a pas de raison.

Le casting, en profondeur

"General Kenobi ! You are a balled one."

Siegfried, le héros titulaire avec sa longue épée turgescente, est interprété par Raimund Harmstorf dans un de ses tout premiers rôles. Il fera une carrière remarquable pour des rôles autrement plus valorisants, notamment dans Der Seewolf (Le Loup des Mers) qui en fait un acteur reconnu en Allemagne, et lui évitera de s'enfermer dans les films d'exploitation pourris comme celui dont nous parlons aujourd'hui. On le verra ainsi dans Croc-Blanc, Michel Strogoff, ou des séries cultes comme Derrick, Tatort ou La clinique de la Forêt-Noire. Lorsqu'il développera des signes de Parkinson, il sera harcelé par la presse people, au point qu'il se pendra dans son grenier à 58 ans. Voilà. Ah tout de suite ça donne moins envie de se marrer, hein ? Mais ce que je retiens de ce parcours, c'est qu'on peut tourner un Voluptés Nordiques fauché pour se faire connaître et mettre du pain sur la table, puis avoir une carrière respectable et respectée. Le démarrage ne détermine pas le parcours. Merci pour ce rappel salutaire, Raimund.

En vrai ça s'applique aussi à l'actrice qui "joue" Kriemhilde (ça veut dire se ballader les seins à l'air en permanence, la mode Burgonde à en juger par l'acoutrement de toutes les femmes du royaume), à savoir Sybil Danning, qui aura une carrière riche d'actrice et productrice. On la verra par exemple dans une autre, euh, vague "adaptation" légendaire, le Hercule dans l'espace en 1983, les Trois Mousquetaires avec Jean-Pierre Cassel et Cristopher Lee (y a du niveau, là ou pas ?), ou encore les séries V et l'Homme qui tombe à pic. Elle est même plus récemment dans Grindhouse et dans le Halloween de 2007 ! (bon pas mal de daubes et de films d'exploitation aussi, soyons honnêtes).

La coupe de cheveux de Kriemhilde m'a fait rire, pas sûr que ce soit voulu.

Bon, ça s'applique moins à Heidi Bohlen, l'actrice qui incarne Brunhilde, qui a surtout participé à ce genre de production, mais il se trouve qu'elle joue son dernier rôle dans... Les bidasses s'en vont en guerre, comédie potache des Charlots, réalisée en 1974 par Claude Zidi. Voilà, faites ce que vous voulez de cette info. Après, je ne casserais pas l'ambiance une seconde fois : elle a juste mis fin à sa carrière d'actrice, pas à sa vie. Et sans méchanceté, c'était probablement mieux pour tout le monde.

Brunhilde, digne. Profitez-en, ça ne durera pas.

La plupart du casting a eu une carrière essentiellement dans les séries télé allemandes, tandis que Fred Coplan (Hagen), lui, finit dans l'exploitation une carrière commencée dans le Western et les films de mafia. Tout ça pour dire que la plupart des gens à l'écran ne sont pas du tout des acteurs porno ou très fermement dans le monde de l'exploitation érotique, et ça en dit long sur les intentions du film : être érotisant, mais guère plus. Rendez-vous compte, 80% des scènes de galipettes, Siegfried garde son slibard ! Même les pubis des actrices sont le plus souvent pudiquement couverts d'un drap ou d'un vêtement. Niveau "adulte" c'est donc très léger. En revanche, le film veut vraiment être une adaptation des sources, certes drôle et sexy, pour un public averti lassé du gnangan associé (à tort) aux Nibelungen, mais sincère tout de même, et je pense que c'est pour ça qu'on a choisi de véritables acteurs : il y a parfois de longs dialogues, y compris beaucoup d'exposition et du contexte tiré des sources, quelque chose dont un pur film de cul, comme je l'ai dit, se serait royalement dispensé.

Alors après ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, ça, ce sont les intentions. L'exécution, malheureusement, c'est une autre paire de manches. Car en parlant de manches, si on n'en voit guère devant la caméra, c'est peut-être qu'il faut les chercher derrière.

L'intrigue (on ne rie pas)

Je vous rassure, Kriemhilde n'appelle pas Siegfried pour réparer le lavoir, ni parce qu'elle est coincée dedans. Tout commence à la cour de Worms où le roi Gunther apprend que Siegfried est en chemin pour rencontrer sa sœur, la princesse Kriemhilde. Hagen lui conseille d'éviter mais bon, les Burgondes sortent juste de leur campagne contre les Saxons et Siegfried les a sorti de la panade. Sans déconner, on n'est bien, là ? La campagne contre les Saxons, même simplement mentionnée, c'est déjà mieux que Fritz Lang ! (hihi, ça pique hein) Bon, il y a Siegfried qui s'introduit en troussant une paysanne dans une grange, mais sinon c'est fidèle. Ah, et il culbute la demoiselle, goguenard, sur fond de chevauchée des valkyries de Wagner. Vous voyez, une comédie ! LOL ! Siegfried arrive explicitement de Xanten, en compagnie de son fidèle valais Hansel quiATTENDEZ QUOI ? OK, on invente un personnage dès l'intro, très bien, mais... Hansel ? Vous n'avez rien trouvé de mieux ? (cela dit, vous me direz, le Siegfried de 2005 nous a bien sorti Anita, Uschi et Giuseppe,  alors bon, Hansel...) Et comme c'est une comédie, il est gros (ça servira pour faire des blagues), mais il aura un autre rôle plus tard, donc ça va, il n'est pas là que pour être le dindon de la fesse farce. 

Bref à Worms ça discute de l'arrivée du héros et Hagen doute qu'il s'agisse vraiment de Siegfried. Au-delà de la ressemblance physique des deux acteurs, Hagen est représenté exactement comme dans le remake de 66, avec une mèche de cheveux en guise de cache-œil, la référence est évidente. 

Cette armure d'écailles dégueulasse, mes dieux quelle horreur, on croirait Les Anneaux de Pouvoir.

Le messager révèle qu'il a vu de ses yeux le héros ouvrir un rocher en deux avec son épée, ce qui ressemble carrément à une référence à l'enclume fendue en deux pour tester l'épée dans les sources, mais c'est peut-être trop généreux. En revanche, Hagen confirme que seule Balmung aurait pu accomplir cet exploit et confirme donc qu'il s'agit de Siegfried, en nommant son épée légendaire. Sérieux, on a nommé Balmung dans la version boulard ! Gunther explique au spectateur que c'est Siegfried qui a défait le roi de Saxonie, sauvant les Burgondes d'une guerre avec les Danois... mais avant de les connaître, donc? La chronologie est sens dessus dessous, mais hé, au moins c'est mentionné et correct !

Hagen encourage son roi à ne pas recevoir Siegfried dont il doute des intentions pacifiques, rappelant avec Gernot et Giselher (oui car les deux princes sont là aussi) qu'il a battu le roi Alberich pour lui piquer son trésor et tué le dragon cracheur de feu "comme chacun sait". On coche presque toutes les cases ! Et on traite l'incident du dragon hors champs, a posteriori, comme une anecdote racontée à la cour de Worms, plutôt que d'en faire une scène d'action... exactement comme dans le Nibelungenlied ! Par pur souci de fidélité au matériau poétique, j'en suis sûr, et aucunement pour des raisons purement budgétaires. Après, si Siegfried devait défaire un dragon façon film de cul, il finirait comme l'âne de Shrek, alors c'est peut-être mieux qu'on ne le mentionne que juste en passant. Et oui, comme je vous le disais, les représentations d'un dragon sur certaines affiches sont 100% mensongères, aucun dragon dans le film, putasserie sans gêne ! Mais je dis verge, reprenons.

Hagen organise une embuscade, juste pour être sûr, mais Siegfried s'en sort en... livrant en pâture des soldats la paysanne qu'il vient de trousser. En plus de faire de Siegfried un abominable connard, ce n'est pas dans les sources, si jamais vous vous posiez la question. Mais bon, tout le monde se marre alors tout va bien...

En revanche, lorsqu'il arrive à la cour de Gunther, Siegfried se plaint de cette attaque et provoque le roi en duel, royaume contre royaume et... ça aussi c'est directement tiré du poème, un élément que peu d'adaptations conservent. Encore une fois, le porno bat Fritz Lang ! Je vous laisse un moment pour encaisser le choc. Bon on enchaîne sur Siegfried qui se tape à peu près toutes les servantes de Kriemhilde, en groupe évidemment, car vous comprenez, c'est un vrai homme tellement viril. Cela dit, Kriemhilde elle-même n'est pas insensible à son charme et lors d'un banquet les deux se rapprochent. 

Hagen offre son propre verre à Siegfried pour faire la paix, et le héros s'apprête à accepter, mais Hansel s'empare de la chope, la vide, puis remplit à nouveau en expliquant que Segfried a été empoisonné une fois par le passé et que lui, Hansel, a toujours goûté ses coupes depuis. Outre montrer que le valais numero uno est généralement l'échanson, un élément turbonibelungen que les autres adaptations délaissent complètement, on a peut-être une référence à Sinfjötli, le demi-frère de Sigurd dans la tradition scandinave, empoisonné par sa belle-mère grâce à une corne de bière mortelle... ou bien c'est un coup de bol. En revanche, Hagen n'essaye jamais d'empoisonner Siegfried dans les sources, à moins que ce soit ici une référence à la potion d'oubli (inutile et absente dans ce scenario) ? Je réfléchis trop. Oh, des nibards !

Vise le gros paquet (de références)

Siegfried demande la main de Kriemhilde à Gunther, qui accepte à condition que le héros de Xanten lui prête assistance dans sa conquête de Brunhilde, dans les épreuves que celle-ci impose à ses soupirants, en Islande. Là encore, on suit le poème de près. D'ailleurs, Siegfried l'assistera grâce à sa cape folette, enfin il disent cape mais c'est de nouveau un filet à mettre sur la tête, ici un genre de napperon ridicule - mais cet effet est probablement voulu cette fois. Il y a même l'épreuve du mur de flammes à traverser à cheval tiré de la tradition scandinave ! Malheureusement, c'est un gadget qui s'insère mal dans cette intrigue et plutôt que d'avoir Siegfried "remplacer" Gunther afin que le cheval ose passer à travers les flammes, on a juste Siegfried assis derrière Gunther dès le début, y compris lorsque la monture refuse de traverser... bref ça ne fonctionne pas vraiment mais hé ! C'est inclus ! Un point pour l'effort.

La véritable épreuve imposée par Brunhilde c'est évidemment une partie de jambes en l'air - oh bah ça alors, je tombe des nues - mais Gunther est un très mauvais coup, grimaces à l'appui (déjà durant une orgie un peu plus tôt on a vu que pour les deux tacherons génies derrière la caméra, Adrian Hoven et David F. Friedman, c'est très rigolo de mélanger scènes de sexe mal simulé, grimaces en gros plan et angles de caméras débulés dignes des débuts de carrière de Peter Jackson, #humour). Cuisant échec pour Gunther qui finit saucissonné et suspendu, humiliation totale... séquence tirée des sources. Normalement cela a lieu durant sa nuit de noces mais bon, on a compris que la chronologie n'était pas le point fort du film. Heureusement pour le seigneur de Worms, notre héros, invisible par la cape folette et plongé dans l'obscurité, va la culbuter bien comme il faut, c'est à dire assez pour qu'elle soit satisfaite, pendant que Gunther lui parle pour faire illusion en mode "Alors, c'est bon là ? T'en as assez ?". Sachant que ça adapte la scène du viol de Brunhilde, c'est vraiment gênant. Cela dit ici, il est clair qu'elle est censé consentir à ce qui se passe et y trouver du plaisir, mais disons qu'il m'est difficile de faire abstraction. Ah et je rappelle qu'elle consent à Gunther, pas à Siegfried, elle est donc bien violée sans le savoir, du moins, sur le moment. Et c'est RiGoLo hein ?? 

Mais en vrai, les bougies soufflées pour ne rien voir, Siegfried sous la cape plutôt qu'une métamorphose grâce à un Tarnhelm, et Gunther qui parle à côté pour parfaire l'illusion, voilà qui est plus fidèle au poème que ce qu'on a vu dans d'autres adaptations. En plus, malgré les changements, on conserve une trahison de Gunther et Siegfried vis à vis de Brunhilde pour la convaincre d'épouser Gunther par la ruse. Donc l'esprit de la scène est plus ou moins respecté. À ce stade je suis confus, je ne sais plus quoi penser... le film prend son sujet... au sérieux ?

D'ailleurs on enchaîne sur le double mariage Gunther/Brunhilde et Siegfried/Kriemhilde, et croyez-le ou non, on mentionne le rêve prémonitoire de Kriemhilde du faucon attaqué par deux aigles ! Turbonibelugen une fois de plus ! Mais attendez, c'est pas fini ! Brunhilde étant insatisfaite de son mariage (on la comprend), Gunther organise un tournoi. Sérieusement, si on faisait un bingo des éléments d'intrigues adaptés, cette version érotique n'aurait pas à rougir devant ses confrères. En revanche, il est intéressant de noter que même durant le tournoi en extérieur, toutes les femmes ont les seins à l'air, non, attendez, je voulais dire qu'il était intéressant de noter que l'élément déclencheur de la querelle des reines est désormais extérieur : c'est Hansel, un peu ivre, qui laisse échapper la vérité sur ce qui s'est vraiment passé cette fameuse nuit (plutôt que la découverte de l'anneau et de la ceinture). Je ne suis pas certain que ça change grand chose, mais ça donne encore plus d'importance à Hansel qui est désormais pleinement utile à la progression de l'intrigue.

J'en profite pour mentionner les décors et les costumes. On a de vrais chevaux, de vrais châteaux, en extérieur comme en intérieur. Super, non ? Oui, sauf que... c'est vide et plat, clairement ils ont loués des ruines et des châteaux musées et n'ont fait qu'un effort minimal pour améliorer le visuel. On n'est moins sur le Nom de la Rose que sur le Chevalier de Pardaillec, m'voyez. 

Et les costumes, bon... sont à l'avenant. Pour les hommes : des déguisements de théâtre. Pour les femmes... n'importe quel voile de danseuse exotique fait l'affaire, le moins possible, évidemment,  et toujours la poitrine exposée, évidemment, en toutes circonstances. Les "amazones" de Brunhilde, en revanche, portent la "cotte de maille" en strass la plus fake du cinéma, et pas seulement parce qu'elle a un trou pour laisser dépasser un nichon (j'aimerai plaisanter).

Achtung Kriemhilde, derrière toi, une amazone !
Siegfried porte un, euh... truc. 100% histo, trouvé à Birka.

Gunther demande à Siegfried de repasser Brunhilde à la casserole pour un second service car elle est insatiable, mais Siegfried rétorque qu'elle est son problème, désormais. C'est assez proche des sources où Gunther/Gunnar revient constamment en demander toujours plus à son ami en lui rappelant ses serments et en faisant pleurer les violons. Pendant ce temps-là, on a Brunhilde et Kriemhilde qui commencent à se prendre la tête en mode "mon mari vaut mieux que ton vassal de mari" "mon mari n'est pas un vassal et c'est lui qui t'a bien niquée" (au sens propre comme au figuré), bref, la querelle des reines, 100% Nibelungen. Mine de rien, ça commence à faire un tunnel de dialogues sérieux et sans fesses à l'air. J'imagine que c'est à ce stade que la salle de ciné s'est vidée. Enfin, les gens sont probablement sortis, quoi.

Le pot aux roses révélé, il faut régler le problème et Hagen suggère un assassinat durant une partie de chasse, il est montré en collusion avec Brunhilde et dit vouloir venger l'affront qui lui a été faite, et c'est hyper proche des sources, on a même la promesse de la reine qu'il touchera le fabuleux trésor s'il accomplit sa mission, là encore un élément qu'on trouve parfois dans les sources, notamment la Þidrekssaga. Puis Hagen va parler à Kriemhilde pour lui faire peur afin d'obtenir le point faible de Siegfried, et elle coud une petite croix à cet endroit de la tunique afin que Hagen puisse l'embrocher par derrière comme un lâche le protéger. Dites-moi, on le remplit vitesse grand V, ce bingo.

Mais WTF ces costumes de l'enfer... outre la mort de toute dignité pour Brunhilde, on note que sa broigne laisse dépasser deux nibards plutôt qu'un, elle doit donc littéralement se geler les miches, c'est probablement pourquoi le modèle vient avec un col roulé. 🙄 Anecdote savante rigolote, l'étymologie de Brunhilde / Brynhild, c'est Hilde à la Broigne (une cotte de maille quoi). Interprétation magique, kamoulox/20.

Un climax flacide

Malgré les avertissements de Kriemhilde (à cause de ses rêves prophétiques) et de Hansel, Siegfried part à la chasse avec Gunther, Hagen et compagnie. Le film remplace la course amicale proposée par Hagen par une lutte virile, mais le principe est le même, épuiser Siegfried et le faire boire à la rivière pour qu'il se penche bien en avant et le prendre par SURPRISE. Hagen s'empare d'une lance, brandit le manche turgescent prêt à pénétrer le héros et... se fait interrompre par une Kriemhilde surprise ! Et oui, dans ce film, Siegfried est sauvé in extremis, par sa femme douée du pouvoir de téléportation semble-t-il, et survit. Je répète : Siegfried. Survit.


Dire que j'aurais été constamment et agréablement surpris par un degré de fidélité des plus inattendus, tout ça pour soupirer (plus fort encore) devant cette gadin finale... quelle tristesse. Moi qui croyais naïvement que cette trahison complète et impardonnable était une invention du débile Siegfried de 2005, un élan d'originalité accidentel, mais non, même ça il l'a pompé sur la version "adulte", remplaçant la sauveteuse Kriemhilde par... le cochon qui parle. Parallèle intéressant. Faites-en ce que vous voulez.

Sur un malentendu, on va conclure

En résumé, nonobstant ce final radicalement à l'opposé des sources, bah on pourrait se dire que c'est plutôt pas mal en terme d'adaptation, tous les points d'intrigue clefs sont là, on reconnaît l'histoire... et très honnêtement je ne m'y attendais pas. Je pensais qu'on sauterait juste de scène de cul en scène de cul, sans aucun effort autre qu'un vernis ultra superficiel,  alors qu'en vrai, même le film oublie parfois qu'à la base il était censé émoustiller et faire rire. On peut même dire que le dernier quart du film se prend très au sérieux. Trop, d'ailleurs. Seulement, comme c'est tourné et joué avec les pieds, sans talent ni efforts, on s'emmerde ferme. Ce film démontre parfaitement qu'une adaptation peut cocher un nombre impressionnant de cases du bingo et faire les choses bien sur le papier, mais se vautrer tout de même, car il échoue à être avant tout un bon film, déjà, et à respecter son sujet. Au-delà les événements et des points d'intrigue, il y a le sens, l'esprit des sources. Or il ne suffit pas d'être superficiellement fidèle pour que l'adaptation soit bonne. Et donc, oui, bien évidemment que le diptyque de Fritz Lang est supérieur, même sans mention de la guerre contre les Saxons.

L'aspect comique, quant à lui, est tout juste esquissé et passe surtout par le mélange scène de cul + grotesque. Wouah. Edgy. Tout comme la purge de 2005, il échoue à pasticher son sujet, n'arrive pas à tourner les Nibelungen en dérision, alors à la place il met des scènes de galipettes saupoudrés de grimaces qu'on pourrait coller sur n'importe quelle histoire. On rit à peu près aussi peu qu'avec la version au cochon, mais on cringe un peu moins, en même temps la barre était très haute. Les acteurs n'en ont rien à cirer (et on les comprend, nous non plus, en vrai), les costumes sont cheapos... 

Je veux dire, honnêtement... il y a d'autres adaptations des Nibelungen, autrement moins gênantes et mieux réalisées. Et si à la base on était venu pour les fesses, là aussi, il y a mieux ailleurs. Alors, faut-il s'infliger passer un bon moment en famille devant Voluptés Nordiques ?


BONUS : Le point bande originale (Symphonie en De mi-molle)
 
Le film s'ouvre sur Wagner (évidemment), il s'ouvre même sur... l'ouverture... du Rheingold, l'opéra qui... ouvre... la Tétralogie du Ring. Il enchaîne également avec la chevauchée des Valkyries, tirée du second opéra de la tétralogie, sauf que ce n'est pas une valkyrie qui chevauche mais Siegfried, dans le foin. Richard doit être tellement fier de là où il est. Après cette utilisation fainéante et cliché audacieuse, la musique est un score original très 70's composé par Daniele Patucchi, très générique pour l'époque, avec chanteuse qui fait ouhouhou, synthé et guitare, et puis de la harpe dans certaines scènes. Un petit côté BO de Cannibal Holocaust de Riz Ortolani, par moment, mais en moins catchy. Mon opinion sur l'ensemble est la suivante : un CD existe, que je ne compte pas me procurer malgré ma collectionnite. Voilà.