On pouvait espérer qu'en attaquant sur un nanar dès 1999, on n'aurait plus besoin de s'infliger une autre adaptation fauchée, que c'était rayé de la liste. Mais c'était sans compter sur la règle du téléfilm ! Vous savez, il arrive après des grosses productions à acteurs prestigieux, il n'a pas le budget de ses ambitions, mais au final il s'en sort pas si mal, en tout cas mieux que ce qu'on croirait au premier abord. Les Nibelungen ont eu le très honnête et sympathique Curse of the Ring, le guerrier Gaut aura lui son Beowulf et la colère des dieux. Le miracle télévisuel se reproduira-t-il ? Voyons cela ensemble.
Bon, d'abord, taclons l'évidence : cette affiche pue du cul, mais elle est trompeuse sous bien des aspects. Déjà le logo Universal en bas : c'est simplement que Universal distribue les DVD/Blurays, ils n'ont pas produit le film, non non, bien que ça ne se voit pas sur la jaquette (tiens, pourquoi??) c'est une production Sci Fi (Aujourd'hui SyFy). Tout de suite, ça calme, hein.
Ensuite, le costume ridicule. Je vous rassure, Beowulf n'est jamais torse poil dans la neige avec une cape directement brochée à ses pecs, il porte une armure - Fantasy, certes, mais une armure tout de même ! À l'évidence, le graphiste a reçu pour consigne d'ajouter une touche "This is Sparta" afin de tromper appâter le chaland. Ironiquement, c'est probablement l'un des seuls héros à se mettre nu pour un combat dans sa source, mais ils ne saisissent pas l'occasion de montre des abdos huilés...
Comment ? Le casque à cornes de carnaval ? Je... eh bien... hum...
Oui, malheureusement c'est dans film... beaucoup, en plus, avec plusieurs variantes plus ridicules les unes que les autres, qui n'ont l'air ni cool, ni pratiques... c'est d'ailleurs presque choquant de voir ce genre de design ringard utilisé au premier degré en 2007, quatre ans seulement avant que la série Vikings ne redéfinisse le cliché du viking dans la culture pop. Un véritable chant du cygne des bottes fourrée et casques wagnériens à l'ancienne, en somme, l'ultime coup d'éclat du kitch d'autrefois.
Allez, je sais bien que vous êtes venus pour cela alors :
L'histoire
On commence par une introduction au personnage de Beowulf grâce à une voix off qui vante le bonhomme tel qu'on le raconte : géant, fort comme dix hommes, valeureux, etc. Dès la première minute on nous dit aussi que c'est un guerrier viking, et la pression artérielle monte déjà, on respire, on respire. Allez, disons que c'est une manière pour le film d'assumer un glissement chronologique, comme l'avait fait le Treizième Guerrier. Admettons. Je suis d'autant plus enclin à fermer les yeux que la voix off nous le présente également comme : fils d'Ecgtheow (je suis ultra impressionné, premier degré), au service de Hygelac, le roi des Gauts.
Ah ça rigole moins, hein ? J'ai dit "production Sci Fi" et vous pensiez déjà que ce serait la fête du slip en peau de bête ! Moi aussi, alors que non. (spoiler : si, si si...)
Oui, sauf que ce que j'ai omis de préciser, c'est que Hygelac (Harry Anichkin) ressemble à ça :
La scène d'introduction c'est Beowulf qui va poutrer une horrible bestiole dans une (très chouette) caverne, un serpent géant, non sans enlever son casque ridicule parce qu'il n'en aura pas besoin (tu m'étonnes). Le héros décapite la créature en CGI qui piquer les yeux et tout le monde le célèbre. On réalise vite que le téléfilm fait un choix similaire au chef-d’œuvre de Christophe Lambert, à savoir faire de Beowulf un tueur de monstre quasi professionnel. De retour auprès d'Hygelac il est envoyé dans sa mission contre Grendel. Il est intéressant de noter qu'ici c'est Hygelac qui donne l'ordre d'y aller, alors que dans le poème Beowulf doit le convaincre d'accepter de le laisser partir.
Dans cette version, Beowulf est accompagné d'un certain Finn, qui n'est pas le Frison du poème mais un prince, le neveu d'Hygelac, jeune et aventureux (dont les parents ont été trahis et assassiné, donc on garde un hommage au Finn de la source) qui insiste pour accompagner le tueur de monstres (vous connaissez l'archétype, je ne vous fais pas un dessin). Beowulf jure au roi qu'il n'arrivera rien à son neveu... si tu vois c'que j'veux dire. Hygelac accepte et offre un petit cadeau au héros, une arme. Alors le film a déjà le très bon goût de nommer l'épée de Beowulg, Naegling (sauf que c'est l'épée qu'il utilise à la fin contre le dragon, pas contre Grendel, mais un sticker en forme d'étoile pour l'effort), tout ce name-dropping laissant penser que les scénaristes ont au moins feuilleté la source et ça, ça fait plaisir. Bref, Hygelac lui offre "plus qu'une épée", il lui refile...
Une arbalète.
Une arbalète... à carreaux explosifs.
Et c'est là que l'influence du nanar de 99 ressurgit comme un pied d'athlète. RIEN ne connecte arbalète et armes gadgets avec Beowulf, c'est totalement anachronique et aucune adaptation n'a fait le lien... aucune SAUF celle avec Christophe Lambert, la première grosse adaptation grand public. Quand je vous disais qu'elle avait marqué les esprits comme un pet foireux une culotte propre, je ne plaisantais pas.
Mais revenons au téléfilm. La Team Beowulf traverse la mer sur un, eu... une caravelle de la renaissance... ? Un navire pseudo-antique...? Tout sauf scandinave Vendel/Viking quoi. J'imagine qu'ils ont recyclé un décor + modèle 3D et que modéliser un langskip aurait coûté trop cher.
Mon intuition se confirme quand Beowulf raconte en flashback à son équipage l'histoire du roi Hrothgar, qu'ils partent délivrer de son monstre, et que la grande halle des Danois du haut moyen-âge ressemble à... Rome. Non, je ne plaisante pas, ce sont des décors de film antique, même pas maquillés pour passer pour du scandinave. Heorot est donc tout en pierre et colonnades, avec des frontons à chapiteaux. Et c'est élaboré, hein ! Décors intérieurs, extérieurs, et en 3D !
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| Là c'est moi qui frime devant une halle danoise (reconstituée) correspondant à l'époque choisie par le film. C'est bon, vous l'avez ? |
Et maintenant Heorot Invictus :
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| Chris Bruno (Beowulf), Ben Cross (Hrothgar) et Marina Sirtis (Onela) regrettent leurs choix de carrière. |
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| Le jeu sortira sur Playstation il y a vingt ans. |
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| Recycler les décors c'est bon pour les finances du studio. |
Hrothgar fut un grand guerrier, nous dit-on, qui a forgé son royaume par la violence et construit Heorot pour célébrer son triomphe et... oui. C'est exactement Hrothgar dans le poème, un destructeurs de petits royaumes qui a su rouler sur tout le monde pour finir au-dessus de la pile. Parfait, film, parfait. Il est l'époux de la belle Onela et
*pouffe* Pardon. Onela... *pouffe* Onela est bien un nom tiré du poème, mais... c'est un roi Suédois. L'épouse de Hrothgar c'est Wealhtheow, mais j'imagine que Onela c'est plus facile. Les scénaristes ont donc bien feuilleté la source, mais vite fait, quoi, en diagonale. Ils reprennent également le nom de Sigmund qui apparaît dans la source dans un récit enchâssé (l'histoire de Sigmund, le papa de Sigurd / Siegfried) et le donnent à un compagnon de Beowulf. Au moins c'est un nom masculin.
Le flashback continue et nous donne Hunferth comme fils de Hrothgar, un choix similaire au Treizième Guerrier, et une simplification astucieuse, je ne vais pas me plaindre. On a droit au récit de la première attaque de Grendel, décrit comme un fils des géants descendant de Cain dans la Bible, hantant les marais et tourbières, on le voit sortant de la brume, il "détesterait le son des chants et des rires" : oui, c'est Grendel, 100%. Le design est... vidéoludique, on va dire, mais pourquoi pas. Alors jusqu'ici, ça va encore. Mais.
On finit par : Hrothgar abandonnant son palais romain sa halle pour un village cracra, le jeune prince meurt durant une traque de Grendel à cause de l'aîné, Hunferth, qui le trahit, et la reine est devenue folle (vous le comprendrez grâce au jeu si subtil de l'actrice) avec des visions. Bon, j'avoue, juste pour les regards WTF que Hrothgar lui lance quand elle s'emballe, c'est rigolo. Néanmoins, on vient de sacrément faire un pas de côté alors que ça commençait bien. Mais ce n'est pas tout ! La Team Beowulf croise Grendel dans le bois, en plein jour, comme ça... ils lui tirent un carreau d'arbalète explosif qui manque le monstre mais le feu l'effraie. Hunferth débarque pour reproduire la scène de l'émissaire dans le poème, check, et ils se rendent dans le village fortifié, où tout le monde a peur et est sale. Hrothgar les accueille et, bon point, on établit qu'ils se connaissent depuis la jeunesse de Beowulf. Check ! Et que Grendel refuse d'attaquer le trône par peur du jugement divin ! Check ! Eh, c'est pas si mal !
Le n'importe quoi sorti d'un chapeau (à cornes)
Alors je passe sur le fait que Finn rencontre la jeune Ingrid et tombe sous son charme, et que ça rend Hunferth jaloux, tout ce qui a trait à Finn dans ce film sort d'un chapeau. En revanche, Hunferth chafouin et alcoolisé qui raconte l'incident avec Brecca pour embarrasser ses hôtes, c'est dans la source, ça vous commencez à le savoir. La première attaque de Grendel s'en suit, une embuscade sophistiquée mais mal ficelée qui échoue lamentablement et voit Finn blessé (évidemment), c'est à dire... l'inverse du poème, où on n'applique aucune stratégie, on attend le monstre et on lui arrache le bras.
Vous voyez, d'un point de vue adaptation, ce film c'est des montagnes russes dignes d'un sketch des Inconnus :
Et la grande descente arrive car le téléfilm nous balance une bombe, une révélation sur l'origine du mal qui ronge le pays des Danois... et accrochez-vous car ça n'a rien à voir avec le poème. Alors on sort notre chapeau à bullshit et on en tire... ceci : En fait, à la base le monstre qui posait problème c'était la mère de Grendel, et pour l'apaiser car elle causait des malheurs, Hrothgar lui offrait des... sacrifices humains lors des pleines lunes ! Des enfants ! Ah, ça vous la coupe, hein ! En plus ce n'est pas une créature aquatique, comme dans la source et tel que le Beowulf & Grendel l'avait respecté, mais un monstre ailé comme... comme... le nanar avec Christophe Lambert, et oui ! Toujours là, cette fistule !
Blague à part, l'idée n'est pas totalement absurde : Grendel et sa mère vivent dans les tourbières danoises où l'ont a découvert plusieurs victimes de sacrifices humains, comme le célèbre Homme de Tollund. Donc lier les deux, ce n'est pas complètement farfelu, mais comme on montre le sacrifice ayant lieu dans une grande grotte (probablement la même que celle de l'intro, parce que 0 budget) et que la mère de Grendel est juste une harpie... bah ça casse un peu le truc.
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| Grendel sous son meilleur jour. |
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| Cette créature est totalement intégrée à son environnement, on croirait un effet pratique, c'est bluffant. |
Bref, ce système fonctionne un temps jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans la forêt (pas les marais...) après avoir enfanté de Grendel, qui en grandissant tue de plus en plus, au point que le roi a repris le rituel. DARK SECRETS REVEALED !! Mais il y a encore mieux au fond du chapeau : ils reprennent l'offensive et chasse Grendel hors des bois en... catapultant des barils d'huile explosive ! Tellement ViIiIkKkKIiiIiNnG (non). Finalement, on arrache le bras de Grendel qui meurt de sa blessure, on fête la victoire, check. Mais Une fois la Team Beowulf repartie, la Mère des CGI Honteux passe à l'attaque et kidnappe Ingrid.Hunferth part la sauver et meurt comme une merde conclue un arc de rédemption que personne n'avait vu venir du tout non pas du tout trouve une mort héroïque.
En vrai, c'est cool de donner à Hunferth un rôle au delà de "je ne te crois pas capable Beowulf, tu es un menteur... ah bah en fait non, tu es un preux et je te respecte". C'est pas hyper bien fait, mais la volonté est louable. Finalement, ce ne sera donc pas Hunferth qui sauvera la demoiselle en détresse mais BeowNANje déconne, c'est Finn, évidemment. Bon, au prix de sa propre capture, mais tout de même, la tâche est accomplie.
Ne reste plus qu'à sauver Finn, et on a toujours pas raccroché les wagons avec la source, hein, je dis ça. Le roi Hrothgar révèle à Beowulf l'existence d'une épée prophétisée comme capable de tuer la Mère des Horreurs Numériques, Aeltes apparemment, ça ne me dit rien du tout mais soit. Elle est ridiculement énorme, mais ça après ça suit la source où il s'agit d'une épée de géant. Cela dit on s'en fout puisque Beowulf préfère son arbalète piou piou boum crash piou piou oh pardon j'imaginais juste ce qu'avait donné la réunion préparatoire pour diriger la scène. Finalement ce sont les efforts combinés de Beowulf et Finn qui permettent au héros de décapiter le monstre, et c'est une victoire à l'arrachée pour la Team Beowulf. Finn finit avec Ingrid avec laquelle il fonde une famille et Beowulf reprend ses aventures et, comme dans Beowulf & Grendel, rien d'affreux ne lui arrivera jamais plus après cela, surtout pas avec un dragon... Happy End !
Vous l'aurez compris, ce téléfilm se dandine tantôt sur le pied de la fidélité, une volonté évidente de revenir à la source et de ne pas complètement tout réinventer, comme l'a fait le nanar de 99, tantôt sur celui de la, euh, créativité. Certains changements sont tout à fait pertinents, d'autres très curieux, mais en dehors des contraintes budgétaires évidentes (réutilisations de décors pour Heorot, la même caverne en permanence) et les moments WTF très américains comme Beowulf canardant les monstres d'explosifs avec son arbalète sponsorisée par la NRA (on sent que sans armes à feu, les scénaristes avaient du mal à concevoir un combat contre une créature énorme), en dehors de cela, donc, on a peu de trahisons totales des personnages. Sauf ce délire de Hrothgar sacrifiant des enfants, ça, c'est vraiment n'imp', tout l'arc autour de Finn sort de nulle part et en vrai osef... non, vraiment c'est pas bon, et on sent toujours l'ombre du nanar de 99 planer !
Même Hunferth, amoureux éconduit d'Ingrid qui meurt en se sacrifiant pour elle et accepte qu'elle en aime en autre... c'est le personnage de Roland du film avec Lambert ! L'ADN de cette purge continue de couler dans le sang des adaptations de Beowulf, c'est terrible... et ce n'est pas fini, comme vous le verrez dans la prochain article sur une autre adaptation, sortie elle aussi en 2007, mais avec du budget et des vrais enfin bons enfin, des acteurs.
Bref, ce n'est pas la catastrophe industrielle à laquelle on pouvait s'attendre, mais c'est pas terrible non plus, mais attention ! Là je ne parle qu'en tant qu'adaptation !
En tant que film, c'est :
Les acteurs savent très bien dans quoi ils jouent et ne font aucun effort, sauf la reine qui en fait beaucoup trop pour interpréter la FoLiE. Les costumes sont abominables et puent le recyclage, les casques à cornes désamorcent toute tentative du téléfilm de créer de la tension dramatique. Les effets numériques sont remarquables, au sens où on les remarque aisément, pas qu'ils soient bons.
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| "Et l'oscar de la meilleure actrice dans un rôle frapadingue est attribué à..." |
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| Le moment où tu te demandes si c'est la réaction du personnage de Hrothgar ou si celle de l'acteur face à sa collègue. En tout cas ce sera souvent la vôtre devant ce téléfilm. |
Faut-il le voir ?
Non. Ce n'est pas assez drôle pour une soirée nanar (vous allez regretter Christophe Lambert), ce n'est pas assez bien pour y prendre plaisir au premier degré comme l'est Curse of the Ring, et si vous voulez regarder une adaptation de Beowulf, il y a bien mieux ailleurs, y compris une sortie la même année, avec un bon réalisateur et de bons acteurs, qui souffre malheureusement de son audace technique, mais j'y reviendrais très bientôt. Quant à ce Beowulf et la colère des dieux, c'est juste nul, et devant pareil massacre, moi aussi je suis en colère maintenant.
Le point bande-originale
ZZZzzzzzZZZ Hein ? Quoi Musique composé par Nathan Furst, vétéran des compositions pour téléfilms. C'est générique au possible, soporifique. OSEF 9000.





















Hihi merci pour ton article !
RépondreSupprimerIl a suscité chez moi une curiosité pour les visages et noms cités, donc je me permets de partager avec vous :
- Ben Cross est le méchant dans Lancelot (meuh si, vous savez)
- J'ai découvert qu'il n'y a pas que Flo à s'intéresser aux adaptations de Beowulf :
https://www.amazon.com/Beowulf-Film-Adaptations-Nickolas-Haydock/dp/0786463384
- Le réalisateur a un beau pédigrée avec notamment un Hercules Reborn (???) et plusieurs films sur la 2nde Guerre Mondiale (Opération Dunkirk, D-Day). Bref, un homme intéressé par notre Histoire et nos Mythes, assurément !
Service !
RépondreSupprimerJ'avoue je n'ai pas vue Lancelot mais Ben Cross sa tête me dit vraiment quelque chose, il doit souvent cachetonner...
Le livre a l'air intéressant ! Je vois qu'on se pose les mêmes questions : pourquoi avoir été adapté si tard, puis autant en si peu de temps, le plus souvent fauché, et quel impact ces versions bourrées de trahisons et contresens ont-elles sur la perception de Beowulf auprès du grand public ? Je vais m'y attarder à la fin (prochaine) de cette rétrospective. Encore un film et un article bonus sur la série BBC et c'est bouclé !