mardi 3 novembre 2020

Brynhild

J'aime vraiment beaucoup cette chanson du groupe allemand Saltatio Mortis (que je recommande de manière générale), c'est une belle réécriture de l'histoire d'amour de Siegfried et Brunhild, et je l'apprécie pour cela. Néanmoins, je ne peux m'empêcher de remarquer qu'elle perpétue l'idée de l'amour plus fort que tout entre les deux héros, une idée qu'on retrouve souvent dans la culture populaire. Pourtant, c'est assez éloigné des sources qui nous ont transmis leur histoire.

 
 
Si Siegfried meurt, quelles que soient les versions, c'est par la jalousie et le ressentiment de Brunhild (pas forcément injustifiés, puisque Siegfried lui-même commet plusieurs indélicatesses, voire fautes graves, selon les versions - y compris un viol, parfois symbolique, parfois... non). De même, si dans les versions islandaises, une Brunhild dévastée par sa propre vengeance rejoint bien Sigurd dans la mort en se faisant brûler avec lui dans un sublime moment tragique, dans les versions continentales elle... disparaît du tableau, satisfaite, et a priori, survit et vit sa vie. Quant à Siegfried / Sigurd, les versions ne s'accordent pas sur les raisons qui l'ont poussé à quitter les bras de Brunhild pour ceux de Gudrun / Kriemhild. Un philtre d'oubli ? Un serment volontairement rompu ? Certaines versions ne font aucune mention d'un quelconque serment envers Brunhild, laissant le champs libre à tout changement de partenaire - même si ça pique forcément l'égo de Brunhild. Bref, il n'y a pas, dans les sources, d'unanimité sur les liens que le héros aurait rompu ou non vis à vis de Brunhild, déclenchant son ire. De manière générale, on peut dire que Siegfried, Brunhild, Gudrun/Kriemhild et sa famille (surtout ses frères Gunther et Hagen, et leur mère) partagent tous de lourdes responsabilités à des degrés divers dans le bain de sang final de leur histoire. Aucune réputation n'en sortira indemne.

Toutefois, il y a une source islandaise dans laquelle l'auteur a jouté un détail qui, je pense, a marqué l'imaginaire de manière indélébile. Lors de leur dernière conversation, Sigurd s'ouvre à Brunhild pour essayer de rompre l'escalade funeste que tous ressentent. C'est assez important, car rarement Sigurd/Siegfried n'est exploré dans sa psychologie de personnage plutôt que d'archétype. Il révèle alors à Brunhild qu'en dépit des serments rompus et de son mariage avec Gudrun/Kriemhild, il n'a jamais aimé qu'elle, Brunhild. Trop peu, trop tard, malgré cet aveu dramatique, l'ancienne walkyrie (là aussi un élément nordique et non continental que la chanson de Saltatio Mortis reprend) n'en poursuivra pas moins son désir de vengeance mortelle.

De manière générale, la chanson suit plutôt l'intrigue islandaise, mais avec les noms continentaux... tout en ignorant les éléments moins romantiques de l'histoire. C'est quelque chose d'assez courant dans la culture pop, qui "connaît" assez bien les versions islandaises mais souffre d'une méconnaissance embarassante des versions continentales, alors que le nom même de "Nibelungen" reste pourtant ultra connu, tout comme Siegfried et Kriemhild... Ce qui est plus dû à Richard Wagner et son "Ring" qu'aux sources allemandes ou autrichiennes... D'ailleurs, Wagner lui-même puise énormément dans les Eddas islandaises plutôt que dans les Nibelungen elles-mêmes, en fait. Et cela se ressent dans l'héritage de pop culture qu'il a engendré (cf. cette chanson !).

Il n'en reste pas moins que "Brunhild" par Saltatio Mortis est chouette, et ça m'aura donné l'occasion de poster quelque chose. Je m'excuse platement pour ma quasi-absence, je traverse une période difficile, néanmoins, j'essaye d'avancer sur mes projets. Je vais essayer de me montrer un peu plus présent à l'avenir !

Si la chanson vous plaît, écoutez-voir sa version "classique" :

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire